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2 : Le peintre et son atelier : le premier maître de Jacques Blanchard.

Les liens étroits qui unissent les Baullery aux autres familles d’artistes parisiens, et la place éminente que Nicolas Baullery semble avoir occupé au sein de la corporation des peintres et sculpteurs, expliquent que l’artiste a, dès la fin de la décennie 1600, ouvert un atelier destiné à enseigner son art auprès de jeunes apprentis. Ces années coïncident avec la période, déjà vue plus haut, pendant laquelle Baullery s’enrichit et débute un train de vie bourgeois : celui d’un notable parmi les peintres parisiens, sûr de sa condition et de sa valeur. Dès le mois de janvier 1610, il reçoit dans son atelier le jeune Pierre Corfin (ou Corsin), âgé de 19 ans, placé chez lui par Louis Ribier, écuyer, sieur de Villebrosse, qui réside à cette époque rue Michel-le-Comte, paroisse Saint- Nicolas-des-Champs, non loin de la rue de la Verrerie190.

Nous n’avons trouvé aucun autre document se rapportant à la carrière de Pierre Corfin. Il semble pourtant bien avoir exercé le métier de peintre : il épouse à une date inconnue Marie Quesnel, fille de Jacques Ier Quesnel et de Geneviève Baullery (et donc nièce de Nicolas). Cette même Marie Quesnel est dite veuve du peintre Pierre Corfin lors du baptême de sa nièce Madeleine Quesnel (fille de Toussaint) le 13 octobre 1633191.

Si Pierre Corfin reste l’un de ces nombreux peintres méconnus de cette époque, le deuxième élève de Nicolas Baullery, Jacques Blanchard, est bien mieux connu. Jacques Blanchard est le neveu de Nicolas Baullery. On a vu que sa sœur, Judith Baullery, avait épousé en premier lieu le peintre d’origine flamande Théodore Verlant, dont elle avait eu plusieurs enfants192. Veuve vers

1595, elle épouse en secondes noces, le 29 juin 1599, un marchand du nom de Gabriel Blanchard, « natif de Coindrieu »193. Charles Perrault livre le récit de la rencontre entre Gabriel Blanchard et Judith Baullery : Blanchard « ayant esté député à Paris pour les affaires de la Ville, et s’estant logé par hazard chez Jerosme Boleri le meilleur Peintre de son temps, épousa sa fille dont il eut trois

190 Paris, Archives nationales, MC, LXVIII, 91, 29 janvier 1610 (Contrat d’apprentissage). 191 Jal, 1872, p.1026.

192 Jal, 1872, p.244. 193 Jal, 1872, p.222.

38 enfans »194. Or, on a vu que Jérôme était mort en 1598195. Il n’a donc pas pu assister au remariage

de sa fille, et encore moins être le maître de son petit-fils, comme le supposait pourtant Perrault196.

Jacques Blanchard, qui est le premier enfant du couple, nait à Paris en septembre ou octobre 1600197.

C’est Gabriel Blanchard qui met son fils en apprentissage chez Nicolas Baullery au début de l’année 1613. Le contrat prévoit que le jeune apprenti restera cinq années dans l’atelier de son maître, ce dernier devant « monstrer et enseigner a son pouvoir sondit art et mestier de peintre et tout ce dont il se mesle et entretient en iceluy »198. Comme l’a remarqué Jacques Thuillier, le contrat est passé « au pair », ce qui se comprend lorsqu’on songe aux liens familiaux étroits qui unissaient le maître et son élève199. Aucune transaction financière n’est évoquée dans le contrat, et Gabriel Blanchard est chargé d’entretenir matériellement son fils le temps de sa formation. En outre, les liens qui devront désormais unir Nicolas Baullery et Jacques Blanchard seront réellement ceux d’un oncle et d’un neveu : le jeune homme ne devra pas « s’en fuir », et « en cas de fuite ou absence promect sondit père le faire chercher en la ville et banlieu de Paris ».

Les historiographes de Jacques Blanchard avaient connaissance de cet évènement, et, à quelques erreurs près, du nom de Nicolas Baullery200. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui permirent de sauver le nom de Baullery de l’oubli dans lequel sont tombés d’autres artistes de sa génération. Félibien retient entre autre que « ce fut de lui que Jacques Blanchart étant fort jeune, apprit les commencements de la Peinture »201. Florent Le Comte, moins bavard, indique

simplement que Blanchard « apprit chez Nicolas Bollery son oncle »202. Que fut réellement, pour

Blanchard, la nature de cet apprentissage ? Jacques Blanchard a à peine douze ans au début de 1613, lorsqu’il entre dans l’atelier de Nicolas Baullery, situé à quelques mètres de la maison de ses parents. A cet âge et à ce niveau balbutiant, plus qu’un enseignement théorique de l’art, c’est davantage une formation pratique que Baullery dût dispenser à son élève : le choix et la tension de

194 Charles Perrault, Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, avec leurs portraits au naturel, Paris,

Antoine Dézallier, 1700, t.II, p.93.

195 Paris, Archives nationales, MC, LXVIII, 71, 8 janvier 1599 (Bail de la maison de Jérôme Baullery). 196 Perrault, 1700, t.II, p.93.

197 Jacques Thuillier, Jacques Blanchard, 1600 – 1638, cat. exp. Rennes, musée des Beaux-Arts, 6 mars – 8 juin 1998, Rennes,

musée des Beaux-Arts, 1998, p.42. L’auteur propose de situer la naissance de Jacques Blanchard à la fin du mois de septembre et son baptême le 1er octobre.

