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Chapitre 1 : Introduction

1.4. Le foie: un organe vital

1.4.1 Foie : anatomie et organisation cellulaire

Macroscopiquement, le foie possède un lobe droit et un lobe gauche. Il se distingue des autres organes par l’importante quantité de sang veineux qu’il reçoit autant par la veine porte (en provenance de la rate, de l’estomac, du pancréas, de l’intestin grêle et du côlon; riche en nutriments, mais pauvre en oxygène), que l’artère hépatique qui origine du tronc céliaque (sang oxygéné) (Barrett, 2014b). La veine porte, l’artère hépatique ainsi que les canaux biliaires forment une triade au niveau de l’hile hépatique et leurs branches se retrouvent également au niveau des lobules hépatiques, ce qui assure une circulation hépatique efficace, essentielle à l’exécution des fonctions propres au foie (Figure 1.6). Le parenchyme hépatique possède une organisation particulière. Ainsi, le lobule hépatique représente l’unité fonctionnelle du foie. Des milliers de lobules d’environ 0.7 x 2 mm forment le parenchyme hépatique (Mescher & Junqueira, 2016). Dans un lobule, les hépatocytes, principales cellules parenchymateuses, sont organisés radialement autour d’une veine centrale (Figure 1.6). À la périphérie des lobules se retrouvent trois à six aires portales, chacune contenant les structures de la triade hépatique : une artériole (branche de l’artère hépatique) assurant l’apport en O2, une

veinule (branche de la veine portale) transportant le sang riche en nutriments mais pauvre en O2 en

provenance du système digestif et des canaux biliaires (branches des grands vaisseaux lymphatiques). Les sinusoïdes hépatiques représentent les branches des vaisseaux de la triade portale et forment des espaces vasculaires convergeant dans la veine centrale, où les sangs artériels et veineux se mélangent (Figure 1.6).

La veine centrale se draine dans les veines sus-hépatiques qui acheminent le sang à la veine cave et puis au cœur (Barrett, 2014b). Les sinusoïdes possèdent un endothélium fenêtré avec des discontinuités (Mescher & Junqueira, 2016). Ces brèches dans l’endothélium sinusoïdal créent un contact direct entre le plasma et les microvilli des hépatocytes, permettant à ces derniers de relâcher ou retirer des nutriments, des protéines ou des toxines (Mescher & Junqueira, 2016). Entre les hépatocytes et les cellules endothéliales sinusoïdales se retrouve un espace péri-sinusoïdal, aussi nommé espace de Disse. Ce dernier permet une communication entre les divers types de cellules du foie et ne renferme pas de membrane basale.

,

Figure 1.7. La microcirculation et l’histologie hépatique. a) Lobules hépatiques organisés autour d’une veine

centrale, et en périphérie, la triade porte (branches de la veine porte, de l’artère hépatique et de l’arbre biliaire). b) Les branches des vaisseaux permettent la formation de sinusoïdes séparés par des hépatocytes qui se drainent dans la veine centrale. c) Histochimie (hématoxyline-éosine, x200) démontrant la veine centrale (C), des hépatocytes (H) constituant le parenchyme hépatique et la triade porte, avec les branches de la veine porte (PV), de l’artère hépatique (HA), de l’arbre biliaire (B) et lymphatique (L). Tirée de (Mescher & Junqueira, 2016).

