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Perspectives de traitement du mélanome uvéal métastatique

Chapitre 1 : Introduction

1.3. Le mélanome uvéal

1.3.6 Perspectives de traitement du mélanome uvéal métastatique

1.3.6.1 Thérapies ciblées

Des mutations oncogéniques dans GNAQ ou GNA11 sont retrouvées dans 83% des MU (Van Raamsdonk et al., 2010). Ces mutations résultent en l’activation de la voie des MAPK, de manière semblable aux mutations oncogéniques de BRAF dans le mélanome cutané (Van Raamsdonk et al., 2010). L’inhibition de la voie des MAPK a donc été l’une des premières thérapies ciblées à être envisagée. Une étude de phase II utilisant le selumetinib, un inhibiteur sélectif des MEK, a été la seule à démontrer une amélioration de la survie sans progression (PFS; progression-free survival). Une cohorte de 101 patients atteints de MU

métastatique ont soit reçu le selumetinib ou le temozolomide (ou dacarbazine; agent anti-néoplasique antimétabolique analogue des purines) (American Society of Health System Pharmacists, 2018). La survie sans progression moyenne dans le groupe traité avec le selumetinib était de 15.9 semaines avec survie médiane de 11.8 mois, alors que le groupe traité par chimiothérapie avait une survie sans progression de 7 semaines et une survie médiane de 9.1 mois. Cependant, cette étude n’a pas démontré d’amélioration de la survie globale. Plusieurs études testant les inhibiteurs des MEK sont en cours ou complétées. L’étude SUMIT de phase III, randomisée et en double-aveugle, est une étude en cours qui vise à déterminer s’il y a un effet synergique de la combinaison du selumetinib avec un agent alkylant chimiothérapeutique (compare selumetinib plus temozolomide ou dacarbazine au placebo plus temozolomide ou dacarbazine) (Carvajal et al., 2015). Les résultats à venir pourront dicter la poursuite des études sur le selumetinib. De nombreuses études de phase II, énumérées dans le Tableau 1.4, ciblant d’autres voies que celle des MAPK, n’ont pas démontré de réponse significative dans le MU métastatique. Des essais avec des inhibiteurs de la voie mTOR sont en cours.

Agent Mécanisme Statut Référence

Gefitinib Inhibiteur de l’EGF Complétée (Patel et al., 2011)

Selumetinib Inhibiteur de MEK1/2 Complétée (Carvajal et al., 2014) Selumetinib et temozolomide (dacarbazine) Inhibiteur de MEK1/2 et agents alkylants Complétée Résultats à venir NCT01974752

Bevacizumab et IFN-α2b Anticorps bloquant le VEFG et inhibiteur du FGF basique

Complétée (Guenterberg et al., 2011)

Bevacizumab et temozolomide

Anticorps bloquant le VEFG et chimiothérapie

Complétée (Piperno-Neumann et al., 2013)

Aflibercept Molécule séquestrant le VEGF

Complétée (Tarhini et al., 2011)

Imatinib Inhibiteur KIT Complétée (Hofmann et al., 2009;

Penel et al., 2008) Sunitinib Inhibiteur de multiples

récepteurs tyrosine kinase

Complétée (Mahipal et al., 2012)

Cabozantinib vs temozolomide

Inhibiteur MET vs agent alkylant

Vorinostat Inhibiteur des histones désacétylases (HDAC)

Suspendue NCT01587352

Everolimus + pasireotide Inhibiteur mTOR et analogue de la somatostatine

Complétée (Shoushtari et al., 2016)

Trametinib vs Trametinib et GSK2141795

Inhibiteur MEK vs

inhibiteur MEK + inhibiteur AKT

En cours NCT01979523

Tableau 1.4. Études cliniques de phase II complétées ou en cours sur les thérapies moléculaires ciblées du

MU métastatique. Aucune des études complétées n’a démontré d’effet bénéfique au niveau de la survie sans progression ou de la survie globale sauf pour le selumetinib. Ce dernier a démontré une amélioration de la survie sans progression, mais pas de la survie globale (Chattopadhyay et al., 2016).

1.3.6.2 Immunothérapie

L’immunothérapie repose sur la stimulation des composantes naturelles du système immun ou sur l’administration d’agents causant une réaction immune dirigée contre le cancer (American Cancer Society, 2018). Les principaux types d’immunothérapie sont basées sur l’utilisation i) d’anticorps monoclonaux qui permettent de cibler un récepteur spécifique des cellules cancéreuses, ii) des inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité qui lèvent l’inhibition sur l’immunité et permettent aux cellules immunitaires de cibler les cellules cancéreuses et iii) de vaccins qui peuvent potentialiser une réaction immunitaire et ainsi prévenir ou traiter un cancer (American Cancer Society, 2018). L’effort scientifique en immunothérapie se concentre actuellement sur les agents ciblant les points de contrôle de l’immunité, comme l’antigène 4 cytotoxique des lymphocytes T (cytotoxic T-Lymphocyte antigen 4, CTLA-4) et le ligand programmed cell death (PD-L1). Les tissus expriment le ligand B7 et son interaction avec le CTLA-4 sur les lymphocytes supprime l’activité des lymphocytes T. PD-L1 cause une anergie des lymphocytes T lors de sa liaison à son récepteur, le programmed-death 1 (PD-1). Spécifiquement, le CTLA-4 régule la prolifération initiale et la migration des lymphocytes T vers les cellules cancéreuses alors que PD-1/PD-L1 suppriment l’activation et la prolifération des lymphocytes T (Fife & Bluestone, 2008). Une autre plateforme émergente de l’immunothérapie est le transfert adoptif de lymphocytes (ACT). L’ACT est une infusion de lymphocytes T tumeur-spécifiques autologues multipliés par culture cellulaire ex vivo. L’ACT permet d’exploiter la capacité des lymphocytes T de reconnaitre et d’éliminer les cellules cibles (Hinrichs & Rosenberg, 2014).

