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Le contexte judiciaire en France

Dans le document Le procès Barbie (Page 45-48)

En France, nous l’avons vu, le contexte historique de l’immédiat après-guerre est marqué par la période dite de l’épuration. Il s’agit dès lors de rendre justice tantôt par la vindicte populaire, tantôt par différentes instances judiciaires (militaires, civiles etc.). Durant cette période qui s’étale sur plus d’une décennie, au fur et à mesure des multiples instructions menées, les autorités françaises se rendent compte que le nombre de personnes passées en jugement et auteurs de crimes de guerre, va

90 Alain FINKIELKRAUT : La mémoire vaine. Du crime contre l’humanité, op. cit. p. 27.

91 Déclaration de Moscou, citée dans Jacques-Bernard HERZOG, Nuremberg : un échec fumeux ?, Librairie

générale et de jurisprudence, Paris, 1975, p.50 in Alain FINKIELKRAUT : La mémoire vaine. Du crime contre l’humanité, op. cit., pp. 28-29.

croissant et s’élève à plus de 20 000 personnes93. Ainsi, en dépit de son rôle prépondérant dans l’appareil policier nazi et répressif en France, Barbie figure toujours parmi les grands absents de l’histoire de la longue série de procès qui va jalonner la période de l’épuration. Et pour cause. L’ex- chef de la Gestapo n’a pas échappé à la règle de fuir à l’étranger par les réseaux d’exfiltration mis en place par les nazis eux-mêmes94. Parvenant même à travailler pour le compte des services secrets

américains dans un contexte de guerre froide, Barbie continue de sévir en matière de lutte contre le communisme et ce, malgré les multiples demandes faites par la France pour l’extrader. De fait, il est localisé en 1948 par la justice militaire française. Mais les autorités judiciaires ne parviendront pas à obtenir sa remise définitive par les Américains. Seule une audition de Barbie sera autorisée les 14, 18 mai et l6 juillet 1948 en qualité de témoin, par un commissaire de police français et dans le cadre de la deuxième procédure de René Hardy.95 N’oubliant pas qu’il est l’assassin de Jean Moulin tout

comme responsable de tortures, d’exactions, de rafles et de déportations massives de résistants et de Juifs, la France demande son extradition à plusieurs reprises mais en vain. Elle doit finalement se contenter d’un jugement et d’une condamnation à mort par contumace, en 1952 et 1954, comme cela est rappelé plus en détails ultérieurement dans les extraits d’actes d’accusation de son procès de 1987 :

« Barbie a déjà été condamné par jugement de contumace du Tribunal Permanent des Forces Armées de LYON en date du 29 avril 1952, à la peine de mort, pour assassinats, complicité d’assassinats, d’incendies volontaires, pillages, séquestrations arbitraires, commis dans la région de Saint Claude en 1944, et par jugement de contumace du même Tribunal, en date du 25 novembre 1954, à la même peine, pour des faits de même nature commis en 1943 et 1944, à LYON, et dans les environs de cette ville, faits caractérisés par des tortures et des exécutions sommaire de résistants, d’otages et de Juifs, bien précisées. »96

93 Pour un bilan plus détaillé d’où nous citons ces chiffres, voir à ce sujet l'article d'Henry ROUSSO :

L'épuration en France, une histoire inachevée, in Vingtième siècle, revue d'histoire, n° 33, janvier-mars

1992. Dossier : l'épuration en France à la Libération, pp. 78-105 : « En outre, les tribunaux militaires ont eu à réprimer les crimes de guerre commis par l’occupant, soit 20 127 dossiers, si l’on en croit un chiffre avancé en 1947 » (p. 95)

94 Dont la Rat Line, avec l’aide d’un représentant du clergé croate, le père Draganovic qui a déporté des Juifs

et des Serbes.

95 Voir à ce sujet, les extraits d’acte d’accusation publiés dans le livre de Sorj CHALANDON et Pascale

NIVELLE : Crimes contre l’humanité, op. cit., p. 23 : « Quant à Klaus Barbie, les autorités judiciaires ne parviendront pas à obtenir sa remise par les services américains qui consentiront cependant, à son audition, les 14 et 18 Mai puis le 16 juillet 1948 par un commissaire de police français, en qualité de témoin, dans la deuxième procédure contre René Hardy. » Pour rappel, ces extraits d’acte d’accusation seront lus intégralement et à voix haute par les greffiers lors des deux premières audiences qui ouvrent le procès.

Au Mémorial de la Shoah, l’exposition consacrée au procès Barbie nous confirme ces premiers éléments d’enquête, en nous présentant le procès-verbal de l’interrogatoire mené dès le 14 mai 1948 auprès de Barbie dans le cadre de la commission rogatoire97. A la lecture de celui-ci, il ressort que

les enquêteurs axent leur interrogatoire sur les crimes de guerre, notamment sur l’affaire dite de Caluire, concernant l’arrestation et les tortures commises sur le chef de la Résistance Jean Moulin. Puis, toujours sur le site muséal, par courrier du 3 septembre 1948 adressé à sa hiérarchie, le Commandant Gonnot, juge d’instruction militaire explique que pour des raisons de défense nationale, les Américains ne souhaitent pas livrer Barbie aux autorités françaises98.

