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1166. Au point 7 de son communiqué sanctions, l’Autorité indique que la méthode qu’elle expose dans ce texte lui est opposable « sauf à ce qu’elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisant à s’en écarter dans un cas donné ».

1167. À titre liminaire, il convient de rappeler que les éventuelles difficultés du secteur économique concerné par les griefs ou l’action des pouvoirs publics ne figurent pas parmi les critères à prendre en considération pour la détermination des sanctions figurant au I de l’article L. 464-2 du code de commerce et ne sauraient constituer des circonstances particulières ou des raisons d’intérêt général de nature à remettre en cause l’application du communiqué sanctions par l’Autorité. Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation énoncée dans l’arrêt du 29 mars 2011, Manpower France Holding et Manpower France, seules les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises peuvent être prises en compte dans le calcul de la sanction.

1168. Il est cependant constaté que les pratiques d’entente sur la surcharge gazole ont pris place dans un contexte économique très particulier.

1169. En premier lieu, le prix du gazole a connu une forte hausse au cours de la période 2004-2005.

Ainsi, entre janvier 2004 et octobre 2005, l’indice CNR gazole professionnel est passé de 98,56 à 139,56 soit une augmentation de 41,6 %.

1170. En second lieu, si les pouvoirs publics n’ont jamais connu, autorisé ou encouragé les pratiques d’entente sur la surcharge gazole, il n’en demeure pas moins que ces pratiques se sont inscrites dans un contexte particulier.

1171. En effet, la concomitance de fortes hausses du prix du gazole avec les débats parlementaires et les interventions des pouvoirs publics en faveur d’une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transport a pu créer une certaine confusion dans l’esprit des professionnels.

1172. Ceci ne remet pas en cause l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence, dès lors que les parties ont mis en œuvre un comportement anticoncurrentiel autonome en élaborant une méthode commune qui a permis aux messagers de faciliter l’acceptation de la surcharge gazole, alors que le cadre réglementaire national de l’époque n’imposait nullement cette exigence.

1173. Toutefois, au vu des circonstances très particulières de l’espèce, l’Autorité s’écartera de la méthode décrite dans le communiqué du 16 mai 2011 relative à la détermination des sanctions pécuniaires pour y préférer un mode de fixation forfaitaire.

1. S’AGISSANT DE LA GRAVITÉ

1174. Lorsqu’elle apprécie la gravité d’une infraction, l’Autorité tient compte notamment de la nature des pratiques qu’elle poursuit, des personnes susceptibles d’être affectées et des caractéristiques objectives de l’infraction (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d’une législation, etc.) (voir point 26 du communiqué sanctions). La détermination du degré de gravité d’une pratique implique donc d’en examiner les caractéristiques, à la lumière de ces différents critères.

1175. En premier lieu, le grief concerne une entente horizontale entre concurrents, portant sur des éléments tarifaires futurs : les entreprises concernées se sont accordées sur le principe d’une surcharge gazole et sur une méthodologie commune pour sa mise en œuvre. Ces actions anticoncurrentielles participaient au même objectif commun : la maîtrise de la répercussion des variations du prix du gazole dans le prix final de la prestation de service de messagerie, soit la maîtrise d’un élément du prix. Or il est constant que les pratiques ayant pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence sont par nature des pratiques très graves.

1176. En second lieu, les pratiques constitutives du grief revêtaient un caractère secret à l’égard des clients. Il peut être relevé que la première conférence téléphonique sur ce sujet, en date du 26 mai 2004, a été organisée en dehors des réunions habituelles du Conseil de Métiers, renforçant par là même son caractère confidentiel. De même, les différents contacts bilatéraux ou multilatéraux entre certains participants étaient toujours confidentiels et n’étaient pas communiqués au marché.

1177. Néanmoins, au cas d’espèce, la gravité des pratiques doit être relativisée.

1178. En premier lieu, la concertation entre concurrents a porté principalement sur la définition d’une méthodologie commune de répercussion d’un élément de coût, et non sur les taux de répercussion des variations du prix du gazole en tant que tels.

