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A : Y a-t-il un « premier Baullery » vers 1600 ?

On a pu constater qu’hormis les gravures éditées par Leclerc d’après Baullery, aucune œuvre sûre n’est connue de l’artiste avant les années 1620, tandis que les « petits mays » de Notre-Dame, qui occupent sa carrière pendant plusieurs années dès 1607, sont tous perdus. Dès lors, il devient difficile d’appréhender la première partie de la carrière de Nicolas Baullery, qui commence sans doute vers la fin des années 1580. Si le peintre était déjà cité comme maître juré de la corporation des peintres et sculpteurs en 1592, cela n’indique pas nécessairement une carrière ancienne. La situation de l’institution à cette date, en pleine guerre civile, devait être assez délicate. Bon nombre de peintres, graveurs et sculpteurs, quittent Paris à partir de 1589-1590 et ne reviendront qu’à la fin des hostilités, et il faut noter que les peintres Baullery, père et fils, font ici figure d’exception en demeurant dans la capitale. Le faible effectif des maîtres peintres et sculpteurs, et la situation de crise que connait la ville de Paris pouvait engager la corporation à élire à la jurande des artistes assez jeunes (Baullery devait avoir en 1592 entre 25 et 30 ans) dont la carrière n’était peut-être qu’à ses débuts.

Pour autant, il parait peu vraisemblable que les premières commandes d’ampleur confiées à Baullery ne soient intervenues qu’à la fin des années 1600. Aucun document ne vient témoigner des travaux de l’artiste avant cette date, mais les mentions de Félibien et Florent le Comte, qui indiquaient qu’un « Jérôme Baulleri étoit aussi un de ceux qui peignoient au Louvre » au temps d’Henri IV nous font deviner l’intervention de Nicolas (et non Jérôme, qui est mort en 1598, soit avant le début des chantiers décoratifs du Louvre) dans le domaine du grand décor royal. A partir de cette mention sibylline et erronée, l’historiographie a cherché à rattacher au catalogue de Nicolas Baullery plusieurs tableaux provenant de grands décors peints dans les premières années du XVIIe siècle. Ces attributions, parfois judicieuses ou parfois un peu rapides, ont été prononcées avec dans certains cas une sous-estimation des œuvres peintes signées de Baullery qui devraient pourtant faire figure de point de comparaison stylistique inévitable. Il faut désormais chercher à réexposer la problématique de ces attributions, et proposer une nouvelle lecture de celles-ci au regard des connaissances réunies autour de l’œuvre « sûr » de l’artiste, soit pour les confirmer, soit pour les infirmer.

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1 : « L’Abjuration d’Henri IV » : une hypothèse pour les châteaux de

Meudon ou de Berny ?

En 1985, Jean-Pierre Babelon proposait, en comparaison avec la Nativité de Toulouse, de donner à Nicolas Baullery la paternité d’un mystérieux tableau conservé au musée d’Art et d’Histoire de Meudon, et représentant l’Abjuration d’Henri IV en 1593382. Cette œuvre reste

sujette à de nombreuses interrogations concernant sa provenance, et donc sa datation. Jean-Pierre Babelon proposait d’en faire une commande de la princesse douairière de Guise, Catherine de Clèves, pour son château de Meudon. Le domaine de Meudon, propriété d’Anne de Pisseleu jusqu’en 1552, est cédé à cette date à Charles de Guise, cardinal de Lorraine, qui entreprend la construction d’une grande demeure princière. Agrandi par le Primatice entre 1558 et 1571, le château est doté de jardins inspirés des exemples italiens découverts par le cardinal à Frascati et Tivoli lors de son séjour dans la péninsule383. L’élément le plus célèbre du château de Guise reste la « grotte », une grande fabrique d’agrément ornée par l’équipe du Primatice et de Nicolo dell’Abate. A l’intérieur même du château, Charles de Guise entreprend la décoration des galeries, où il fait représenter des scènes du Concile de Trente, auquel il avait pris part, suivant ainsi les traces du pape Paul III qui avait fait représenter des scènes de sa vie dans son palais de Caprarola384. Au début du XVIIe siècle, le château est la propriété de Catherine de Clèves, veuve d’Henri le Balafré. Il passe de mains en mains au XVIIe siècle, étant acquis par Abel Servien en

1654, puis par Louvois, dont la veuve le cède en 1694 au Grand Dauphin.

