L’analyse conjointe de ces travaux sur les conceptions et difficultés des élèves sur
le métabolisme de la fermentation alcoolique, avec ceux présentés dans le chapitre
1 sur les difficultés liées à l’activité de conception expérimentale, nous amène à
proposer une catégorisation des difficultés ainsi identifiées sur laquelle nous
allons nous appuyer dans notre travail de thèse.
Nous avons élaboré cette catégorisation à partir de travaux de recherches
précédemment menés (Coquidé & al., 1999 ; Schneeberger & Rodriguez (1999) ;
Beaufils & Larcher, 1999 ; Berthet & al., 2015).
Schneeberger & Rodriguez (1999) proposent dans leur étude, trois domaines de
difficultés. Les élèves ont été placés dans une situation où ils devaient expliquer un
phénomène biologique en mobilisant leurs représentations sur la fermentation
mais aussi en mobilisant des connaissances et des méthodes empruntées à
d’autres disciplines. Les trois domaines ainsi proposés sont : les connaissances, les
techniques et les méthodes.
Un aspect de cette catégorisation rejoint les conclusions des travaux menés par
Dumas-Carré, Goffard & Gil (1992) qui, à partir d’une étude réalisée avec plusieurs
centaines de professeurs de physique-chimie dans le secondaire sur les causes
d’échec des élèves dans les activités de résolution de problèmes, montrent que le
manque de connaissances théoriques était une des raisons majeures des difficultés
rencontrées par les élèves.
En effet, les travaux de Beaufils & Larcher (1999) sur l’expérimental en classe font
ressortir l’importance de la disponibilité de la matrice cognitive (Coquidé & al.,
1999) pour traiter un problème expérimental. Mais également, les ressources hors
champ disciplinaires, les compétences techniques de laboratoire et les
compétences méthodologiques, trois mêmes pôles que nous avons relevé dans la
classification de Schneeberger & Rodriguez (1999).
Enfin, des travaux menés en physiques-chimie proposant une activité de
conception expérimentale sur le titrage pH-métrique d’une solution, (Berthet & al.,
2015), mettent en évidence des difficultés liées à l’activité proposée et proposent
une catégorisation de celles-ci en deux domaines : les connaissances à mobiliser
(sur l’objet protocole, les méthodes expérimentales, les connaissances
scientifiques), et la prise en compte du contexte de l’expérience (comprendre
l’objectif, utiliser les données du problème éventuellement dans un raisonnement
par anticipation, et prendre en compte le matériel disponible).
L’ensemble de ces travaux nous a ainsi amené à proposer une catégorisation des
difficultés identifiées a priori dans une situation de conception expérimentale sur
la mise en évidence de la fermentation alcoolique (tableau 5).
Concepts fondamentaux Techniques de laboratoire Méthode expérimentale
Concepts de
biologie Fermentation alcoolique Connaissances du matériel de laboratoire Démarche expérimentale Objet protocole (structure)
Microorganismes Témoin
Le vivant Plan
expérimental
Concepts de
chimie Equation de réaction Recherche d’une
technique de
laboratoire
Réinvestissement Contraintes
institutionnelles
liées à la
conception
expérimentale en
biologie
Temporelle
Réaction chimique Technique
proposée Biologique (utilisation du
vivant)
Gaz (dissolution) Adéquation de la technique avec
l’objet à mesurer Matériel disponible
Tableau 5 : proposition de catégorisation des difficultés identifiées a priori dans une situation de
conception expérimentale sur les métabolismes cellulaires
Ainsi les difficultés concernant les concepts ont été subdivisées selon les
disciplines concernées. En effet, nous avons vu dans la littérature que la biochimie
est une discipline transversale (Rumelhard & Desbeaux-Salviat, 2000) qui allie à la
fois des concepts de biologie et de chimie. Le cloisonnement des disciplines
(Fortin, 2004) présent dans le système éducatif français implique des difficultés de
cet ordre.
Catégorisation des difficultés identifiées a priori
en biologie :
Nous reprenons les trois concepts fondamentaux à l’origine de difficultés que nous
avons relevé dans les différents travaux. Ainsi nous proposons une sous-catégorie
de difficultés liée aux concepts de la fermentation alcoolique et plus
particulièrement à la confusion entre les conditions de réalisation de la
fermentation alcoolique et celle de la respiration cellulaire. A cela nous ajoutons
une sous-catégorie de difficultés concernant les microorganismes à l’origine de la
réalisation du métabolisme de la fermentation alcoolique. Le fait que les
microorganismes fassent partie du vivant, peut également être un concept à
l’origine de difficultés.
en chimie :
Les concepts les plus représentatifs dans la situation que nous proposons sont la
réaction chimique et son équation de réaction ainsi que les notions relatives au
gaz. En effet, l’équation de réaction implique une connaissance des molécules, des
atomes, ce qui pose des difficultés en terme d’échelle d’étude et de vision
stationnaire d’une réaction dynamique (Barlet & Plouin, 1994). Enfin, le concept de
dissolution des gaz nécessaire à la compréhension de la nécessité d’une mise en
anaérobie stricte pour la réalisation de la fermentation alcoolique des levures,
pourrait être à l’origine de difficultés (Séré, 1986 ; Stavy, 1988, 1990). Cela met en
lien des objets théoriques microscopiques (Loi de Henry) et son application réelle
non visible ayant des conséquences sur des objets vivants (métabolisme des
levures).
