L’analyse des savoirs de référence précédemment présentée nous a permis de
montrer la complexité et la richesse des concepts associés à celui de la
fermentation alcoolique. Il se dégage ainsi plusieurs aspects :
La fermentation alcoolique se distingue des autres métabolismes par
des conditions de réalisation strictes.
La fermentation alcoolique est un ensemble de réactions chimiques
complexes
La fermentation alcoolique survient à des niveaux d’organisation
biologiques différents
L’étude de la fermentation alcoolique est au carrefour de deux
disciplines que sont la biologie et la chimie.
Nous supposons que ces différentes caractéristiques peuvent être à l’origine de
difficultés chez les élèves. Nous allons ainsi présenter les résultats de travaux afin
d’identifier les difficultés relatives aux concepts scientifiques étudiés. Nous allons
pour cela relever les principales difficultés selon les axes présentés ci-dessous :
Difficultés à distinguer les différents métabolismes et notamment confusion
entre les métabolismes de la respiration cellulaire et de la fermentation
alcoolique.
Difficultés à associer le métabolisme de la fermentation alcoolique à un
processus impliquant des organismes vivants.
Difficultés liées à l’utilisation du vivant dans une situation de conception
expérimentale
Difficultés à matérialiser les gaz et à définir leurs rôles dans le métabolisme
de la fermentation alcoolique
Difficultés à associer l’équation de réaction statique à un phénomène
dynamique et complexe.
Difficulté à décloisonner les disciplines et à conceptualiser hors du champ
disciplinaire
Enfin, nous aborderons un dernier point lié à la conception expérimentale et que
nous n’avons pas développé dans l’analyse des difficultés liées à cette activité dans
le chapitre 1. Il s’agit des difficultés liées à la pertinence du matériel utilisé par les
élèves, et à l’influence du matériel disponible dans la recherche d’une stratégie de
résolution.
Conceptions et difficultés identifiées a priori
2.1. Difficultés à distinguer les différents métabolismes, confusion
entre les métabolismes de la respiration cellulaire et de la
fermentation alcoolique
De précédentes études dont celle de Flores, Tovar & Gallegos (2003) menée au
Mexique et Songer & Mintzes (1994) aux Etats Unis, ont mis en évidence des
difficultés sur le concept même de la fermentation alcoolique. Ces études menées à
l’université ont pointé notamment des difficultés dues à la confusion entre les
différents métabolismes étudiés, la photosynthèse, la respiration cellulaire, et la
fermentation alcoolique. Rappelons qu’en France, ces trois métabolismes sont
étudiés successivement en classe de terminale de spécialité SVT (BO spécial n° 8
du 13 octobre 2011).
Leurs études mettent en avant une définition erronée et récurrente chez les
étudiants, à savoir que la fermentation est, selon eux, une respiration en anaérobie
« anaerobic respiration ». Ils proposent deux explications.
L’étude de Flores & al. (2003) présente les résultats d’une analyse comparative de
1200 questionnaires à destination d’étudiants de niveaux d’étude différents à
Mexico. Ce questionnaire porte en particulier sur la représentation de la cellule, et
les relations entre la structure et les fonctions cellulaires d’un organisme. Les
résultats mettent en avant chez les étudiants, l’association d’organismes simples à
un métabolisme simple « unicellular organisms respire anaerobically because they
are simple » (Flores & al., 2003, p.274). Ce qui impliquerait, toujours selon ces
auteurs, que les plantes (perçues comme des organismes simples) et les
organismes unicellulaires réalisent un métabolisme anaérobie. Cette vision pose
également des problèmes quant à la définition d’organismes et surtout sur la
complexité des organismes. Cela soulève également un questionnement à propos
de la connaissance des élèves sur les microorganismes et notamment celui de la
levure qui réalise les deux types de métabolismes, la fermentation et la respiration
cellulaire. De plus, cela soulève une méconnaissance du fonctionnement
métabolique des végétaux.