1.4.1.1 Hépatocytes

Les hépatocytes représentent environ 80% de la masse hépatique (Barrett, 2014a). Ces cellules de forme polygonale sont polarisées : leurs membranes apicales forment les canalicules biliaires et leurs membranes basolatérales communiquent avec les sinusoïdes hépatiques dans lesquels le sang circule. C’est dans l’espace de Disse que l’on retrouve les cellules stellaires hépatiques (CSH) (Figure 1.9) (Mescher & Junqueira, 2016). Cet espace, dépourvu de membrane basale, contient une matrice extracellulaire (MEC) simple et peu rigide, principalement formée de collagène 4 (COL4) et de laminine, afin de permettre les échanges entre le plasma et les hépatocytes (Griffiths et al., 1991). L’espace de Disse serait un facteur important dans le maintien de la fonction hépatocytaire et du phénotype quiescent des CSH (Puche et al., 2013). Plusieurs maladies hépatiques peuvent modifier les propriétés de cette MEC péri-sinusoïdale et la rendre plus rigide suite à la formation de dépositions collagéneuses semblables à une membrane basale (Burt et al., 1990). Le lumen sinusoïdal contient également les CK, des cellules phagocytaires (Barrett, 2014a). Les hépatocytes sont les cellules responsables de l’une des propriétés les plus impressionnantes du foie, soit de régénérer partiellement sa masse totale suite à un dommage ou une chirurgie (Fausto et al., 2006). En effet, les hépatocytes subsistants sont capables d’entrer en mitose pour produire une masse hépatique sensiblement équivalente à celle retirée. Chez les patients qui subissent une hépatectomie pour retirer des métastases, cette capacité des hépatocytes de régénérer de la masse a été associée à une progression du cancer, puisque les hépatocytes se régénèrent par des cytokines qui favorisent la croissance tumorale (TGF- β, HGF, métalloprotéases) (Harun et al., 2007; Paschos & Bird, 2010).

1.4.1.2 Cellules endothéliales sinusoïdales

Les cellules endothéliales forment une barrière au sein des sinusoïdes hépatiques, particulièrement perméable aux macromolécules du sang (i.e. albumine et ses ligands, chylomicrons, lipoprotéines, etc.). La haute perméabilité de l’endothélium sinusoïdal est permise par la présence de pores intercellulaires (endothélium fenêtré) de 100-200 nm de diamètre et par l’absence de membrane basale. Ces propriétés permettent le contact des macromolécules circulant dans le sang avec les récepteurs hépatocytaires. Puisque les cellules endothéliales sinusoïdales sont munies d’un cytosquelette d’actine, elles ont des propriétés contractiles permettant de varier le diamètre des pores. Un dommange de ces cellules résulte en un dommage subséquent aux hépatocytes (Barrett, 2014a).

1.4.1.3 Cellules stellaires hépatiques (CSH)

Les CSH sont des cellules mésenchymateuses retrouvées au niveau de l’espace de Disse (Figure 1.9). Cet emplacement et leurs processus dendritiques permettent une proximité avec les hépatocytes, les cellules endothéliales et les CK et favorisent des échanges de facteurs solubles ou de cytokines (Friedman, 2008a). Les CSH représentent environ 5-15% de la masse hépatique (Bansal, 2016; Giampieri et al., 1981). Ces cellules expriment des marqueurs cytosquelettiques compatibles avec une origine neuroectodermale (i.e. synaptophysine, GFAP, nestine, neurotropines, NGF et NCAM) et mésodermale (i.e. α-SMA (alpha-

smooth muscle actin), vimentine, desmine, marqueurs hématopoïétiques) (Geerts, 2001; Miyata et al., 2008;

Wells & Schwabe, 2015). Étant donné que les CSH forment une population hétérogène, deux hypothèses prévalent quant à leur origine : elles dériveraient de cellules mésothéliales du septum transverse embryonnaire (Asahina, 2012; Asahina et al., 2009; Asahina et al., 2011) ou proviendraient de plusieurs types cellulaires embryonnaires (D'Ambrosio et al., 2011; Geerts, 2001; Magness et al., 2004; Puche et al., 2013).

1.4.1.4 Rôle des cellules stellaires hépatiques dans le foie normal

Les CSH sont impliquées dans la régénération hépatique (i.e. régulation de la MEC, fibrose physiologique et pathologique), l’immunité ainsi que dans le stockage de la vitamine A et de lipides tel que résumé dans la Figure 1.8 (Barrett, 2014a). Elles seraient également impliquées dans la régulation du diamètre des pores sinusoidaux par leurs propriétés contractiles (Barrett, 2014a). En effet, dans le foie normal, ces cellules modulent la MEC en sécrétant les quantités nécessaires de COL-1-3-4, d’autres composantes de la MEC, ainsi que des métalloprotéases et leurs inhibiteurs nécessaires à l’homéostasie de la MEC (Geerts, 2001; Milani et al., 1990). Les CSH quiescentes (CSHq) expriment des filaments intermédiaires tels la desmine, la vimentine et la GFAP, ont un phénotype en forme d’étoile et peuvent être décrites comme les lipocytes hépatiques puisqu’elles contiennent des réserves de rétinol (vitamine A) et de lipides (Gressner & Chunfang, 1995; Mormone et al., 2011). Les CSHq sont impliquées dans la sécrétion du facteur de croissance hépatocytaire HGF (hepatocyte growth factor) (Schirmacher et al., 1992). Il est important de noter que ce facteur est le plus puissant à induire la mitose hépatocytaire (Bansal, 2016).

