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La collaboration entre Nicolas Baullery, Léonard Gaultier, et Jean Leclerc se poursuit après 1606. Baullery donne le dessin pour une nouvelle gravure historique, représentant le sacre de Marie de Médicis à Saint-Denis. Donnant lieu à la création d’un nouveau placard, ce Pourtraict du Sacre et Couronnement de Marie de Médicis, Royne Très-Chrestienne de France & de navarre, faict à Sainct Denis en France le Ieudy 13 de mai 1610, porte « l’invenit » de Nicolas Baullery et fut publié « avec privilège du Roy » en 1610318. La scène, qui se déroule la veille de l’assassinat d’Henri IV, est traitée avec plus de solennité que les épisodes de l’entrée d’Henri IV dans Paris319,

et élimine les détails fantaisistes et populaires pour se concentrer sur la gravité du moment. Baullery décrit minutieusement les visages des différents protagonistes, clercs, dames de la cour et grands du royaume. Pour autant, il serait abusif de les considérer comme des portraits : si les traits du visage sont précisément décrits, ils semblent peu individualisés, et l’artiste a systématisé le type du visage masculin mûr, la barbe en pointe et les cheveux bouclés, et du visage féminin aux joues rondes et à la coiffure dégageant le front et ornée de joyaux. Marie de Médicis est agenouillée au premier plan entre le dauphin Louis et la princesse Elisabeth, tandis que la reine Marguerite se tient à l’écart320. Les cardinaux de Joyeuse et du Perron officient, entourés de

nombreux évêques et de prélats. Le roi assis dans une loge, chapeau à la main et dominant la scène n’apparait pas dans les premiers états de la gravure, et n’est rajouté que dans un état ultérieur : dater cette modification reste difficile, mais la gravure porte à cet endroit les traces d’un vitrail, effacé au brunissoir, afin d’y placer la figure royale. Seule concession faite à l’anecdote qui rythmait pourtant les gravures de l’Entrée d’Henri IV, une figure masculine se détachant de la foule compacte des invités (dont le nombre est évoqué, là encore, par des petites boules ombrées rapetissant à mesure qu’elles s’éloignent) et qui grimpe sur l’une des piles de la cathédrale pour mieux observer la scène321.

Contrairement aux gravures sur l’Entrée d’Henri IV, celle représentant le Sacre de Marie de Médicis n’a pas fait l’objet de traduction en vitrail et n’est pas utilisée par les historiographes dans

318 Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie, Réserve, QB-201 (15), fol.

319 C’est le constat qu’en tire M. Sylvain Kerspern, qui y note une consolidation du style de Nicolas Baullery (Kerspern, 2005). 320 Notice de Paul Mironneau, dans Monica Bietti, Francesca Fioretti-Malesci, Paul Mironneau (dir.), « Paris vaut bien une

messe ! ». 1610. Hommage des Médicis à Henri IV, roi de France et de Navarre, cat. exp. Pau, musée national du château, 1er avril

– 30 juin 2010, et Florence, Museo delle cappelle Medicee, 15 juillet – 2 novembre 2010, Paris, éd. de la Réunion des musées nationaux, 2010, p.220.

321 Sur cette gravure, voir aussi : Cynthia Burlingham, « Le portrait comme instrument de propagande : l’estampe sous le règne

d’Henri IV », dans G. Beslitz, H. Zerner, N. Vickers, M.F. Gibson, La gravure française à la Renaissance à la Bibliothèque

nationale de France, cat. exp. Los Angeles, UCLA, Armand Hammer Museum of Art, 1er novembre 1994 – 1er janvier 1995,

New-York, The Metropolitan Museum of Art, 12 janvier – 19 mars 1995, Paris, bibliothèque nationale de France, 20 avril – 10 juillet 1995, Los Angeles, Grunwald Center, for Graphic Arts, University of California, 1994, pp.148-149.