On peut imaginer que la duchesse de Guise, dans la lignée des décors réalisés par le cardinal de Guise au milieu du XVIe siècle, ait entrepris de nouveaux chantiers décoratifs ayant trait à des

évènements contemporains. On connait les décors réalisés du temps du cardinal grâce à la description faite par le voyageur hollandais Arnold Van Buchel d’Utrecht, qui visite le château le 12 août 1585. Après avoir admiré la grotte de Primatice, l’auteur décrit « une salle merveilleuse avec des peintures, les plus belles qu’on puisse voir ; elles représentent des personnages au naturel, notamment les différentes ambassades du cardinal auprès de l’empereur Charles-Quint, des souverains pontifs Pie V et Grégoire XIII, du roi catholique Philippe d’Espagne, à Venise, et aussi son élévation au cardinalat, le sacre de Henri II, les Pères du concile de Trente, le colloque de

382 Jean-Pierre Babelon (notice), dans Jean Favier (pref.), Les Huguenots, cat. exp. Paris, Archives Nationales, octobre 1985 –

janvier 1986, Paris, Archives Nationales, 1985, p.30, n°4. La comparaison avec le tableau de Toulouse nous semble assez difficile à tenir.

383 Jean-Pierre Babelon, Châteaux de France au siècle de la Renaissance, Paris, Flammarion, 1989, p.441. 384 Babelon, 1989, p.441.

79 Poissy, le mariage de François II avec la reine d’Ecosse »385, que Jean Adhémar attribue à Georges

Boba386, artiste d’origine flamande et élève de Frans Floris, établi à Reims au service du cardinal

de Lorraine, dont il réalise le portrait (copie à Reims, musée des Beaux-Arts)387. Ces peintures prenaient place dans une galerie, où sept compositions se faisaient face des deux côtés tandis que les extrémités semi-circulaires accueillaient chacune une dernière peinture388.

Si l’on suit les hypothèses de Jean-Pierre Babelon, la duchesse de Guise pouvait avoir fait compléter ce cycle historique par des évènements plus récents, et notamment par celle de l’Abjuration d’Henri IV à Saint-Denis le 25 juillet 1593. D’autres sources supposent que le tableau puisse provenir du couvent des Capucins de Meudon, fondé par Charles de Guise en 1575, mais cette hypothèse s’avère peu vraisemblable389. En l’absence de marché venant documenter

d’éventuelles commandes faites par Catherine de Guise pour son château, il nous parait difficile de confirmer la provenance de ce tableau. Il faut noter par ailleurs que le tableau de Meudon ne met pas en scène les personnages éminents de la famille de Guise, et reste centré sur la figure du roi, ce qui constituerait un écart au thème iconographique initié par les décors peints pour Charles de Lorraine390.

Nous signalons cependant une autre provenance possible : l’étude menée par Jacques Wilhelm concernant le décor aujourd’hui disparu de la galerie du château de Berny, offre une nouvelle piste391. Le château de Berny, près de Sceaux (et donc non loin de Meudon), appartenait au début

du XVIIe siècle à Nicolas Brulart, marquis de Sillery, garde des Sceaux en 1605. On connait la

décoration de la galerie du château, grâce à la description livrée en mars 1641 par Denys

385 L.A. Van Langeraad, A. Vidier, « Description de Paris par Arnold Van Buchel d’Utrecht (1585-1586) », dans Mémoires de

la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 1899, n°26, pp.93-94.

386 Jean Adhémar, « A Representation of the Marriage of Mary Stuart », dans The Burlington Magazine, vol.90, n°542, mai

1948, pp.145-146. Nous verrons que les conclusions de Jean Adhémar doivent aujourd’hui être abandonnées.

387 Huile sur toile, H : 52 x L : 40 cm. Le tableau n’est pas signé. Le portrait présumé de Raoul Copillon, également au musée

de Reims, lui est aussi attribué. Sur Boba, voir notamment : Sylvie Béguin, « Quelques remarques à propos des échanges entre la Flandre, Rome, Fontainebleau et Paris », dans Fiamminghi a Roma 1508-1608, actes du colloque international, Bruxelles, 24-25 février 1995, dans Bollettino d’arte, supplemento al n°100, 1997, p.238. Pour l’analyse la plus récente, voir : Natasja Peeters, « Connecting people. Documenting the activities of the Antwerp painter Hieronymus Francken, and other Floris disciples, in Paris after 1566 », dans Jan Blanc, Gaëtane Maës (dir.), Les échanges artistiques entre les anciens Pays-Bas et la France, 1482-1814, actes du colloque international, Lille, Palais des Beaux-Arts, 28-30 mai 2008, Turnhout, Brepols, 2010, p.124.