Une autre catégorie de difficultés que nous proposons, est celle relative aux
techniques de laboratoires utilisées. Nous les subdivisons en trois sous catégories :
connaissance du matériel de laboratoire :
La connaissance du matériel de laboratoire est nécessaire à la conception de
dispositifs expérimentaux. Cela fait partie de la matrice cognitive mobilisée dans
une tâche de ce type (Berthet & al., 2015). La bonne connaissance du matériel peut
avoir une incidence sur son utilisation qui peut être détournée afin de répondre
aux contraintes matérielles et institutionnelles
la recherche d’une technique de laboratoire :
Pour chaque phénomène étudié, les élèves vont devoir choisir ou utiliser une
technique de laboratoire qui leur sera soit imposée par l’enseignant, soit ils
devront la choisir. Le choix de la technique de laboratoire peut être orientée par
les habitudes de classe, le matériel présent ou proposé par l’enseignant, les
connaissances des élèves et la simplicité du dispositif. Ainsi, des difficultés peuvent
apparaître dans le cas d’un réinvestissement de techniques déjà connues
(protocole mal maîtrisé, peu adapté à la situation) ou bien lors d’un premier
contact (suivi peu rigoureux du protocole proposé par l’enseignant s’il existe).
l’adéquation de la technique avec l’objet à mesurer :
Le choix de la technique de laboratoire par les élèves peut être inapproprié par
rapport à la mesure à effectuer et à la précision demandée. Ceci souligne une
mauvaise connaissance de la technique et des mesures à effectuer. Là aussi le choix
du matériel et de la technique peut être sous influence du matériel proposé ou mis
à disposition, sa simplicité d’utilisation, et de sa maîtrise par les élèves.
Enfin, la dernière catégorie de difficultés proposée est la méthode expérimentale.
Comme mentionné au cours des analyses précédentes, elle fait partie intégrante
des apprentissages tout au long du cursus scolaire dans les disciplines
scientifiques. Ainsi, on distingue deux catégories :
la démarche expérimentale :
Elle comprend des objets d’études bien spécifiques à l’origine de difficultés. L’objet
protocole en lui-même dont l’apprentissage de sa structuration est peu enseigné
au lycée. On parle davantage de « stratégie de résolution » dans les programmes.
La structuration en étapes et actions paramétrées, l’anticipation de l’expérience
(Beaufils & Larcher, 1999) en elle-même est mal maîtrisée par les élèves. La
conception d’un protocole n’est réalisable que si l’objet de l’étude à travers la
consigne donnée est compris. En lien avec la démarche expérimentale, des
difficultés liées à la notion de témoin ont été identifiées dans la littérature. Est-il
nécessaire de faire un témoin ? Comment le réaliser ? (Coquidé & al., 1999). On
peut supposer un effet de contrat avec l’enseignement de la démarche
expérimentale sur laquelle les enseignants insistent sur la notion de témoin.
Encore faut-il en avoir la nécessité et l’utilité par rapport aux objectifs de
l’expérimentation.
les contraintes institutionnelles liées à la conception expérimentale en
biologie :
L’étude menée en 1999 par Schneeberger & Rodriguez, distingue trois sous
catégories. Tout d’abord les difficultés liées au matériel biologique vivant. En effet,
la mise en évidence de la fermentation alcoolique utilise des levures comme
microorganisme. En plus des difficultés précédemment mentionnées dans la
première catégorie, il faut aussi prendre en compte les contraintes liées à leur
utilisation. En effet, les levures sont sensibles aux variations des conditions du
milieu et peuvent ainsi réagir différemment au cours de l’expérience. Il faut ainsi
prendre en compte les variations des conditions du milieu, le fait qu’il s’agit d’un
ensemble de réactions et que cette réaction peut prendre du temps.
Ce qui nous amène à prise en compte de la contrainte temporelle liée à la fois à
l’institution (durée d’une séance de TP) et liée à l’utilisation d’un matériel vivant
qui peut réagir de façon différente (temps de mise en route de la réaction de
fermentation par exemple). Ainsi les élèves devront anticiper et prendre en
compte cette contrainte lors de leur planification d’expérience et du choix du
temps de la mesure, de la durée de l’expérience.
Enfin, le matériel disponible en classe lié aux contraintes de l’établissement devra
être pris en compte. Cela demande à ce que les élèves puissent adapter leur
protocole initial en fonction de ce qui est réalisable et disponible en classe.
Dans cette partie nous avons identifié à travers l’analyse des savoirs en jeu, et celle
de différents travaux de recherche, les principales difficultés liées à une situation
de conception expérimentale sur la mise en évidence de la fermentation alcoolique.
L’élaboration de la situation proposée aux élèves et implémentée dans l’EIAH
s’appuiera sur cette analyse a priori afin de mettre en place des étayages en
conséquence, et sur la modélisation des connaissances en jeu que nous réalisons
dans le cadre de la TAD.