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1 : Nicolas et non Jérôme : à la recherche d’un corpus graphique.

Le corpus graphique de Nicolas Baullery reste particulièrement maigre, et appréhender sa manière dans le domaine du dessin reste un exercice délicat, qui a pourtant occupé à plusieurs reprises les chercheurs. Aucun dessin préparatoire à ces œuvres peintes ou gravées n’a été retrouvé, et son inventaire après décès ne mentionne qu’un « portefeuille remply de desseings et de quelques pieces » estimé à 100 sols329. Le détail de ce qu’il contenait n’est pas évoqué. On note également l’existence, dans l’inventaire après décès de son gendre Simon Cornu, un « dessein de blanc et noir du Sr. Bolery, prisé VIII lt. »330, somme assez importante, sans que son sujet ne soit précisé.

A partir de ces minces témoignages, l’étude de l’œuvre dessiné de Baullery en est réduite à des conjectures. On a vu l’erreur d’attribution concernant la Vierge à l’enfant entre saint François d’Assise et saint François de Paule conservé à la Bibliothèque nationale. Patrick Dupont et Juliette Rigal ont proposé, en 1990, d’attribuer à Nicolas Baullery un autre dessin conservé au château de Pau, à l’iconographie complexe, identifié successivement comme une Allégorie ayant trait aux mariages espagnols331, puis comme une Allégorie des Bourbons et du sacre de Louis XIII332. Le dessin est aujourd’hui retourné – à raison – dans l’anonymat et a été identifié par Paul Mironneau comme une Allégorie de la maison de France, plaçant les membres de la famille royale sous l’égide de saint Louis et des allégories de l’Eglise et de la France, mise en scène peut-être créée en vue d’illustrer un almanach. L’identification des personnages permet en outre de dater le dessin entre 1609 et 1611333. Le style du dessin, particulièrement minutieux, animé par un goût du détail et par le canon miniaturiste des différents personnages, est assez éloigné de l’art plus large et monumental de Nicolas Baullery. L’attribution du dessin à Baullery ne repose sur aucune justification réelle, et il faudrait peut-être rapprocher cette œuvre des portraitistes de la cour, parmi lesquels Quesnel, Beaubrun, ou d’autres artistes dont le corpus est encore à reconstituer.

329 Paris, Archives nationales, MC, CV, 280, 19 avril 1630 (Inventaire après décès de Nicolas Baullery).

330 Paris, Archives nationales, MC, CXII, 44, 23 août 1644, fol.9, verso (Inventaire après décès de Simon Cornu), cité dans :

Beresford, 1985, p.133.

331 Jacques de Laprade, Juliette Rigal, L’Assassinat d’Henri IV, catalogue et notices biographiques et généalogiques, cat. exp.

Pau, musée national du château, mai-octobre 1968-1969, Pau, Société des amis du château de Pau, 1968, n°603, p.104.

332 Patrick Dupont, Juliette Rigal, Musée national du château de Pau. Dessins des collections du XVIe-XIXe siècles, cat. exp.

Pau, musée national du château, mai – août 1990, Pau, musée national du château, 1990, n°19.

333 Paul Mironneau, Avec panache, dessins des collections du château de Pau, cat. exp. Pau, musée national du château, 23

68 En 1988, Sylvain Kerspern avait attiré l’attention sur quelques dessins, préparant des gravures destinées à illustrer le célèbre ouvrage de Blaise de Vigenère (1523 – 1596), Les images ou tableaux de platte peinture des deux philostrates sophistes grecs. Il proposait de rapprocher de Nicolas Baullery les dessins illustrant Antigone (Besançon, musée des Beaux-Arts), La Naissance de Mercure (Turin, Biblioteca Reale), Dodone (Turin, Biblioteca Reale), et Midas (Paris, ENSBA), cherchant à éclaircir les zones d’ombres qui enveloppent encore la réalisation des illustrations de cet ouvrage334. Le célèbre livre de Vigenère est publié entre 1578 et 1596, mais ne fera l’objet d’édition illustrées qu’à partir de 1614, étant édité à de nombreuses reprises jusqu’en 1637335. L’ouvrage se présente comme un recueil de description de près de 65 peintures mythologiques prétendument visibles pendant l’Antiquité sous un portique de Naples, sans doute inventées par l’auteur des descriptions, Philostrate le vieux dit « de Lemnos » (IIe – IIIe siècle de

