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Les inventaires après décès de Nicolas Baullery et ceux d’autres personnalités de son entourage révèlent un aspect moins perceptible de l’art du peintre : celui d’un producteur d’images religieuses de petites dimensions et de faible valeur. Les petites peintures de dévotions sont incontestablement le genre le plus répandu dans les collections parisiennes, animant les intérieurs bourgeois, quels que soit leurs niveaux d’aisance. Ces tableautins à l’exécution rapide, facilement transportables, souvent inspirés par la gravure, ont sans doute occupé l’essentiel de la carrière de nombreux

279 Huile sur bois, H : 67 x L : 52 cm, classé monument historique en 1991. Cette attribution fantaisiste provient de la base de

données du ministère de la Culture, et n’a pas été publiée. Le même procédé a entrainé une fausse attribution de L’Adoration des

bergers conservée dans la cathédrale Sainte-Marie de Dax (Landes), huile sur toile pour laquelle l’attribution à Baullery a sans

doute été guidée par ses accents bassanesques. Voir Pl.40.

280 Huile sur toile, H : 142 x L : 90 cm. Le tableau de Chessy, dont l’exécution doit se situer dans l’entourage des artistes de la

Seconde Ecole de Fontainebleau, doit être rapprochée de l’Adoration des bergers anonyme conservée dans l’église de Condé- Sainte-Libiaire (Seine-et-Marne), huile sur bois qui fut successivement attribuée à Jacob Bunel (Sylvain Kerspern), Jérôme Francken, puis Martin Fréminet, voire Jean d’Hoey (Cécile Scailliérez). Voir Pl.41 et Pl.42.

55 peintres parisiens de cette époque, et leur nature nombreuse et de qualité inégale explique certainement que peu d’exemples aient survécu jusqu’à nos jours.

L’inventaire après décès du peintre signale la présence, dans la chambre et dans la garde-robe, de plusieurs petits tableaux, de faible valeur, dont un grand nombre évoque des scènes religieuses281. On y trouve des représentations de saints : Saint Paul écrivant, Saint Mathieu et l’ange, et plus loin deux têtes de la Madeleine et de saint Jean, peut-être préparatoires à une composition illustrant la Crucifixion282. On retrouve également le thème de la Nativité, traité à de nombreuses reprises par l’artiste. S’agit-il d’un modello préparatoire à l’une des peintures déjà citées, ou une réplique autographe ? La question reste ouverte, mais elle confirme le thème de la Nativité et de l’Adoration des bergers comme les sujets de prédilection du peintre. L’inventaire de Nicolas Baullery signale également un David (cité aux côtés du Saint Paul écrivant, il pourrait fonctionner en pendant de celui-ci, ce dernier évoquant l’écriture sacrée tandis que David illustre la musique). On repère également la mention d’une Suzanne (peut-être une Suzanne épiée par des vieillards ?), un Christ mort, et à deux reprises le thème du Christ au jardin des oliviers, dont l’une des compositions est précisée être « de blanc et noir », c’est-à-dire en grisaille. Cette liste révèle la diversité des sujets traités par le peintre. Elle comporte sans doute, plus que des études préparatoires, des tableaux de dévotion, destinés au propre usage de l’artiste ou à la clientèle bourgeoise parisienne.

D’autres inventaires nous apprennent l’existence de tableaux religieux de Nicolas Baullery dans des collections de peintres parisiens.

Des mentions particulièrement signifiantes sont faites dans l’inventaire après décès de Sara Lhermytte, dressé à la requête de son époux le peintre Pierre Desmartin en 1621283. Trois tableaux sont signalés comme étant « faict de la main de Sieur de Bollery, paintre à Paris », dont une « Tentation de saint Antoine » et un « Notre Seigneur guérissant les impotents au Temple », estimés ensemble 108 livres. Il est précisé que les tableaux sont vus « « Dans le grand cabinet du château des Tuileries » et qu’ils mesuraient 5 pieds de long (soit 160 cm de large, soit de dimensions assez importantes pour des tableaux religieux destinés aux cabinets d’amateurs). Pierre Desmartin, maître peintre de Saint-Germain-des-Prés puis de Paris, était d’origine flamande,

281 Paris, Archives nationales, MC, CV, 260, 19 avril 1630 (Inventaire après décès de Nicolas Baullery).

282 On peut songer à la Crucifixion, déjà évoquée, peinte par son père Jérôme pour l’église de Montreuil. L’hypothèse d’études

peintes par Jérôme Baullery en vue de cette commande de 1591 ne doit pas être écartée, même si la réalisation de peintures préparatoires pour des tableaux religieux semble une pratique rare à l’époque.