Dans un article paru en anglais dans la revue Comparative Literature Studies et consacré au procès Barbie, l’historien Christian Delage corrobore l’idée que Barbie est dès la fin de la guerre dans le collimateur de la justice française :

« Before it was historical, the main reference to Klaus Barbie's presence in postwar France was juridical. As of 1944 Barbie's name appeared among German and French war criminals in the secret directory compiled in Algiers by Colonel Paillole's special services and then later on the list of the U.N. War Crimes Commission. In 1945 he was cited in the Central Registry of War Criminals and Security Suspects as being "sought by France for the murder of civilians and the torture of military personnel." The French authorities subsequently accused him of war crimes and issued a warrant for his arrest. One of the crimes for which he was especially pursued took place in the Jura. »99

Ainsi, il importe de souligner qu’en dépit de la longue liste de ses crimes et des attentes de la France, tout criminel nazi qu’il est, Barbie ne se verra reproché - à l’instar du procès de Nuremberg - dans un premier temps, que le chef d’inculpation de crimes de guerre. Comment expliquer cette restriction ? Plusieurs raisons expliquent cet état de fait. D’une part, nous l’avons vu, toutes les conditions pour capturer et juger Barbie n’étaient pas réunies. Au lendemain de la guerre, durant la 97 Pour rappel, il n’existe pas de catalogue imprimé de cette exposition et il n’a pas été possible de

photographier ces documents de facture juridique, voire militaire. Nous nous contenterons donc de rapporter certains passages des courriers et autres pièces exposés sur le site du Mémorial, tout en précisant les références archivistiques d’où ils sont extraits. En l’occurrence, ce document est cité comme suit : « Procès- verbal de la commission rogatoire Klaus Barbie, extrait de l’interrogatoire du 14 mai 1948, archives historiques de la Défense, Vincennes. » (cf. notre inventaire des sources, l’exposition au Mémorial de la Shoah, Le procès Barbie, Panneau 2).

98 Cf. notre inventaire des sources, l’exposition au Mémorial de la Shoah, Le procès Barbie, le panneau

d’affichage 3, 1948, la lettre du 3 septembre 1948, rédigée par le commandant Gonnot, juge d’instruction militaire, document extrait des Archives du dépôt central d’archives de la justice militaire, Le Blanc. L’auteur écrit notamment : « Comme suite à votre lettre citée en référence, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le nommé Barbie Klaus, ex-chef de la section IV du SD de Lyon se trouve actuellement en Allemagne, zone d’occupation américaine. (…) Pour des raisons de défense nationale de l’USA, les autorités américaines ont fait connaître que le nommé Barbie, ne pouvait être rendu aux autorités américaines. »

99 Christian DELAGE : The Klaus Barbie Trial, Traces and responsabilities, in Comparative Literature

période d’épuration, à travers ses instances judiciaires, la France se préoccupe essentiellement de juger les crimes de guerre, de la collaboration, de haute trahison, d’intelligence avec l’ennemi commis par ses ressortissants. Sans doute aussi les impacts du procès de Nuremberg se font toujours ressentir, notamment celui d’avoir jugé en groupe la vingtaine de criminels nazis allemands et indirectement tous les dirigeants des appareils policiers de l’Allemagne dans les territoires occupés. D’autre part, la priorité en France est aussi de reconstruire le pays et comme nombre de criminels nazis ont fui les pays qu’ils ont occupés, les capturer paraît mission impossible, surtout si ces derniers bénéficient à l’étranger de protection. Ainsi, en dépit de la coopération judiciaire internationale, la plupart des pays qui avaient été pendant la guerre sous la férule de l’Allemagne - dont la France - voient leur demande d’extradition des criminels ou présumés coupables refuser, ce qui va empêcher de rendre justice à toutes les victimes de Barbie. Cette impossibilité à ouvrir un véritable procès in praesentia du ou des criminels, explique aussi les nombreuses condamnations des juridictions françaises prononcées par contumace envers les auteurs ou présumés coupables de crimes de guerre. Enfin, aussi autre raison majeure, la France ne dispose pas encore dans son arsenal juridique d’une reconnaissance des crimes contre l’humanité comme étant imprescriptibles. Dans son ouvrage, Face au passé, Essais sur la mémoire contemporaine, Henry Rousso fait remarquer à cet égard et à raison que la France n’a pas ratifié la convention internationale déclarant à la fois les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre comme étant imprescriptibles de crainte de se voir reprochée à ce titre ceux perpétrés pendant la guerre d’Algérie100.

Dans le document Le procès Barbie (Page 45-48)