64 leurs évocations du royaume de France. « L’invenit » de Nicolas Baullery ne permet pas non plus de savoir si l’œuvre fut traduite en peinture. Il faut cependant signaler dans la vente de la collection d’Hippolyte Destailleur le 19 mai 1896 la présence de deux dessins alors attribués à Toussaint Dubreuil, représentant L’Entrée d’Henri IV dans Paris par la porte de la Prévôté, et le Couronnement de Marie de Médicis à Saint-Denis, réputés provenir de la collection Sauvageot322. Faut-il les rendre à Nicolas Baullery et y voir les dessins préparatoires aux gravures ? Néanmoins, il faut préciser que les deux dessins ont les mêmes dimensions (23,5 x 16,5 cm), ce qui en fait des compositions en hauteur, de beaucoup plus petites tailles que les gravures qui se déploient toutes deux en largeur.

Plusieurs gravures ont, à la suite de celle du Sacre de Marie de Médicis, été attribuées au dessin de Nicolas Baullery. L’une, représentant le Baptême du dauphin, éditée par Jean Leclerc et gravée par Léonard Gaultier, ne porte pas d’autres signatures, mais peut dans un sens faire pendant à la gravure d’après Baullery323. Le style est assez similaire, même si le burin de Léonard Gaultier peut

avoir tendance à uniformiser le style de ses gravures, en estompant la main du dessinateur ou du peintre. Paola Bassani Pacht a également proposé de voir en Nicolas Baullery l’auteur du dessin préparatoire (perdu) à la gravure du Sacre de Louis XIII, de Jan Van Halbeeck324, également édité

sous la forme d’un placard, Le Sacre et Couronnement du Roy très chrestien Louys XIII, Roy de France et de Navarre, celebré à Reims, le dimanche dix-septiesme octobre M.DC.X en 1610325. Si

la gravure de Halbeeck offre quelques similitudes avec celle du sacre de Marie de Médicis (notamment dans les effets de perspective), elle accuse cependant un style moins minutieux, et une manière plus « naïve » qui ne permet pas d’attribuer sa conception à Baullery en se référant uniquement au style. Il faut peut-être voir dans cette gravure une réinterprétation rapide et moins aboutie d’une gravure de Pierre Firens d’après le dessin de François Quesnel sur le même sujet, et

322 Dessins à la plume avec rehauts d’or et sépia, H : 23,5 x L : 16,5 cm, non reproduits. Catalogue de dessins et tableaux

provenant de la collection de feu M. Hippolyte Destailleur. Dessins d’architecture et de décoration, vues de Paris et de ses environs, dessins de différents genres, Paris, Damascène Morgand, 1896 (vente Paris, Drouot, 19 mai 1896), p.107, n°600. Le catalogue précise en outre que les dessins sont « destinés à être reproduits en tapisserie ». Sylvie Béguin avait souhaité rapprocher cette mention de la production de Baullery (Dominique Cordellier, « Toussaint Dubreuil, singulier en son art », dans Bulletin de la

Société de l’Histoire de l’art français, (année 1985), 1987, p.30, note 54).

323 La gravure fut publiée « Avec privilège du Roy » dans un placard de 1606 : Représentation des cérémonies et de l’ordre

gardé au Baptesme de Monseigneur le Dauphin et de Mes Dames, ses sœurs, à Fontainebleau le 14 jour de septembre 1606 (Paris,

BnF, département des Estampes et de la Photographie, Réserve, QB-201 (14), fol). Voir : Burlingham, 1994, pp.148-149. Voir Pl.44.

324 Paola Bassani Pacht, « Marie de Médicis et ses artistes », dans Le « Siècle » de Marie de Médicis, actes du séminaire de la

chaire rhétorique et société en Europe (XVIe – XVIIe siècle) sous la direction de Marc Fumaroli, de l’Académie Française, collège

de France, 21 – 23 janvier 2000 (études réunies par Françoise Graziani et Francesco Solinas), dans Franco-Italica, Numéro Spécial, n°21-22, Alessandria, edizioni dell’Orso, 2002, p.90, note 52.

65 édité la même année326. L’épisode du sacre de Louis XIII fit l’objet de trois placards gravés par

trois artistes différents, et semblant illustrer trois moments successifs de la cérémonie. Outre celles de Halbeeck et de Firens, la Bibliothèque nationale de France conserve le troisième placard, gravé par Thomas de Leu d’après François Quesnel. Il n’est pas incohérent de voir en Quesnel l’auteur unique des dessins préparatoires aux trois estampes.

