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Des premières théories à la compréhension actuelle des métastases

Chapitre 1 : Introduction

1.5. Pathophysiologie du développement des métastases hépatiques

1.5.1 Des premières théories à la compréhension actuelle des métastases

1.5.1.1 Théories de Paget et d’Ewing

Le Dr Stephen Paget était un chirurgien anglais qui s’intéressait au sort des patientes atteintes de cancer du sein. En 1889, il publia un article dans The Lancet, où il recensait ses observations et concluait à la préférence de certains types de cancers à donner naissance à une masse secondaire dans des organes spécifiques. Ce premier papier est à l’origine de la théorie « seed and soil » du développement tumoral (Paget, 1889). En effet, Paget y commentait « la distribution des croissances secondaires n’est pas une question de chance » et se questionnait sur « Qu’est-ce qui décide quels organes vont souffrir dans le cas d’un cancer disséminé? » (Paget, 1889). Il lance lui-même une première explication en faisant le parallèle avec la croissance végétale : une semence ne pourra donner naissance à un fruit que si elle est dans une terre qui est fertile pour son espèce.

La théorie de Paget a été défiée par le pathologiste James Ewing en 1919. Il a émis une théorie basée sur les circulations lymphatique et vasculaire de l’organisme afin de justifier la préférence de certaines tumeurs à métastaser à un organe particulier (Ewing, 1919). Toutefois, cette théorie est jugée incomplète, mais est acceptée pour la justification de la géographie de métastases locorégionales; par exemple, les métastases ganglionnaires du cancer du sein ou de la vessie se développeront selon le drainage lymphatique de ces organes. Au foie, les métastases sont plus fréquentes que le CHC (Canadian Cancer Society, 2018). Cet organe est un site fréquent de métastases pour les cancers de la peau, du côlon, du pancréas, du sein et de l’uvée. Les métastases hépatiques du MU sont une puissante illustration de la théorie du « seed and soil », car il n’existe pas a priori de proximité particulière entre le foie et l’uvée au détriment d’autres organes. Il est probable que les cellules de la tumeur primaire parcourent l’organisme, mais ne réussissent à croitre que dans la « terre » (i.e. le foie) qui possède tous les nutriments nécessaires à leur croissance et à leur survie.

1.5.1.2 Mécanismes du développement métastatique

Malgré la variété de mécanismes génétiques, moléculaires et épigénétiques derrière le développement des cancers, les étapes du processus métastatique sont relativement similaires entre les tumeurs. Le processus métastatique consiste en une série d’étapes qui doivent être complétées afin qu’il y ait invasion secondaire par la tumeur. Le développement tumoral consiste en une phase pré-vasculaire et une phase vasculaire (Folkman, 1992). Lors de la phase pré-vasculaire, les cellules cancéreuses acquièrent les nutriments nécessaires à leur survie par diffusion (Langley & Fidler, 2007). Le passage de la phase pré- vasculaire à vasculaire est nécessaire pour que la tumeur dépasse la taille de 1-2 mm. Le développement de vaisseaux (i.e. l’angiogenèse) dans la tumeur primaire est une étape essentielle à la croissance locale et également au développement métastatique (Folkman, 1992; Woodhouse et al., 1997). En effet, le développement de néovaisseaux permet à la tumeur primaire de combler ses besoins métaboliques et permet aux cellules cancéreuses de s’échapper. Ainsi, des petits amas de cellules cancéreuses se détachent de la masse primaire et entrent dans la circulation sanguine ou lymphatique (Langley & Fidler, 2007). À ce stade, une grande majorité des cellules cancéreuses sont détruites par les mécanismes de défense de l’organisme. Les cellules cancéreuses qui se disséminent par la voie hématologique vers le foie doivent entrer en contact avec le microenvironnement des sinusoïdes hépatiques (Haier et al., 2003). Les cellules cancéreuses circulantes doivent s’attacher à d’autres cellules ou protéines de la MEC, puis migrer à travers les barrières endothéliales et matricielles d’un organe afin de former une seconde niche et se développer. La migration des cellules cancéreuses répond à plusieurs facteurs de stimulation, dont certains sont des composantes de la MEC de l’organe envahi. La destruction de la MEC physiologique par des enzymes spécifiques est requise pour qu’il y ait invasion. Finalement, la colonisation d’un second site par les cellules cancéreuses requiert une stimulation de la prolifération cellulaire. La présence de facteurs de croissance, de cytokines et de protéines extracellulaires particuliers à un microenvironnement contribue à la prolifération des métastases dans un organe particulier plutôt qu’un autre. Pour favoriser la survie des cellules cancéreuses dans ce nouvel environnement, il faut qu’il y ait à nouveau un développement de néovaisseaux. L’étape limitante dans le développement métastatique est l’étape finale, soit la prolifération des cellules métastatiques. La majorité des micrométastases ne complètent pas toutes les étapes séquentielles du développement métastatique (Chambers et al., 2002). Cependant, elles contribuent à la létalité des cancers car elles peuvent acquérir la capacité de proliférer et de former des métastases objectivables des années après le traitement de la tumeur primaire comme dans le cas du MU. Les principales étapes du processus métastatique sont présentées dans la Figure 1.9.

