Chapitre 4 : Cadre théorique
3. Praxéologies institutionnelle et personnelle
3.1. Modèle théorique
Pour décrire le rapport institutionnel à un objet, Bosch et Chevallard (1999)
proposent la notion de praxéologie.
« Le rapport institutionnel à un objet, pour une position institutionnelle donnée, est
façonné et refaçonné par l’ensemble des tâches que doivent accomplir, par des
techniques déterminées, les personnes occupant cette position. C’est ainsi
l’accomplissement des différentes tâches que la personne se voit conduite à réaliser
tout au long de sa vie dans les différentes institutions dont elle est le sujet
successivement ou simultanément qui conduira à faire émerger son rapport
personnel à l’objet considéré. » (Bosch & Chevallard, 1999)
La praxéologie institutionnelle modélise ainsi le rapport institutionnel en prenant
en compte ce qui est attendu par l’institution.
Croset & Chaachoua (2016), mettent en avant la nécessité de prendre également
en considération les connaissances de l’apprenant, ce qui, selon Artigue (2011),
n’est pas pris en compte par la TAD. Selon Artigue, les connaissances de
l’apprenant relèvent de la théorie des situations didactiques alors que la TAD
modélise principalement les attentes institutionnelles.
Praxéologies institutionnelle et personnelle
Croset & Chaachoua (2016) proposent une articulation de ces deux cadres en
intégrant à la fois les rapports institutionnel et personnel de l’élève dans la TAD.
Ces travaux proposent ainsi d’étendre le modèle praxéologique en intégrant le
rapport personnel de l’élève avec l’émergence de praxéologies personnelles. Elles
permettent de modéliser les écarts entre les attentes institutionnelles et les
perceptions des élèves.
Selon Chaachoua & Bessot, (2017), « l’organisation praxéologique institutionnelle
correspond rarement à la praxéologie apprise (transposition didactique interne). En
particulier, il existe des types de tâches personnels distincts des types de tâches
institutionnels et par conséquent des praxéologies personnelles distinctes des
praxéologies institutionnelles » (p.12).
Ainsi, face à une tache donnée t, l’institution attend d’un élève la mise en place
d’une technique qui relève d’une organisation institutionnelle associée à la tache t.
La non-conformité du rapport personnel à t se traduit par la mise en œuvre d’une
technique, soit scientifiquement valide mais non adéquate institutionnellement,
soit scientifiquement non valide (Nguyen, Chaachoua & Comiti, 2007).
Croset & Chaachoua (2016) appellent praxéologie personnelle le quadruplet
d’organisation praxéologique de l’activité d’un sujet institutionnel constitué de
quatre composantes:
Un type de tâches personnel est l'ensemble des tâches que le sujet perçoit
comme similaires, provoquant chez lui l'application d'une technique.
Une technique personnelle utilisée par l'élève permet de résoudre un seul
type de tâches personnel. Elle peut être erronée, correcte, légitimée par
l'institution de référence ou non.
Une technologie personnelle, explicite ou non, gouverne et légitime
l'utilisation de praxis personnelles. Souvent un simple déficit technologique
institutionnel peut être à même d’expliquer des techniques personnelles
erronées. Mais il est parfois des situations où une technologie qui avait sa
légitimité pour répondre à certains types de tâches se trouve être
généralisée et utilisée par des élèves en dehors de la portée de la technique
qu’elle légitimait.
Une théorie personnelle qui, à son tour, à l’instar du modèle
institutionnel, justifie la technologie personnelle.
Les praxéologies personnelles de l’élève peuvent être modélisées selon le schéma
présenté ci-dessous (figure 15). Nous indiquons en vert des éléments
d’interprétation.
Pour un type de tâche T donné du modèle de référence, il existe une technique qui
accomplit la tâche et qui est attendue par l’institution (I), et se décrit comme un
ensemble de types de tâches tel que
I= {T
i}.
Soit une technique
ede l’élève diagnostiquée appartenant ainsi au modèle
Chapitre 4 : Cadre théorique
Figure 15 : modélisation des praxéologies personnelles de l'élève
La technique de l’élève diagnostiquée peut être soit présente, soit absente.
1 : Si la technique
ede l’élève est absente et que le type de tâche est
élémentaire pour l’institution alors l’absence de technique de l’élève n’est pas
interprétable au niveau des technologies de l’élève. Si par contre le type de tâche
n’est pas élémentaire pour l’institution, alors soit l’élève ne dispose pas de
l’équipement praxéologique correspondant, soit le type de tâche est considéré
comme élémentaire par l’élève.