Une autre explication a été proposée dans une étude plus ancienne de Songer &
Mintzes (1994). Cette étude présente les résultats de l’évolution des conceptions
des élèves aux Etats Unis sur le thème de la respiration cellulaire. Une des
conceptions relevées chez les élève est qu’en absence d’apport de nutriments
(glucides principalement) dans le métabolisme de la respiration cellulaire, le corps
a la possibilité de changer de métabolisme et de passer en respiration anaérobie,
« whithout eating, your body would bum up the reserve of glucose in the body. After
that is gone it would switch to anaerobic respiration » [Sans manger, le corps brûle
les réserves de glucose disponibles. Une fois épuisées le métabolisme de
respiration en anaérobie prend le pas] (Songer & Mintzes, 1994, p.628). Le
métabolisme de la fermentation alcoolique est ainsi considéré comme un
métabolisme de secours, qui prend le relais si la disponibilité en nutriment est
diminuée. Cette conception montre également une méconnaissance quant à
l’origine des substrats glycolytiques.
Une autre origine possible de confusion entre les métabolismes, est la présence de
gaz (réactifs ou produits) similaires aux trois métabolismes. En effet, les élèves ont
des difficultés à associer la fonction et l’origine de ces gaz pour chaque
métabolisme. Un même gaz peut être un réactif ou un produit selon le type de
métabolisme concerné. Ainsi, toujours selon la même étude, le gaz consommé n’est
pas fonction du type d’organisme mais du type de métabolisme réalisé « animals
are aerobic because they need oxygen, instead of plants, they respire anaerobic
because they need CO
2» [les animaux ont un métabolisme aérobie parce qu’ils ont
besoin d’oxygène, alors que les plantes respirent en anaérobie parce qu’elles ont
besoin de CO
2] (Songer & Mintzes, 1994, p.630).
La production de gaz et notamment le dioxyde de carbone lors de la réalisation de
la fermentation alcoolique est également à l’origine de conceptions erronées
(paragraphe 2.4) « Fermentation is the use of carbon dioxyde instead of oxygen » [la
fermentation consiste à utiliser le dioxyde de carbone au lieu de l’oxygène] (Songer
& Mintzes, 1994, p.628), qui mettent en avant la non distinction, voir même la
confusion entre les réactifs et les produits des trois métabolismes étudiés.
2.2. Difficultés à associer le métabolisme de la fermentation alcoolique
à un processus impliquant des organismes vivants
La difficulté identifiée précédemment relative à l’identification des
microorganismes responsables de la fermentation alcoolique est également
révélée dans différentes études.
Tout d’abord, les études de Songer & Mintzes (1994) et Schneeberger & Rodriguez
(1999), mettent en avant la confusion des microorganismes, notamment entre les
levures et les bactéries « Yeast causes the bread to rise because it is a bacteria and
when it multiplies it has to expend which in turn bread to rise » [les levures
participent à la levée du pain car ce sont des bactéries qui se multiplient] (Songer
& Mintzes, 1994, p.630).
De même Schneeberger & Rodriguez (1999) notent qu’ « en effet, certains élèves ne
font pas la distinction entre une substance et les levures, êtres vivants unicellulaires »
(p.98). Les levures ne sont ainsi pas associées au concept de vivant, et aux
contraintes environnementales que cela implique. Certains élèves cherchent
« quelle est la partie vivante de la levure ? » (p.98) ce qui implique que le vivant est
associé à une structure cellulaire que pourrait posséder ou pas la levure. Ainsi la
place de la levure dans le monde vivant est, pour certains élèves à l’origine de
difficultés.