notre ère). La traduction illustrée de Vigenère propose près de 68 planches gravées (plus un frontispice), représentant pour 65 d’entre elles les Images de Philostrate le Vieux, tandis que trois autres planches illustrent respectivement les Images de Philostrate le jeune, les Héroïques de Philostrate le Vieux, et les Descriptions des statues, de Callistrate, placées à la fin du recueil. Seulement dix gravures portent « l’inventor » d’Antoine Caron, qui a participé aux projets d’illustration dès 1596 mais meurt en 1599, sans doute avant d’avoir pu proposer les dessins préparatoires de toutes les gravures336. William McAllister Johnson a recensé les auteurs des

compositions gravées : 11 sont réalisées par Léonard Gaultier, 21 par Jaspar Isaac, tandis que 16 gravures sont attribuées à un graveur anonyme français (dont celles d’Antigone et de Dodone), et 20 à un « anonyme franco-flamand » (dont Midas et La Naissance de Mercure)337. L’auteur des compositions de ces quatre gravures n’est pas connue, mais il n’est pas garanti que les quatre dessins soient préparatoires aux gravures de l’ouvrage. Ainsi, Jean Ehrmann indique que les quatre dessins (auxquels s’ajoute celui représentant Les Fables, conservé à Copenhague, Statens Museum for Künt) sont peut-être d’habiles copies réalisées d’après la gravure (car dans le sens des compositions gravées)338. Il est donc tout à fait possible que les dessins originaux perdus aient été réalisés par Caron ou son entourage proche. Dès 1955, Ehrmann admettait que toutes les illustrations de l’ouvrage, bien que de factures inégales liées aux différents graveurs, portaient la

334 Kerspern, dans cat. exp. Meaux, 1988, p.82. Voir Pl.48.

335 William McAllister Johnson, « Prolegomena to the Images ou tableaux de platte peinture with an excursus on two drawings

of the school of Fontainebleau », dans Gazette des Beaux-Arts, mai-juin 1969, t.73, p.291. L’auteur répertorie toutes les éditions illustrées de l’ouvrage. Nous avons personnellement consulté l’exemplaire conservé à la Bibliothèque des Arts décoratifs, publié en 1614.

336 Jean Ehrmann, Antoine Caron, Paris, Flammarion, 1986, p.182.

337 McAllister Johnson, 1969, pp.300-302. L’auteur se base sur l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France,

publié en 1637.

69 marque d’une influence forte de Caron et devaient appartenir à sa génération339. Quant à savoir si

les dessins « copiés d’après la gravure » qui nous sont parvenus peuvent être donnés à Baullery, leur statut de copie rend difficile l’identification d’une main particulière, même si Sylvain Kerspern notait l’emploi du lavis pour ombrer fortement les éléments du décor, procédé qui se retrouve dans les dessins du Pas des Armes de Sandricourt. Il faut cependant noter que le dessin d’Antigone parait beaucoup plus rapidement exécuté, d’une manière un peu plus gauche, avec une utilisation du lavis plus parcimonieuse que dans Dodone et La Naissance de Mercure.