56 installé dans la capitale vers 1600284. Il complétait son métier de peintre par celui de « marchand

de la Chyne » (il possédait une loge à la foire de Saint-Germain) et « garde du cabinet des raretés et curiosités de la Chine et autres de Sa Majesté ». Par ce métier de marchand, il a gardé longtemps contact avec des marchands flamands285. Il obtint par lettres patentes de 1608 un logement au Louvre, logement dans lequel on retrouve les tableaux de Baullery. Ces tableaux sont de nouveau cités dans l’inventaire après décès de Desmartin en 1639 : « item trois tableaux pintz sur thoille de Bollery sans bordure en l’un desquelz est représenté une nopce de village, en l’autre une tentation de sainct Anthoine et en l’autre nostre seigneur guérissant au temple les mallades, cottez numéro six, sept et huict, prisez ensemble vingt cinq livres »286. Cette dépréciation de la valeur des trois tableaux de Baullery entre 1621 et 1639 s’explique peut-être par les changements de goûts opérés pendant cette période auprès de la clientèle parisienne. L’arrivée de Simon Vouet à Paris en 1627 et le succès de son style, diffusé par un atelier prolixe, a sans doute entrainé une baisse de la demande concernant les tableaux de cabinet peints par la génération précédente, tournée vers une esthétique qui n’offrait plus la même séduction que par le passé.

M. Sylvain Kerspern a proposé de reconnaitre dans le Christ guérissant les malades au temple de la collection Desmartin une œuvre aujourd’hui au Louvre représentant le Christ guérissant le boiteux, attribuée jusqu’ici à l’école vénitienne, et plus précisément à l’entourage de Tintoret287.

Le tableau souffre de nombreux manques, et la partie inférieure de la toile (très détendue) est recouverte de chancis, ce qui empêche de juger correctement du style de l’œuvre288. Sa paternité

vénitienne ne semble pourtant pas devoir être remise en cause : si le petit garçon devant la figure du Christ pourrait effectivement évoquer l’art de Nicolas Baullery, il faut remarquer que le personnage féminin assis au centre du tableau, au profil élégant et à la chevelure retenue par des tresses, évoque trop l’art de Tintoret et de son entourage pour que l’on suggère une main française, même très inspirée par Venise. D’ailleurs, Luigi Menegazzi a dès 1958 proposé de rapprocher ce tableau de l’art de Lodewijk Toeput, dit « Il Pozzoserrato » (vers 1550 – 1605), peintre flamand

284 M. Mickaël Szanto a livré une biographie synthétique de Pierre Desmartin : Mickaël Szanto, Le marché de la peinture à la

foire Saint-Germain dans la première moitié du XVIIe siècle, mémoire de DEA sous la dir. d’Antoine Schnapper, Université Paris

IV Sorbonne, 1996, pp.28-39 et 69.

285 On le retrouve notamment en affaires avec le marchand anversois Peeter Van Haecht concernant la fourniture de quelques

satins de Bruges (Paris, AN, MC, X, 46, 15 avril 1622). Voir : Fleury, 1969, p.195.

286 Paris, Archives nationales, MC, XLII, 97, 29 décembre 1639, fol.6, verso (Inventaire après décès de Pierre Desmartin).

Voir : Szanto, 1996, p.150.

287 Huile sur toile, H : 169 x L : 233 cm, Paris, musée du Louvre, inv.157. Pour l’attribution à Nicolas Baullery, voir : Kerspern,

2014a. Pour des considérations plus générales, voir : Elisabeth Foucart-Walter, Jean Habert, Stéphane Loire, Cécile Scailliérez,

Dominique Thiébaut, Catalogue des peintures italiennes du musée du Louvre. Catalogue sommaire, Paris, Gallimard et Musée du Louvre, 2007, p.103.