On peut en revanche trouver quelques similitudes entre le style de Baullery et la gravure réalisée par Pierre Firens représentant Henri IV touchant les écrouelles (exemplaire à Pau, musée national du château), publiée sous forme de placard dans l’ouvrage d’André du Laurens A. Laurentis de strumis earum causis et curae, à Paris en 1609327. Les ombres vives qui découpent les visages et les costumes, de même que la variété des gestes et les mouvements des têtes rappellent par endroits la manière de Baullery, sans que cette paternité puisse être affirmée avec certitude. En tous les cas, la gravure du Sacre de Marie de Médicis témoigne de l’activité prolixe de Nicolas Baullery comme illustrateur d’évènements contemporains, auxquels il imprime sa vision pittoresque et anecdotique.

On retrouve une dernière fois Nicolas Baullery aux côtés de Jean Leclerc dans l’édition d’un Livre de Portraiture, dont Baullery conçoit le frontispice. Ce Livre de portraiture contenant par une facille instruction plusieurs plans et figures de toutes les parties séparées du corps humain, recueillies des plus excellens peintres de toute l’Itallye est édité par Jean Leclerc en 1610, comprenant 36 folio de planches gravées sur cuivre, représentant les parties du corps vus sous différents angles, des visages inspirés de l’Antique, de copies d’après des statues ou des effigies, et des visages d’enfants. La 22ème gravure, représentant le visage d’un enfant aux cheveux longs

et à l’air effrayé, comporte la signature de Jan Van Haalbeck, qui semble bien être l’auteur de la totalité des gravures. L’auteur des dessins est sans doute un artiste connaisseur des objets antiques, et qui a probablement exécuté un voyage en Italie. Il serait surprenant d’y voir l’œuvre de Nicolas Baullery. Seuls deux exemplaires de ce livre de Portraiture sont aujourd’hui connus328.

Le frontispice, dont l’invention revient à Baullery mais dont le graveur reste inconnu, évoque parfaitement l’art du peintre et révèle son style aux alentours de 1610. On remarque déjà ces ombres tranchées qui découpent les silhouettes et les visages, et cette chorégraphie de têtes

326 Le dessin de François Quesnel a été acquis en 2012 par la Bibliothèque nationale de France (département des Estampes et

de la Photographie, Réserve, B-6 e, boîte in-folio), qui conserve également le placard comportant la gravure de Pierre Firens. Sur ce dessin, voir notamment : Barbara Brejon de Lavergnée (dir.), Dessins français du XVIIe siècle, collections du département des

Estampes et de la Photographie, cat. exp. Paris, Bibliothèque nationale de France, 18 mars – 15 juin 2014, Paris, Bibliothèque

nationale de France, 2014, p.38, n°9 (notice de Vanessa Selbach). Voir Pl.45 et Pl.46.

327 La gravure porte tantôt le « fecit », tantôt « l’excudit » de Pierre Firens. Le placard est accompagné d’une légende en français

(Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie, Réserve, QB-201 (14) fol.). Voir Pl.47.

328 Nous avons consulté l’exemplaire conservé à la Bibliothèque de l’Institut national d’Histoire de l’Art (relié avec un autre

Livre de Portraiture gravé par Pierre Firens). L’autre exemplaire connu est conservé à la Bibliothèque de la section Droit-Lettres

66 tournées ou penchées qui donnent un dynamisme à la composition. La maladresse du rendu de certains visages revient en propre au dessin de Baullery, qui affiche ici encore des faciès dissymétriques, aux lignes sourcilières dures, et un « profil perdu » aux effets presque canins, que l’on retrouvait déjà dans ces compositions peintes. Mais l’artiste sacrifie ici aux impératifs du frontispice décoratif en dessinant des personnages généralement absents de son répertoire connu : petits putti afférés à l’écriture ou tenant palette et pinceau, et surtout deux nymphes dénudées, appuyées sur l’oval du titre de l’ouvrage, aux canons proches des figures féminines de l’Ecole de Fontainebleau. Si le graveur semble avoir mal compris l’articulation des mains et le placement des muscles, leur corps allongé et sensuel, et les mouvements de leurs jambes rappellent de loin les figures peintes par Primatice pour la galerie basse de Fontainebleau, connues aujourd’hui par des dessins préparatoires.

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C : La série du Pas des Armes de Sandricourt, jalons pour