Au regard de ces difficultés d’attribution, l’existence d’une série de huit dessins (dont deux signés) de la main de Baullery au cabinet des dessins du musée du Louvre constitue une documentation précieuse. La date de la réalisation de ces grands dessins à la plume et à l’encre brune n’est pas connue. Ils constituent une série originale évoquant le Pas des Armes de Sandricourt, célèbre tournoi tenu en 1493 près de Pontoise. La paternité de ces dessins, simplement signés « Baullery », sans prénom, a longtemps été discutée. En l’absence de connaissances concernant Jérôme et Nicolas Baullery, et par manque d’œuvres de comparaison, il était difficile à la recherche de trancher. Louis Dimier, qui est l’un des premiers à évoquer cette série dès 1904, en donne l’exécution à Jérôme, pensant que les dessins sont indiscutablement du XVIe siècle340.

Jean Guiffrey et Pierre Marcel, qui consacrent à cet ensemble un long article dans la Gazette des Beaux-Arts en 1907 n’osent se prononcer par manque d’informations, et laissent la question ouverte341. Pierre Lavallée est le premier à proposer le nom de Nicolas Baullery en 1933, se basant

sur la phrase de Carel Van Mander, et réduisant la figure de Jérôme Baullery à un simple « vieillard jusque-là adonné à la peinture d’ornement »342. Cette attribution sera reprise par Jacques Dupont en 1936343. Par la suite, les avis divergent entre chaque auteur, dont les arguments sont parfois peu fondés. Anthony Blunt en 1953 prononce une attribution à Jérôme, pensant que le style appartient à sa génération344, mais se ravise en 1970 pour pencher plus vraisemblablement en faveur de Nicolas345. Les mêmes hésitations se font jour dans les recherches de Sylvie Béguin, qui propose

339 Jean Ehrmann, Antoine Caron. Peintre à la Cour des Valois, 1521-1599, Genève, Droz, 1955, p.37.

340 Louis Dimier, French Painting in the sixteenth century, Londres, Duckworth and co., New-York, Charles Scribner’s sons,

1904, p.226.

341 Pierre Marcel, Jean Guiffrey, « Une illustration du « Pas des armes de Sandricourt » par Jérôme ou Nicolas Bollery », dans

Gazette des Beaux-Arts, 1907, t.37, pp.277-288.

342 Pierre Lavallée, Le dessin français du XIIIe au XVIe siècle, Paris, G. Van Oest, 1933, p.113.

343 Jacques Dupont (auteur du catalogue), Les plus beaux dessins français du musée du Louvre (1350-1900), cat. exp. Bruxelles,

Palais des Beaux-Arts, 8 décembre 1936 – 16 février 1937, Bruxelles, éd. de la Connaissance, 1936, n°12.

344 Anthony Blunt, Art et Architecture en France, 1500 – 1700 (trad. de Monique Chatenet), Paris, Macula, 1983 (1ère éd. en

1953), p.130.

345 Anthony Blunt, « Three Paintings for the ‘’appartment’’ of Marie de Medicis in the Louvre », dans The Burlington Magazine,

70 d’abord le nom de Jérôme346, pour se ranger ensuite dans l’indécision entre les deux artistes347. M.

Sylvain Kerspern est le premier à affirmer solidement l’attribution à Nicolas Baullery, évoquant des analogies dans le style entre les dessins et les rares tableaux connus : figures repoussoirs, effets de foule, traitement particulier de l’espace348. Nous rejoignons ici cette analyse : on remarque

notamment, dans les visages des pages chargés de servir les chevaliers et leurs dames, les mêmes visages ronds, penchés, et asymétriques que dans les tableaux de Nicolas. On retrouve les effets de perspective un peu gauche donnant l’impression d’un sol en pente, les types plébéiens des spectateurs du tournois, à mi-corps, de dos, laissant apparaitre leur couvre-chef écorné. On retrouve le même procédé dans les gravures de l’entrée d’Henri IV en 1594. Les dessins reviennent donc bien à Nicolas Baullery, et constituent un jalon essentiel pour la reconstitution de son corpus graphique. Le musée du Louvre continue pourtant à les considérer comme des œuvres de Jérôme Baullery349.