198 Paris, Archives nationales, MC, CV, 191, 31 janvier 1613 (Contrat d’apprentissage). Le contrat a été publié : voir Jacques

Thuillier, « Documents sur Jacques Blanchard », dans Hommage à François-Georges Pariset, Bulletin de la Société de l’Histoire

de l’art français, (année 1976), 1978, p.89, pièce justificative I, et Thuillier, 1998, pp.43-44.

199 Thuillier, 1978, p.89.

200 Perrault confond Nicolas et Jérôme Baullery (Perrault, 1700, t.II, p.93).

201 André Félibien, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, avec la vie des

architectes, Paris, A. Trévoux, 1725, t.III, septième entretien, p.388.

202 Florent Le Comte, Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture et graveure, ou introduction à la

connoissance des plus beaux Arts, figurez sous les Tableaux, les Statues, & les Estampes, Paris, E. Picart et N. Le Clerc, 1700,

39 la toile, la construction du châssis de bois, le broyage des pigments, étaient nécessaires à maîtriser avant toute considération de style ou de mise en scène d’un tableau. C’est sûrement à juste titre que les historiographes ont minimisé cette période d’apprentissage de Blanchard dans l’atelier de Baullery. Ainsi, Félibien précise qu’ « il n’avoit pas fait encore un grand progrès, lors qu’âgé de vingt ans, il sortit de Paris, pour aller en Italie »203. Avant d’arriver dans la péninsule, Blanchard s’arrête à Lyon, où il intègre l’atelier du peintre Horace Le Blanc204. Les forts liens stylistiques qui

unissent l’art d’Horace Le Blanc aux premiers tableaux connus de Blanchard incitent à voir ici le réel poids artistique qu’un maître pouvait laisser dans le métier de son élève. A ce titre, l’un des premiers tableaux attribuables à Blanchard, un Vœu à la Vierge conservé dans l’église Saint-Denis- de-la-Croix-Rousse de Lyon, a aussi été attribué à Le Blanc205. Le « vénétianisme » de la palette, la douceur des paysages nuageux, la lumière dorée et la sensualité des nus sont autant de points communs entre Jacques Blanchard et Horace Le Blanc, et c’est sans doute auprès de ce second maître que le jeune artiste a réellement forgé son esthétique206. On a pourtant voulu voir, dans certaines réminiscences « maniéristes » de Blanchard – au premier rang desquels figurent la Flore de la collection Thuillier (Vic-sur-Seille, musée Georges de La Tour), et Angélique et Médor (New-York, The Metropolitan Museum of Art) – une révérence envers ce premier enseignement reçu dans l’atelier de Nicolas Baullery207. C’est davantage dans le cercle proprement bellifontain,

autour de Primatice et de ses émules, qu’il faut placer ces citations rétrospectives : ces grands nus féminins, de dos, monumentaux et sensuels, s’inspirent des grands décors de Fontainebleau (notamment de la salle de bal décorée par Primatice) et des tableaux de Toussaint Dubreuil, et ont peu à voir avec les corps plus sombres et charpentés que nous verrons de Baullery. Cette persistance de l’esthétique bellifontaine n’est d’ailleurs pas un cas isolé parmi les artistes parisiens actifs dans les années 1630. D’autres figures contemporaines, parmi lesquelles Laurent de La Hyre ou Lubin Baugin, poursuivent également dans certaines de leurs toiles la sensualité de l’Ecole de Fontainebleau208.

Après le passage de Blanchard dans son atelier, les archives sont muettes quant à d’autres élèves éventuels de Baullery. Le frère de Jacques Blanchard, Jean, est formé dans l’atelier d’un autre

203 Félibien, 1725, t.III, septième entretien, p.388.

204 Sur Le Blanc et son atelier, voir notamment : Gert-Rudolf Flick, Masters and Pupils. The Artistic Succession from Perugino

to Manet, 1480-1880, Londres, Hogarth Arts, 2008, pp.138-144.

205 Thuillier, 1998, n°3, p.84. Voir Pl.30.

206 Mademoiselle Oriane Lavit rédige actuellement, sous la direction de M. Olivier Bonfait, un mémoire de 5ème année de

l’Ecole du Louvre consacré au peintre Horace Le Blanc. Cette étude très approfondie apportera certainement des éclaircissements sur les liens stylistiques entre ce dernier et Jacques Blanchard.

207 Thuillier, 1978, p.82. Voir Pl.31 et Pl.32.

208 Jacques Thuillier, « Fontainebleau et la peinture française du XVIIe siècle », dans André Chastel (dir.), L’Art de

Fontainebleau, actes du colloque international, Fontainebleau et Paris, 18, 19, 20 octobre 1972, Paris, éd. du CNRS, 1975, pp.249-

266. L’auteur rassemble un corpus important autour de cette notion de pérennité bellifontaine dans la peinture française du XVIIe

40 oncle, Jacques Quesnel209. Pour autant, Baullery semble avoir toujours gardé contact avec la

famille Blanchard, et notamment avec son ancien élève : il figure parmi les signataires lors du mariage de Jacques Blanchard avec Suzanne Castillon en janvier 1630, soit quelques mois seulement avant sa mort210.

209 Paris, Archives nationales, MC, XII, 50, 18 janvier 1621 (Contrat d’apprentissage). Jean Blanchard est dit âgé de 13 ans.

Le contrat est signé par Judith Baullery, et le peintre cette fois est rémunéré. Voir : Marie-Antoinette Fleury, Martine Constans,

Documents du minutier central des notaires de Paris. Peintres, sculpteurs et graveurs au XVIIe siècle (1600-1650), t.II, Paris,

Archives Nationales, 2010, p.538, n°1886.

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II : Autour de l’œuvre sûr : Nicolas Baullery,