1179. En second lieu, la sophistication des pratiques apparaît relativement limitée. En effet, il n’existait aucun système formalisé de récapitulation des surcharges effectivement imposées par les membres de l’entente. De plus, aucune coordination n’était mise en œuvre s’agissant des négociations avec les clients. Par ailleurs, l’analyse des autres contacts poursuivis, et notamment des envois aux concurrents de circulaires relatives à la surcharge gazole par

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une ou plusieurs entreprises et qui n’étaient pas nécessairement suivies par la totalité des participants.

2. S’AGISSANT DU DOMMAGE À LÉCONOMIE

1180. Le critère légal de l’importance du dommage causé à l’économie ne se confond pas avec le préjudice qu’ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s’apprécie en fonction de la perturbation générale qu’elles sont de nature à engendrer pour l’économie (voir, par exemple, arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007/18040, page 4).

1181. L’Autorité, qui n’est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l’économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l’économie engendrée par les pratiques en cause (arrêts de la cour d’appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, RG n° 2010/12049, page 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité ; et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., RG n° 2012/23945, page 89). L’existence du dommage à l’économie ne saurait donc être présumée (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a. nos 09-12984, 09-13163 et 09-65940).

1182. En se fondant sur une jurisprudence établie, l’Autorité tient notamment compte, pour apprécier l’incidence économique de la pratique en cause, de l’ampleur de l’infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir, par exemple, arrêts de la cour d’appel de Paris du 30 juin 2011, précité, page 5 et du 26 janvier 2012, précité, page 89 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910). S’agissant de l’ampleur de la pratique visée par le grief n° 1, celle-ci s’est déroulée sur deux campagnes tarifaires, à savoir 2004-2005 et 2005-2006. Les dix entreprises ayant participé aux pratiques lors de ces deux campagnes représentaient, en 2008, environ 48,5 % de parts de marché en valeur (voir tableau 21 infra).

1183. Les deux plus importantes entreprises du secteur, Geodis et GeoPost France (groupe La Poste) qui représentaient, en 2008, 32,4 % de parts de marché en valeur, n’ont donc pas participé aux pratiques visant la première campagne tarifaire. Ces deux entreprises pouvaient donc constituer une véritable menace pour les membres de l’entente si les prix s’écartaient de leur niveau de concurrence, et ce d’autant que le secteur présentait, à cette période, des surcapacités (voir infra et cotes nos 55889 et 48350). Lors de la seconde campagne tarifaire, Gefco, GéoPost France, Ciblexet Normatrans ont rejoint l’entente, qui couvrait alors 65,9 % du marché de la messagerie, tous segments confondus.

1184. La présence de concurrents importants en dehors de l’entente au cours des deux périodes, dont le leader du secteur Geodis, représentant à lui seul environ 20 % du marché, est de nature à relativiser l’ampleur de la pratique, et ce bien que Geodis ait mis en place postérieurement à l’initiative des autres membres de l’entente une surcharge gazole avec une méthodologie similaire à celle déterminée lors des réunions.

Tableau 21 : Parts de marché des entreprises ayant participé au premier grief, selon le nombre de campagnes concernées en 2008

Entreprises ayant participé aux deux campagnes "surcharge gazole"

Part de marché (en %)

Transport Henri Ducros 0,4

Alloin 2,9

Ziegler 2,9

Schenker Joyau 3,4

GLS 3,8

Heppner 4,1

Dachser (ex-Graveleau) 5,6

Mory 7,2

TNT Express France 8,8

DHL Express 9,4

Part de marché totale pour les deux campagnes 48,5

Entreprises n’ayant participé qu’à la deuxième campagne

Part de marché (en %)

Normatrans 0,4

Ciblex 1,7

Gefco 3,7

Geopost 11,5

Part de marché totale 65,9

1185. S’agissant des caractéristiques objectives du secteur, ces dernières sont identiques à celles développées au titre de l’appréciation du dommage à l’économie relative au grief n° 2. Il est donc renvoyé aux paragraphes 1231 et suivants de la présente décision.