1.5.1.3 Le phénomène de dormance des micrométastases

En 1980, il a été observé qu’il était rarement possible de diagnostiquer simultanément la tumeur primaire et les métastases du mélanome uvéal lors de la visite initiale; cependant, des décès survenaient moins de deux ans après le diagnostic de la tumeur oculaire, alors que le taux de croissance tumorale était trop bas pour expliquer cette agressivité (Manschot et al., 1995). Ces observations ont fait place à des estimations basées sur le temps de doublement tumoral qui ont remis en cause l’association de Zimmerman entre l’énucléation et le développement métastatique et ont plutôt suggéré que la dissémination tumorale avait lieu avant la chirurgie (Augsburger et al., 1984; Gass, 1985; Manschot & van Peperzeel, 1980; Zimmerman et al., 1978). En effet, les patients peuvent développer des métastases incurables 15 à 35 ans post-énucléation ou post-traitement de la tumeur oculaire (Kujala et al., 2003; Seregard & Kock, 1995). Il a donc été suggéré que des micrométastases, non détectables cliniquement, se développent plusieurs années avant le diagnostic de la tumeur primaire (Eskelin et al., 2000). Ainsi, des cellules cancéreuses circulantes ont été détectées par RT-PCR chez 87.5% des patients, et ce, autant lors du diagnostic initial qu’à la suite du traitement, ce qui

confirme que le MU est d’emblée une tumeur produisant des cellules cancéreuses circulantes, capables de

survivre sous la forme de foyers de micrométastases (Callejo et al., 2007). Toutefois, les conditions requises au maintien des cellules cancéreuses sous la forme de micrométastases dormantes, ainsi qu’à leur transition de la phase dormante à la phase proliférative demeurent peu explorées. La stimulation de la prolifération des micrométastases est un processus complexe, impliquant l’accumulation de mutations, les interactions avec le microenvironnement du site secondaire et les composantes héréditaires de l’hôte (Wikman et al., 2008). Des modèles animaux expérimentaux ont démontré que la dissémination hématogénique des cellules cancéreuses du MU peut résulter en des micrométastases hépatiques et des métastases à distance (Blanco et al., 2005; Diaz et al., 1999; Logan et al., 2008; Yang et al., 2008). Ensuite, une analyse histologique post-mortem du foie de patients décédés de MU métastatique a démontré la présence de micrométastases (≤ 50µm) dans 90% des coupes histologiques (Grossniklaus, 2013). Une autre étude a documenté la présence des cellules cancéreuses du MU sur des coupes hépatiques post-mortem chez des patients sans évidence de maladie métastatique, d’inflammation ou d’angiogenèse (Borthwick et al., 2011). Selon le modèle de dissémination basé sur la présence de cellules cancéreuses circulantes, l’inefficacité du processus métastatique peut survenir suite à un échec des cellules à former une micrométastase initiale ou de la micrométastase à évoluer en lésion macroscopique (Luzzi et al., 1998).

Figure 1.10. Le processus de développement de métastases. Premièrement, il doit y avoir dissémination des

cellules de la tumeur primaire dans la circulation, survie de ces cellules cancéreuses circulantes, puis extravasation des cellules cancéreuses dans un nouvel organe. Durant ces étapes, les cellules cancéreuses sont soumises à des facteurs mécaniques tels que la taille des voies de circulation sanguines et lymphatiques, celle des lits capillaires et la pression dans les organes cibles. Ensuite, ces cellules doivent initier un processus de croissance et de vascularisation dans le tissu envahi, les transformant ainsi en macrométastases. En effet, le processus métastatique serait un processus relativement inefficace. Les cellules cancéreuses doivent vaincre les mécanismes moléculaires régulateurs de l’organe qu’elles tentent d’envahir. Cependant, certains organes, par leurs propriétés chimiques, moléculaires et physiques, peuvent être plus propices que d’autres à la croissance de cellules cancéreuses. Figure inspirée de (Langley & Fidler, 2007).