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Chapitre 1 : Introduction

1.5. Pathophysiologie du développement des métastases hépatiques

1.5.2 Le microenvironnement

1.5.2.1 La matrice extracellulaire physiologique

Dans le tissu en conditions physiologiques, il existe une communication dynamique entre l’épithélium et le microenvironnement, ce qui permet de réguler la croissance cellulaire, l’apoptose, la différentiation cellulaire et la polarité (Nelson & Bissell, 2006). En effet, le microenvironnement est le résultat d’un équilibre entre la synthèse et la dégradation de ses composantes. Les composantes non cellulaires du microenvironnement sont les protéines de la MEC et les facteurs solubles. La MEC contient quatre classes majeures de molécules, soit les collagènes, les protéoglycans, l’élastine et les glycoprotéines. Les facteurs solubles, tels que les cytokines, chemokines et facteurs de croissance sont des médiateurs des interactions cellule-cellule et cellule-MEC. Les composantes cellulaires du microenvironnement sont les fibroblastes, les cellules immunitaires et les cellules endothéliales. La composition du microenvironnement varie dans chaque tissu, ce qui permet de contrôler les propriétés spécifiques d’un organe. La MEC est non seulement un support physique et mécanique important des tissus, mais elle joue un rôle déterminant dans l’expression génique et la différentiation des cellules du microenvironnement (Hay, 1989; Thiery et al., 1985). Les composantes majeures de la MEC sont bien caractérisées; toutefois, son impact sur les interactions cellule-cellule et cellule- MEC est encore le sujet de travaux intensifs de recherche.

Le collagène est une protéine importante du corps humain et représente environ le tiers de la masse protéique humaine (Schuppan, 1990; Shoulders & Raines, 2009). Les collagènes, sécrétés par les fibroblastes (ou autres cellules mésenchymateuses) environnants, sont le principal élément structural de la MEC. Ces protéines permettent à la MEC de résister aux tensions, de réguler l’adhésion cellulaire, de diriger la chimiotaxie et la migration cellulaire et de contrôler le développement tissulaire (Rozario & DeSimone, 2010). Les collagènes sont des protéines composées de trois chaînes semblables ou identiques de polypeptides, dites alpha, repliées sous la forme de triple hélice, ce qui leur procurent une stabilité particulière. De plus, les collagènes subissent des modifications post-traductionnelles telles que l’hydroxylation des résidus de lysine et proline et la glycosylation de l’hydroxylysine (Kivirikko & Myllyla, 1982). Dans les tissus parenchymateux, les COL1 et COL3, qui sont sécrétés sous la forme de pro-collagènes et subissent des modifications extracellulaires, représentent les collagènes majeurs. Dans l’espace de Disse, composé d’une matrice fine et souple, le collagène dominant est le COL4. Ce collagène subit peu de modifications extracellulaires. Les protéoglycanes sont des chaines de glycosaminoglycanes reliées à un noyau protéique spécifique qui forment un hydrogel et permettent aux matrices de résister aux forces mécaniques. Les protéoglycanes peuvent fournir non seulement un support matriciel, mais peuvent aussi servir de filtre pour les molécules tentant de traverser la MEC, supporter ou inhiber la prolifération, influencer le transport de facteurs de croissance,

promouvoir l’angiogenèse et posséder des propriétés adhésives ou anti-adhésives (Iozzo & Murdoch, 1996). Le collagène s’associe à l’élastine qui est une fibre permettant aux tissus de subir des étirements à répétition. Les fibres du précurseur de l’élastine, la tropoélastine, et le collagène sont liés via leurs résidus lysine par des protéines de la famille des lysyl oxydases (LOX et LOXL) (Lucero & Kagan, 2006). Les glycoprotéines matricielles principales sont la fibronectine et les laminines. La fibronectine organise la MEC et permet la migration ainsi que l’adhésion (Matsui et al., 2007; Miyamoto et al., 1998; Trinh & Stainier, 2004). Si elle subit des forces de traction, cela permet d’exposer des sites de liaison aux intégrines, ce qui peut considérablement modifier le comportement cellulaire (Davidson et al., 2006; Marsden & DeSimone, 2003). Les laminines, impliquées dans l’adhésion cellulaire, la croissance et la différentiation, médient l’attachement des cellules épithéliales aux membranes basales et à d’autres composantes matricielles ou à des récepteurs membranaires spécifiques (Sasaki et al., 2004; Timpl et al., 1979). La laminine a été identifiée comme un des constituants normaux de l’espace de Disse (Griffiths et al., 1991). Dans le foie murin, il s’agit de laminine β2 qui est le seul type de laminine exprimé dans l’espace de Disse (Kikkawa et al., 2005). Cependant, la distribution des sous-types de laminines dans le foie humain n’a pas encore été étudiée (Mak & Mei, 2017). En présence de CSH et de cellules cancéreuses colorectales, une accumulation de laminines a été observée (Eveno et al., 2015). La ténascine-C est une glycoprotéine peu exprimée physiologiquement dans les tissus humains adultes; cependant, elle est exprimée dans les tissus en inflammation et par le stroma tumoral (Midwood & Orend, 2009). La ténascine-C interagit avec d’autres molécules de la MEC et ses récepteurs, et donc altère l’architecture matricielle. De plus, elle module la migration, la prolifération et la signalisation cellulaire via l’induction de cytokines pro-inflammatoires et de signaux oncogéniques.