Ceci nous amène à relever une autre conception erronée. L’étude de Songer &
Mintzes (1994) met en avant le fait que, selon les élèves, la fermentation alcoolique
est un processus de vieillissement, voire de mort des levures « Yeast are dead when
you use them » « fermentation is an aging process » [Les levures sont mortes quand
on les utilise… la fermentation est un processus de vieillissement] (Songer &
Mintzes, 1994, p.628). Les étudiants ont des difficultés à concevoir que les levures
sont des organismes vivants qui réalisent un métabolisme. L’idée de vieillissement
est corrélée notamment au concept de vinification qui aboutit à la production
d’alcool « as yeast get older, they mix with the air and make alcohol » [quand les
levures vieillissent, elles se mélangent avec l’air et fabriquent de l’alcool] (Songer &
Mintzes, 1994, p.628). Ce processus est associé à la putréfaction, la pourriture ou la
mort des microorganismes. Néanmoins elle laisse apparaître une conception vraie
qui est, qu’en vieillissant, les levures transforment le sucre en alcool, ce qui est du
point de vue de la chimie, correcte.
Conceptions et difficultés identifiées a priori
En effet, cette même étude met en évidence que les élèves ont intégré le fait que la
fermentation alcoolique est le résultat de la consommation de sucre qui va selon
eux se « changer » en alcool et dioxyde de carbone. Nous révélons ainsi des
difficultés quant à l’interprétation de l’équation de réaction dite « bilan » de ce
processus. (Paragraphe 2.5)
2.3. Difficultés liées à l’utilisation du vivant dans une situation de
conception expérimentale
Les résultats de travaux réalisés sur des situations de conception expérimentales
impliquant l’utilisation du vivant (Schneeberger & Rodriguez, 1999 ; Coquidé,
Bourgeois-Victor & Desbeaux-Salviat, 1999), révèlent certaines difficultés chez les
élèves que nous proposons de développer dans ce paragraphe.
En effet, de précédentes recherches ont montré la difficulté de réaliser une
investigation sur le vivant. Coquidé & al. (1999) dans une étude sur les rapports
expérimentaux d’élèves de première S concluent sur le fait que « l’investigation sur
le vivant n’est pas simple et nécessite que le scientifique invente des protocoles
originaux et des techniques proprement biologiques ». En effet, la conception de
protocoles expérimentaux sur le vivant doit prendre en compte les effets de
variabilités, de spécificité, de diversité et de complexité propre au vivant. En effet,
« le réel résiste à l’expérimentation » (Coquidé & al., 1999, p.2) et nécessite une
gestion des imprévus du côté des enseignants mais aussi des élèves.
Schneeberger & Rodriguez (1999) qualifient l’utilisation du vivant comme une
contrainte biologique à laquelle peut s’ajouter une contrainte temporelle. Leur
étude dans des classes de lycée, montre que, du fait de leur inexpérience, les élèves
n’ont pas conscience du temps nécessaire pour réaliser les montages et les
mesures envisagés : « Ils manquent de temps ». L’association des contraintes
biologiques (utilisant le vivant) et temporelles, ne sont pas prises en compte, dans
le sens où les élèves n’ont pas conscience que les processus biologiques amorcés se
déroulent sans arrêt. L’anticipation en amont lors de la conception de protocole est
une difficulté à l’origine d’erreur d’interprétation des résultats obtenus. Les élèves
ne prennent pas en compte l’aspect dynamique du phénomène étudié, comme
nous allons le développer dans des travaux sur la réaction chimique (paragraphe
2.5). Les contraintes biologiques sont également accentuées par les contraintes
institutionnelles d’une classe de lycée (temps de séance, règles de sécurité).
2.4. Difficultés à matérialiser les gaz et à définir leur rôle dans le
métabolisme de la fermentation alcoolique
L’analyse des représentations des élèves sur les échanges gazeux effectués dans la
réalisation de certains métabolismes a mis en évidence certaines difficultés
notamment celles liées à la matérialité du gaz (Monchamp, 1997 ; Astolfi &
Peterfalvi, 1997).