2 : Si la technique
ede l’élève est présente, elle peut être :
3 : correcte et conforme aux modèle de référence institutionnel, auquel
cas elle est validée, ou bien correcte et non conforme au rapport
institutionnel.
4 : Incorrecte auquel cas:
5 : L’erreur peut porter sur la technique globale de l’élève, et
peut être de différente nature (un T
iabsent / supplémentaire,
ordre des T
iincorrecte).
6 : et/ou l’erreur peut également être inhérente à un type de
tâche T
ide la technique.
Dans les deux cas (5 et 6), ces erreurs portées sur la technique de l’élève, pourront
être justifiées au niveau des technologies relatives à la technique erronée de
l’élève.
Ainsi, la praxéologie personnelle intègre des techniques et des technologies qui ne
sont pas nécessairement valides. Elle permettra de décrire les erreurs des élèves
lors de l’élaboration du protocole de mise en évidence du métabolisme de la
fermentation alcoolique. Pour cela nous nous référons à des praxéologies
personnelles a priori que nous décrirons dans les chapitres 6 et 11.
L’élaboration de praxéologies personnelles a priori, nécessite un croisement entre
Praxéologies institutionnelle et personnelle
élèves, et la modélisation praxéologique de la situation (chapitre 7). Ceci permet de
distinguer les types de tâches, tâches techniques et technologie à l’origine de
difficultés chez les élèves.
3.2. Modélisation des praxéologies personnelles dans une situation de
conception expérimentale
Nous avons choisi, une situation de conception expérimentale incluant une
conception de protocole sur la mise en évidence de la fermentation alcoolique.
Nous rappelons qu’il s’agit d’une activité dans laquelle l’élève doit formaliser un
protocole structuré en étapes et actions. Ces dernières contiennent des paramètres
qui peuvent prendre plusieurs valeurs. La tâche de l’élève consiste ainsi, à la fois à
proposer des étapes et des actions paramétrées mais aussi à choisir des valeurs de
paramètres.
Par exemple, afin de mettre des levures en anaérobie, l’élève devra proposer dans
son protocole au moment opportun, une action du type « fermer le contenant avec
un matériel adéquat » pour laquelle il devra fixer deux valeurs de paramètre : le
contenant (tube à essai, bécher, fiole…) et le matériel adéquat pour le fermer
(bouchon, bouchon percé…).
Ainsi, du côté de l’activité de l’élève, les erreurs peuvent porter sur les actions
proposées dans les étapes (ce qui correspond à la stratégie de résolution du
problème), mais aussi, pour chacune des actions proposées, la présence et le choix
de valeurs de paramètres.
Du côté de la modélisation des connaissances en jeu, cela se traduit sous la forme
de types de tâches comprenant des variables de nature différentes, pour lesquelles
le chercheur (ou l’enseignant) peut fixer ou choisir certaines valeurs.
L’exemple de l’activité de l’élève pris ci-dessus, peut se traduire selon la
modélisation praxéologique, de la façon suivante :
T : fermer le contenant avec un matériel adéquat
L’élément de modélisation praxéologique correspondant est un type de tâche pour
lequel on distingue deux variables didactiques : « le contenant » et « le matériel ».
Ces variables peuvent prendre différentes valeurs à disposition de l’enseignant : le
contenant (tube à essai, bécher, fiole…) et le matériel adéquat pour le fermer
(bouchon, bouchon percé…).
Ainsi, afin de prendre en compte les spécificités de l’activité de conception
expérimentale dans la modélisation de praxéologies personnelles des élèves
proposée dans le paragraphe précédent, nous souhaitons faire évoluer la
modélisation des erreurs inhérentes à un type de tâche T
ide la technique (n°6).
Pour cela, nous allons distinguer deux types d’erreurs (figure ci-dessous) :
6a) une erreur portée sur l’absence de variable(s) dans une tâche
6b) une erreur portée sur la présence d’une valeur de variable erronée
Ces erreurs pourront néanmoins se justifier au niveau des technologies de l’élève.
Chapitre 4 : Cadre théorique
Figure 16 : modélisation des praxéologies personnelles de l'élève dans le cadre d'une activité de conception expérimentale