Dans le foie, les CSH, les neutrophiles, les macrophages et les CK sont responsables d’assurer la dégradation de la MEC afin de maintenir l’homéostasie et de permettre le renouvellement ou l’adaptation du microenvironnement. Ces cellules sécrètent des métalloprotéases matricielles (matrix metalloproteases, MMPs) ainsi que leurs inhibiteurs (tissue inhibitors of metalloproteases, TIMPs). Le ratio entre MMPs et TIMPs est dynamique et permet d’assurer l’équilibre entre la synthèse et la dégradation matricielle. Par exemple, en réponse à un étirement mécanique, comme dans la phase initiale de l’hypertension portale, les CSH répondent par une augmentation de la synthèse de MMP-1 et une diminution de TIMP-1 et 2 (Goto et al., 2004). (Frantz et al., 2010; Loreal et al., 1993; Nelson & Bissell, 2006).

1.5.2.2 La matrice extracellulaire pathologique

En présence d’une masse tumorale, il y a une perte de l’organisation tissulaire. Les cellules produisant la MEC peuvent acquérir un comportement aberrant (Figure 1.10). Au niveau de la MEC, cela se manifeste par un processus qui ressemble à une plaie qui ne guérit pas (Schafer & Werner, 2008). La MEC

d’une plaie, produite par la fibrose, est majoritairement composée de COL1 et COL3, de fibronectine, de protéoglycanes et d’acide hyaluronique (George et al., 2004). Lors de la fibrose hépatique, les hépatocytes sont responsables de la sécrétion de laminines et les CSH des déposition de matrice dans l’espace de Disse (COL4 et fibronectine principalement, COL1 et COL3 moindrement) (Clement et al., 1986; Clement et al., 1988). Il a été suggéré que les hépatocytes participent à la sécrétion des laminines α2, α3, α4, β1, β3, γ1, et γ2 (Watanabe et al., 2016). L’accumulation de COL4 a été identifiée comme une étape importante du développement de métastases hépatiques dans plusieurs cancers où une surexpression a été documentée, notamment le cancer du poumon à petites cellules et le mélanome uvéal (Burnier et al., 2011). Lorsque des cellules cancéreuses entrent en contact avec le microenvironnement physiologique d’un organe, leurs interactions avec le stroma résultent en un recrutement ou une activation de fibroblastes (ou autres cellules mésenchymateuses) et en un remodelage de l’architecture de la MEC. Également, le ratio entre MMPs et TIMPs est altéré dans un tissu fibrosé, ce qui entraine une accumulation excessive des collagènes. En effet, les CSHa et les modèles de souris de fibrose hépatique démontrent une surexpression de TIMP-1 et une diminution des MMPs (Iredale et al., 1996; Iredale et al., 1995). Ce débalancement résulte en une persistance des CSHa et inhibe également leur apoptose, permettant au phénomène de déposition matricielle de se perpétuer (Murphy et al., 2002). Également, un relargage des facteurs de croissance qui étaient englobés dans la MEC survient, comme le VEGF (Vascular endothelial growth factor), ce qui augmente la perméabilité vasculaire et stimule la croissance de néovaisseaux (Frantz et al., 2010). Ce sont ces interactions qui sont derrière la théorie du « seed and soil » : selon les composantes du microenvironnement, celui-ci pourra être favorable ou non à la prolifération tumorale. Le microenvironnement tumoral renferme les composantes cellulaires et moléculaires qui jouent un rôle critique sur la prolifération cellulaire et la survie des cellules cancéreuses, ainsi que l’angiogenèse et le processus métastatique. En effet, le microenvironnement tumoral peut produire des facteurs capables de supprimer les cellules cancéreuses ou de favoriser la prolifération de ces dernières (Bhowmick et al., 2004; Trimboli et al., 2009). L’implantation de métastases au foie a été démontrée comme étant plus que le résultat de processus mécaniques : les interactions entre les cellules cancéreuses et le microenvironnement hépatique doivent être favorables au développement tumoral pour qu’il y ait apparition de métastases (Gassmann et al., 2009).

Figure 1.11. Modèle schématique de la matrice extracellulaire (MEC) physiologique et pathologique. A) La

MEC physiologique présente une architecture régulière avec une membrane basale et une organisation des fibres de collagène et d’élastine, ainsi que des protéoglycanes. Il y a présence de quelques cellules présentatrices d’antigène et de fibroblastes. B) La MEC pathologique présente une désorganisation, avec destruction de la membrane basale et envahissement par les cellules cancéreuses. Il y a accumulation de collagène, présence de myofibroblastes et une augmentation des interactions avec les cellules présentatrices d’antigène. Figure inspirée de (Frantz et al., 2010).