En effet dans une étude sur l’analyse des réponses d’élèves de seconde confrontés
à l’expérience de Van Helmont
5, Campestrini (1992) relève une difficulté pour les
élèves d’accepter « la nécessité d’un facteur minéral impalpable, le dioxyde de
carbone » (Campestrini, 1992, p. 85) pour la nutrition des plantes. Cette difficulté
fait appel à la notion de matérialité du gaz qui est identifiée notamment dans les
travaux d’Astolfi & Peterfalvi (1997) comme un obstacle pour les élèves car « la
matière est envisagée comme de nature solide ou liquide, mais certainement pas
gazeuse » (p.198). Les gaz ne sont pas perçus comme étant de la matière, et l’air est
synonyme de vide. Ils expliquent que « l'origine de cet obstacle résulte du caractère
aperceptif de l'air et des gaz, ce qui conduit régulièrement à les oublier quand on
cherche à comprendre et à interpréter divers phénomènes. » (Astolfi & Peterfalvi,
1997, p.202). Cette idée de gaz invisible a été définie dans les travaux de Stavy
(1988) à partir d’un recueil de conceptions d’élèves du collège sur le concept de
gaz. Dans une étude ultérieure (1990), ce même auteur va s’intéresser aux
changements d’états de la matière et notamment au phénomène de dissolution des
gaz. En effet, il relève chez les élèves des difficultés à expliciter l’existence d’une
dissolution des gaz du fait de l’invisibilité de ce processus. De plus, lorsqu’il s’agit
d’une dissolution d’une matière solide (exemple du sucre) les élèves parlent de
disparition. Les travaux de Séré (1985) précisent cette difficulté conceptuelle
concernant la dissolution des gaz, en identifiant une condition nécessaire à ce
phénomène de dissolution selon les élèves, qui est le mouvement de l’air. Dans son
étude sur les conceptions des élèves de 6
ème, elle montre qu’ils éprouvent des
difficultés à matérialiser l’air s’il n’est pas en mouvement, car selon eux les gaz
agissent uniquement lorsqu’ils sont en mouvement. Ainsi, dans une enceinte
fermée les gaz présents n’agissent pas spontanément, ce qui est un obstacle au
concept de dissolution des gaz. Les gaz « agiront » qu’à partir du moment où une
action est effectuée sur ce gaz comme par exemple exercer une pression.
Dans d’autres études sur la photosynthèse, le dioxyde de carbone, en plus d’être
invisible n’est que très rarement associé à la fonction de nutrition pour les mêmes
raisons que celles présentées ci-dessus « un gaz n’étant pas de la matière, on ne
peut pas faire de la matière vivante avec du CO
2à l’état gazeux » (Monchamp, 1997,
p.70). De plus il s’agit d’un gaz souvent représenté comme étant une molécule
néfaste. Dans une étude sur les représentations à propos de la photosynthèse,
Rumelhard (1985) identifie des difficultés chez certains élèves qui associent le gaz
dioxyde de carbone à l’idée de gaz toxique, malsain à l’origine de la pollution. Cette
idée constitue un obstacle pour les élèves car « les idées largement répandues sur
la "pollution" en particulier par les gaz résultant des combustions et des
échappements de voitures font percevoir le CO
2comme gaz essentiellement nocif et
dangereux (confondant en cela avec l'oxyde de carbone) et donc incapable de jouer
un rôle positif » (p.43).
Cette idée a été reprise dans les travaux de Songer & Mintzes (1994) dans lesquels
les auteurs retrouvent associé au métabolisme de la fermentation alcoolique, la
production de dioxyde de carbone considéré comme étant un « mauvais gaz ». En
effet, selon les élèves, ce gaz est mauvais, car il est associé à la mort des cellules, et
il serait à l’origine de la levée du pain « the accumulation of carbon dioxyde in the
5 L’expérience de van Helmont sur la nutrition des plantes l’amène à conclure sur le fait que la matière
constitutive des arbres provient de l’eau d’arrosage. Van Helmont éprouvait la difficulté à imaginer que l’air,
Conceptions et difficultés identifiées a priori