L’évolution de l’immunothérapie de simple théorie à traitement émergent a permis rapidement l’obtention de résultats prometteurs dans le domaine du mélanome cutané métastatique(Bhatia et al., 2015). Même si les patients atteints de MU métastatique ont été exclus des essais cliniques d’immunothérapie du mélanome cutané, de nombreux agents aujourd’hui à l’étude ont été extrapolés à partir des résultats obtenus pour ce type de mélanome. Par exemple, l’ipilimumab, un anticorps monoclonal dirigé contre CTLA-4, a démontré un bénéfice sur la survie globale dans une étude de phase III, en combinaison ou non avec un vaccin peptidique gp100. Les patients ayant reçu l’ipilimumab avec ou sans vaccin avaient une survie médiane de 10 mois, alors que ceux ayant reçu uniquement le vaccin avaient une survie d’environ 6 mois (Hodi et al., 2010). La combinaison entre l’ipilimumab et la dacarbazine (agent chimiothérapeutique alkylant) a également démontré une survie globable améliorée par rapport à la dacarbazine seule (American Society of Health System Pharmacists, 2018; Robert et al., 2011). La monothérapie avec l’anticorps anti-PD-1 (nivolumab) a également démontré une réponse dans 20 à 30% des cas, une amélioration de la survie sans progression et de la survie globale par rapport à la chimiothérapie de première ligne et la chimiothérapie de deuxième ligne chez les patients réfractaires à l’ipilimumab (Robert et al., 2015; Weber et al., 2015). À ce jour, la combinaison ipilimumab/nivolumab ou la monothérapie avec les agents anti-PD-1 (nivolumab, pembrolizumab) sont la première ligne de traitement du mélanome métastatique non-uvéal (Larkin et al., 2015). Cependant, l’efficacité de ces agents dans le mélanome uvéal n’est pas encore établie. Des études rétrospectives ou de petites études prospectives ont démontré des taux de réponse faibles (<10%) à l’ipilimumab et d’environ 5% aux agents anti-PD-1/PD-L1 (Algazi et al., 2016; Luke et al., 2013; Maio et al., 2013; Zimmer et al., 2015). Ces études n’ont pas démontré de bénéfice dans la survie globale des patients avec MU métastatique. Des études sont en cours afin de préciser le potentiel de la combinaison ipilimumab/nivolumab et pembrolizumab seul ou en combinaison avec l’entinostat (un inhibiteur des HDAC).

Agent Mécanisme Statut Référence

Ipilimumab et nivolumab Anticorps anti-CTLA-4 et anticorps anti-PD1 En recrutement NCT01585194 Lymphocytes tumoraux autologues et Aldeseukin à haute dose vs lymphocytes tumoraux autologues

ACT + IL-2 à haute dose vs ACT

Complété, Résultats à venir

NCT01814046

Pembrolizumab Anticorps anti-PD1 En cours NCT02359851

entinostat inhibiteur des HDAC Glembatumumab vedotin Anticorps-agent conjugué En recrutement NCT02363283 Microsphères d’yttrium (Y90) et ipilimumab Radioembolisation et anticorps anti-CTLA4 Suspendue NCT01730157

Tableau 1.5. Études cliniques avec des agents d’immunothérapie dans le MU métastatique. Seule l’étude sur

les microsphères d’yttrium et ipilimumab n’était pas une étude de phase II, mais plutôt un projet pilote qui a été suspendu en cours de déroulement.

La faible réponse du mélanome uvéal aux agents d’immunothérapie qui ont pourtant modifié la prise en charge et la survie globale des patients avec mélanome cutané métastatique pourrait s’expliquer par les différences moléculaires et pathophysiologiques entre ces deux cancers. Le mélanome cutané est caractérisé par des taux importants de mutations somatiques induites par les rayons UV, alors que ce taux est inférieur pour le MU, bien que des similitudes soient de plus en plus reconnues (Mallet et al., 2014). Une corrélation entre l’efficacité de l’ipillimumab ou de l’anti-PD1 et la charge mutationnelle ainsi qu’une base génétique pour la réponse à l’ipilimumab est suggérée par plusieurs travaux (Hugo et al., 2016; Rizvi et al., 2015; Snyder et al., 2014). De plus, l’oncogène Myc est fréquemment surexprimé dans le MU. Son inactivation dans des modèles murins a diminué l’expression de CD47 et PD-L1 et a augmenté la réponse immunitaire anti- tumorale, suggérant un rôle de l’oncogène Myc dans la modulation des régulateurs de l’immunité (Casey et al., 2016). Également, Breazzano et al. suggèrent que les patients avec mélanome cutané ont des taux de réponse à l’immunothérapie inférieurs lorsqu’ils se présentent avec des métastases au foie (Breazzano et al., 2017). Cependant, le mélanome cutané démontre une tendance à métastaser de façon loco-régionale, contrairement au MU (Pandiani et al., 2017; Soong et al., 1998).