388 Louis Dimier avait cru reconnaitre ces tableaux dans les mentions faites par Bailly des tableaux de l’Histoire des Médicis

au Palais du Luxembourg. En réalité, il s’agissait des 10 tableaux peints par des peintres florentins entre 1623 et 1627 pour le cabinet doré de la reine-mère au Luxembourg (7 sont aujourd’hui connus et conservés en mains privés). Louis Dimier, communication dans Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1934, pp.88-92.

389 C’est l’hypothèse fournie par un bulletin paroissial en date de 1939. Voir : Paola Bassani Pacht (notice), dans Paola Bassani

Pacht, Thierry Crépin-Leblond, Nicolas Sainte-Fare Garnot, Francesco Solinas (dir.), Marie de Médicis, un gouvernement par les

arts, cat. exp. Blois, musée du château, 29 novembre 2003 – 28 mars 2004, Paris, Somogy, 2003, p.157.

390 M. Georges Poisson, qui cite également les propositions formulées par Mme Lombard-Jourdan, identifie dans l’officiant

Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, assisté de Jacques Davy Duperron ou Nicolas Hesselin. A l’arrière se tient Charles III de Bourbon, abbé de Saint-Denis et cardinal-archevêque de Rouen, ainsi que les évêques de Maillezais, Le Mans, Chartres, Angers, Digne, Nantes, Sées, et Bayeux. Au premier plan à droite a été reconnu peut-être Henri d’Orléans, duc de Longueville, et Gabrielle d’Estrées, tandis que sur la gauche sont représentés Nicolas de Harlay de Sancy, baron de Maule, et l’abbesse de Soissons. Voir : Georges Poisson, « L’abjuration d’Henri IV », dans Les Amis de Meudon, n°240, avril 2008, pp.18-20.

391 Jacques Wilhelm, « Un décor disparu : les peintures de la galerie du château de Berny illustrant la vie d’Henri IV et la

80 Godefroy392. L’auteur y répertorie 33 tableaux illustrant la vie d’Henri IV, dont, au n°12, « sa

conversion à la religion catholique ». Le style minutieux du tableau, foisonnant de personnages aux visages individualisés, indique une exécution dans les premières années de la décennie 1600. Peut-il s’agir de l’une des compositions peintes pour Berny ? Même si cette provenance se confirme, il reste difficile d’attribuer le tableau à Nicolas Baullery393. La comparaison stylistique

de Jean-Pierre Babelon, dont l’hypothèse d’attribution fut reprise par de nombreux auteurs394, s’arrête aux perspectives exagérées et à la figure repoussoir du hallebardier au premier plan, ainsi qu’à l’isocéphalie des personnages, qui peuvent évoquer de loin les compositions des gravures de Baullery sur l’Entrée d’Henri IV en 1594. Mais la palette riche du tableau, aux couleurs sonores, le canon élancé et élégant des personnages, et les véritables portraits intégré sur chaque visage de l’assistance, éloignent le tableau de l’œuvre connu de Baullery. Echafauder l’idée d’une campagne décorative menée par Nicolas Baullery à Meudon ou à Berny, avec pour thème la vie d’Henri IV, et pour lequel il puisse avoir peint le tableau de Meudon (mais aussi peut-être, originellement, les trois compositions de l’entrée d’Henri IV, traduite après coup en gravure ?), s’avère une tentative risquée, en l’absence de documents plus précis. La question peut rester ouverte si l’on considère que l’artiste a eu, au début des années 1600, un style radicalement différent de celui qui animera plus tard ces grandes compositions religieuses. Mais le tableau de Meudon offre trop de dissemblances avec les gravures réalisées d’après Baullery dans ces années, pour que l’on puisse envisager un tel changement de style, et dans un intervalle d’années aussi court. Paola Bassani Pacht propose pour sa part d’y voir l’œuvre d’un peintre résolument coloriste, tel Jacob Bunel, ou d’un portraitiste de talent, comme Charles (ou plutôt Louis ?) Beaubrun395.

2 : Les tableaux du cabinet de la reine-mère : vestiges de Nicolas