Figure 1.8. Rôles des CSHq dans le foie normal. MEC = matrice extracellulaire. Adaptée de (Puche et al.,

2013).

1.4.1.5 Rôle des cellules stellaires hépatiques dans les pathologies hépatiques

Le rôle des CSH dans la fibrose hépatique est le mieux caractérisé. Les CSH s’activent en réponse à un dommage aux hépatocytes qui produisent alors des intermédiaires métaboliques ou des médiateurs, ou en réponse à des cytokines secrétées par les CK ou les plaquettes (Gressner & Chunfang, 1995). En effet, la co- culture avec des hépatocytes exprimant le cytochrome inductible par l’alcool P450 2E1 (CYP2E1) qui génère des ROS (reactive oxygen species), a résulté en une activation plus importante des CSH comparativement à la co-culture avec des hépatocytes n’exprimant pas ce cytochrome (Nieto et al., 2002). Les cytokines capables d’activer les CSH peuvent être divisées en deux classes : les cytokines mitogéniques (ex : TGF-𝛼, PDGF, IL- 1, ILGF) ou fibrogéniques (TGF-β, IL-6) (Tsukamoto, 1999). Les CSHq s’activent (CSHa) et adoptent un phénotype plus myofibroblastique (i.e. prolifératives et contractiles). Elles subissent une transformation fonctionnelle qui résulte en une perte des réserves de vitamine A, en une surexpression de α-SMA et une augmentation de la production des produits de la MEC, tels que le COL1, un collagène caractéristique du foie cirrhotique (Bansal, 2016; Barrett, 2014a; Schuppan, 1990). Cette accumulation de MEC dans l’espace péri- sinusoïdal cause une résistance vasculaire et facilite le développement de l’hypertension portale. L’activation des CSH permet également de nouvelles interactions avec les cellules immunitaires du foie, ce qui peut déclencher une cascade de signalisation inflammatoire tel qu’illustré dans la Figure 1.8B (Bansal, 2016).

L’activation des CSH peut être divisée en deux étapes, soit l’initiation, qui comprend les transformations initiales menant à leur activation, et la perpétuation, soit l’ensemble de facteurs responsables du maintien de leur état activé et de l’accumulation de MEC. De plus, les CSHs sont également des actrices importantes de la régénération du tissu hépatique 1) en sécrétant des facteurs stimulant la prolifération hépatocytaire, 2) en sécrétant des facteurs facilitant la régénération hépatique (i.e. angiogenèse, dégradation de la MEC pathologique), 3) en recrutant des cellules souches/progénitrices et 4) en agissant elles-mêmes à titre de cellules progénitrices pour les hépatocytes et les cellules endothéliales via une transition épithélio- mésenchymateuse (Bansal, 2016; Kordes et al., 2007). De plus, l’activation des CSH est susceptible de produire des cytokines médiatrices de la réaction inflammatoire. L’activation des CSH in vitro peut se faire par le contact avec le plastique du matériel de culture cellulaire, qui induit une différentiation mésenchymateuse similaire à celle qui survient in vivo lors d’un stimuli (Friedman, 1993; Lim et al., 2002).