288 Le tableau, qui souffre de nombreux soulèvements de matière, connait également des déchirures sur les bords de la toile,

dont le rentoilage se décolle et dont les coutures lâchent. En 2002, des agrafages ont été effectués sur les bords et des papiers de protections ont été placés sur les déchirures.

57 italianisé qui a traité à plusieurs reprises des sujets liés aux miracles du Christ ou des Apôtres, dans la lignée des tableaux de son contemporain Martin de Vos289.

Notons que le neveu de Nicolas Baullery, le peintre Jean Blanchard (frère de Jacques), possédait un tableau de même sujet, un « miracle de Notre Seigneur qui guari les estropies », « original du Sieur bollerie, garnye de sa bordure de bois blanc », signalé dans son inventaire après décès en 1665290. S’agit-il du même tableau ? Aucune trace d’une transaction entre les héritiers de Pierre Desmartin et la famille Blanchard n’a été retrouvée, et il est parfaitement possible que Baullery ait peint plusieurs fois ce thème.

Nous avons d’abord cru pouvoir rapprocher de cette production privée un dessin conservé au département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France, représentant la Vierge à l’enfant en gloire entourée d’anges entre saint François d’Assise et saint François de Paule avec deux donateurs, avec la figure de sainte Anne trinitaire291. On comprend les motivations de l’érudit anonyme qui indiqua à une date inconnue le nom de « Bollery » à la pierre noire, en bas du dessin : les visages penchés laissent apparaitre les simples lignes des joues et des paupières, les drapés artificiellement noués et la nuée d’anges, sont des caractéristiques déjà remarquées dans les tableaux signés de Baullery. Il faut cependant, après les découvertes de M. Eric Pagliano, rendre ce dessin au peintre napolitain Francesco Curia (1538 – 1610)292, dont d’autres dessins ont une

iconographie semblable293.

289 Luigi Menegazzi avait publié cette proposition dans son étude monumentale dédiée au Pozzoserrato (Luigi Menegazzi, Il

Pozzoserrato, Venise, Venezia Neri Pozza, 1958). Il avait rapproché ce type d’œuvre des peintures de Martin de Vos un an plus

tôt (Luigi Menegazzi, « Ludovico Toeput (il Pozzoserrato) », dans Saggi et Memorie di storia dell’arte, I, 1957, p.171). L’auteur évoque notamment les cinq tableaux commandés à Martin de Vos par le marchand anversois Aegidius Hooftman vers 1566-1568 pour sa salle-à-manger. Le tableau représentant Saint Paul et le serpent à Malte est conservé au Louvre (inv.1931).

290 Paris, Archives nationales, MC, IV, 192, 23 avril 1665 (Inventaire après décès de Jean Blanchard). Voir : Sterling, 1961,

p.104.

291 Plume et encre brune, lavis d’encre violette, sur papier crème, H : 42,5 x L : 30,1 cm, Paris, Bibliothèque nationale de

France, département des Estampes et de la Photographie, Rés. B 25 (1).

292 Sur cet artiste, et sur ses compositions peintes évoquant fortement le dessin de la Bibliothèque nationale, voir surtout :

Ippolita di Majo, Francesco Curia, L’opera completa, Naples, electa napoli, 2002, pp.133-134. Beaucoup d’éléments du dessin se rapprochent de la Gloire de la Vierge peinte dans un compartiment du plafond de l’église Santa Maria Nova de Naples.

293 Eric Pagliano, « Figure de la séparation d’un espace sacré et d’un espace profane : un dessin de Francesco Curia à la

Bibliothèque nationale de France », dans Francesco Solinas et Sebastian Schütze (dir.), Le dessin napolitain, actes du colloque international, Paris, Ecole normale supérieure, 6-8 mars 2008, Rome, De Luca, 2010, pp.39-42. Il s’agit d’un dessin de présentation, destiné à être soumis aux commanditaires. L’auteur révèle l’existence d’une feuille d’études préparatoires à la composition dessinée, conservée au nationalmuseum de Stockholm (inv.n.NM 718/1863). Le grand dessin de la Bibliothèque nationale prépare sans doute un tableau (perdu ou jamais réalisé ?) destiné à une église franciscaine ou des Minimes.

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