1186. S’agissant des effets conjoncturels liés à la pratique visée par le grief, il convient en premier lieu de relever que l’argument selon lequel les opérateurs auraient, en l’absence de concertation, en tout état de cause opté pour une méthode de répercussion du coût du gazole identique entre en contradiction avec le fait que les opérateurs se sont concertés sur cette méthode. Le degré de certitude avec lequel cette méthode de répercussion se serait imposée aux opérateurs n’était donc pas suffisant pour que les entreprises s’abstiennent de se coordonner.

1187. En second lieu, les échanges d’informations et l’élaboration d’une méthode commune ont permis aux messagers de faciliter l’acceptation de la surcharge gazole par les clients alors même que, au moment des faits, il n’existait aucune législation imposant la facturation d’une telle surcharge.

1188. Pour autant, les effets conjoncturels associés à cette pratique peuvent être considérés comme limités pour deux raisons.

1189. Tout d’abord, l’analyse économique montre qu’en cas de hausse des coûts, la répercussion de cette hausse dans les prix de vente est d’autant plus élevée que la concurrence entre les

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d’absorber une part importante de la hausse des coûts. Or la concurrence dans le secteur de la messagerie, du fait du grand nombre d’opérateurs qui le composent, de la relative homogénéité de leurs services, du pouvoir de négociation de certains clients et des surcapacités qui pouvaient être constatées à la période de la hausse des prix du gazole, aurait été substantielle en l’absence de pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, indépendamment de toute pratique anticoncurrentielle, la hausse des coûts entraînée par la hausse du prix du gazole aurait vraisemblablement été répercutée de manière significative aux clients des messagers.

1190. Ensuite, en considérant comme méthode de répercussion alternative à celle prévue lors de la concertation celle présentée par Dachser dans son étude économique (cotes nos 77485 et suivantes) et même en supposant que le taux de répercussion en l’absence des pratiques n’aurait été que de 70 %, l’écart de surcharge gazole entre les deux méthodes de répercussion ainsi étudiées apparaît minime, compris entre 0,26 % et 0,78 % selon le type de camion pris en compte. Rapporté au poids de ce poste de coût dans le prix de revient des services de messageries (soit entre 15 % et 22 % du prix de revient d’un véhicule selon le type de véhicule), le surprix alors subi par les clients serait compris entre 0,06 % et 0,12 %, ce qui atteste de l’effet limité de la pratique.

1191. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’une sanction forfaitaire apparaît plus adaptée qu’une sanction pécuniaire calculée selon la méthode rappelée dans le communiqué sanctions.

Une telle appréciation est favorable aux entreprises mises en cause.

3. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION

1192. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu, en regroupant les entreprises en plusieurs catégories pour refléter le poids économique respectif de chacune d’entre elles d’imposer les sanctions suivantes au titre du grief n° 1.

Tableau 22 - Montant forfaitaire des sanctions prononcées au titre du grief n° 1

Entreprise Montant forfaitaire (en euros)

Alloin 100 000

Chronopost 200 000

Exapaq 200 000

Dachser France 100 000

DHL Express (France) 200 000

Gefco 100 000

GLS France 200 000

Heppner 100 000

Lambert et Valette 50 000

XP France 100 000

Normatrans 50 000

Schenker-Joyau 200 000

TNT Express France 200 000

Transports Henri Ducros 50 000

Ziegler France 50 000

Total 1 900 000

4. SUR LA VÉRIFICATION DU PLAFOND LÉGAL

1193. Aucun des montants forfaitaires mentionnés au tableau 22 ci-dessus n’est supérieur au plafond légal respectif des entreprises en cause.