Le TGF-β (Transforming growth factor beta) est une des cytokines les plus importantes dans la régulation du phénotype myofibroblastique et de la production de COL1 par les CSH (Gressner et al., 2002). Dans le foie normal, les CSH et les CK se partagent l’expression des trois isoformes de TGF-β (TGF-β1, 2, 3) (Bissell et al., 1995). L’isoforme TGF-β3 est seulement exprimée par les CSH (De Bleser et al., 1997). L’expression de TGF-β1 par les CSH augmente dans un contexte inflammatoire ou fibrotique (Bissell et al., 1995; De Bleser et al., 1997). Également, la transition vers le profil myofibroblastique est associée à une diminution de la production de HGF, un des principaux facteurs impliqués dans la régénérescence hépatique et pourrait expliquer la présence de tissu fibrotique et non régénératif dans la cirrhose hépatique (Ramadori et al., 1992; Schirmacher et al., 1993). Une meilleure compréhension de l’activation des CSH et de leur rôle dans la fibrose hépatique ouvre la voie à des approches anti-fibrotiques. Par exemple, l’interférence ARN ciblant TGF-β1 dans les CSH a produit une diminution de son expression, ainsi que de celle de TIMP-1, α-SMA, COL1 et de cytokines inflammatoires telles que TNF-α et IL-1β (Cheng et al., 2009). Malheureusement, ces approches sont peu spécifiques et pourraient interférer avec d’autres processus physiologiques essentiels. Par exemple, le TGF-β est une cytokine qui agit comme un suppresseur tumoral dans les premières étapes de la tumorigenèse, puis qui participe à la transition épithélio-mésenchymateuse et à la progression tumorale et métastatique dans les étapes plus tardives (Leight et al., 2012).

En résumé, dans la colonisation du foie par des cellules cancéreuses, les cellules stellaires hépatiques s’activent, sécrètent des cytokines de remodelage de la MEC et des cytokines inflammatoires, produisent une réaction de fibrose et interagissent avec les autres cellules hépatiques, ce qui ultimement amplifie le phénomène métastatique (Figure 1.8).

Figure 1.9. Interactions des cellules cancéreuses avec les cellules hépatiques dans la colonisation du foie par

des cellules métastatiques. Cette figure présente les principaux types cellulaires présents dans les sinusoïdes hépatiques et dans l’espace de Disse. A) Interactions entre les cellules hépatiques et les cellules cancéreuses dans les sinusoïdes hépatiques; seules les interactions détrimentales à la survie des cellules métastatiques sont présentées. B) Interactions entre les cellules cancéreuses et les cellules hépatiques dans l’espace extravasculaire; seules les interactions qui leur sont favorables sont présentées. MDSC = myeloid-derived

1.4.1.6 Les cellules de Kupffer (CK)

Les CK sont les macrophages du foie. Par leur fonction phagocytaire, ces cellules permettent d’épurer le sang avant son entrée dans la circulation hépatique (Bayon et al., 1996; Phillips, 1989). Les CK ou autres macrophages peuvent relâcher des ROS et des cytokines mitogéniques (e.g. PDGF) ou fibrogéniques (e.g. TGF-β) et ainsi activer les CSH (Mormone et al., 2011; Ramachandran & Iredale, 2012; Tsukamoto, 1999). En effet, elles ont la capacité de sécréter l’isoforme TGF-β1, un des plus importants modulateurs du phénotype myofibroblastique des CSH (Bissell et al., 1995; Puche et al., 2013). La simple co-culture de CSH avec des CK a résulté en une augmentation de la sécrétion du COL1 par les CSH, indiquant qu’il existe des interactions synergiques entre ces deux types cellulaires (Nieto, 2006). Également, l’initiation du processus de régénération hépatique se produit grâce à la sécrétion de TNF-α et d’IL-6 (interleukine 6) par les CK, et de manière moins importante par les CSH (Bansal, 2016). Le TNF-α facilite les interactions entre les hépatocytes et leurs facteurs de croissance, notamment le HGF (Webber et al., 1998), permettant le passage aux autres phases de la régénération. Alors que certains groupes ont démontré que le relâchement de cytokines inflammatoires par les CK peut augmenter l’expression des molécules d’adhésion cellulaire dans les sinusoïdes hépatiques (pro-tumorigène), il a aussi été observé qu’elles ont un potentiel tumoricide (Auguste et al., 2007; Bayon et al., 1996; Paschos et al., 2010).