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4.5 Sujets et méthodes

4.5.5 Traitement des données

4.6.1.4 Pratiques

Parmi les 132 personnes reconnaissant la leishmaniose dans son acception vernaculaire, 68 affirment l’avoir déjà contractée (51,5 %). Les hommes sont plus touchés que les femmes (57 %, 61/107 vs 28 %, 7/25 ; p = 0,01).

La localisation la plus fréquemment citée est la jambe (51.5 %, 35/68), suivi de la cuisse (11.8 %, 8/68), puis du bras (8.8 %, 6/68). Ce sont des zones souvent découvertes où l’insecte peut facilement se poser pour piquer. En Guyane, entre 1994 et 2003, les leishmanioses diagnostiquées au centre hospitalier de Cayenne étaient localisées à 16,3 % sur les jambes, 13,8 % sur l'avant-bras, 13 % sur le thorax et 10,4 % sur la face (pour ne donner que les principales localisations) (Klisnick, 2006). Bien que cela puisse laisser supposer que d'autres étiologies cohabitent avec la leishmaniose pour les ulcères cutanés dénommés kalasapa et kalasapau, la faible proportion de personnes portant des bottes ou des vêtement longs est vraisemblablement à l'origine de ces différences.

Pour ce qui est des soins, 48,5 % (33/68) des personnes ont eu recours uniquement au traitement médical, 36,8 % (25/68) ont eu recours aux deux thérapeutiques, et 14,7 % (10/68) uniquement aux thérapeutiques traditionnelles (une seule personne est allée voir un chamane) (figure 12). Les résultats observés par Agelas (1999) sont respectivement de 46,9 %, 30,0 % et 21,5 %. Le plus faible recours aux thérapeutiques traditionnelles sur l'Oyapock pourrait s'expliquer par la différence entre les zones étudiées et par l'écart (10 ans) entre les deux études, durant lequel la gestion des

dispensaires éloignés s'est fortement améliorée, permettant un meilleur accès aux soins biomédicaux et diminuant le recours aux traitements traditionnels. En terme de démarche initiale, 55.9 % des personnes (38/68) ayant eu la maladie sont allés d’abord voir le médecin au dispensaire, et 42,6 % (29/68) ont eu recours en premier lieu à un remède traditionnel. Dans ce cas, 25 % (17/68) ont consulté des personnes proches et 17.7 % (12/68) ont utilisées seules les remèdes.

La relation entre remèdes végétaux et médicaments est complexe puisque 20 personnes parmi les 29 ayant commencé à se traiter avec des remèdes végétaux ont suivi par la suite un traitement médicamenteux et cinq personnes, sur les 38 ayant commencé par un traitement médicamenteux, ont utilisé après celui-ci un remède végétal. Les hommes sembleraient plus enclins que les femmes à utiliser des remèdes traditionnels (47,5 %, 29/61 vs 28,6 %, 2/7; p = 0,4) mais le test manque de puissance du fait de la faible proportion de femmes atteintes. La moyenne d'âge des personnes ayant eu recours à un remède traditionnel parait plus élevée que celle des personnes ayant eu recours à un traitement médicamenteux (42,2 ans vs 37,9 ans, p = 0,2). Les personnes atteintes à la tête, au thorax et au dos semblent privilégier un traitement médical (100 %, 8/8) par rapport aux personnes touchées aux membres et au bassin (71,7 %, 43/60 ; p = 0,2). Le niveau de scolarité n'influe pas à ce niveau (p = 0,42), contrairement aux observations faites par Agelas (1999).

L'utilisation d'un moyen de prévention semble influer sur la probabilité de développer la maladie. En effet, 41,3 % des personnes employant un moyen de prévention ont déclaré avoir eu la leishmaniose contre 57 % des personnes n'en utilisant pas (19/46 contre 49/86, p = 0,09). De plus, 66,7 % des personnes utilisant de l'huile de carapa mélangée au rocou n'ont pas eu la leishmaniose, alors que seuls 30 % des personnes utilisant des bottes et des vêtements longs ont échappé à la maladie (22/33 contre 3/10; p = 0,07). Cette observation est intéressante en matière de validation des comportements médicaux traditionnels, mais mériterait cependant une étude plus approfondie et des effectifs plus importants.

figure 12 : Catégorie de traitement utilisé

m ixte ; 36,8 %

biom édical; 48,5 %

4.6.2 Remèdes phytothérapeutiques

Sur 132 personnes connaissant la maladie, 71 ont pu citer un ou plusieurs remèdes antileishmaniens à base de plante, dont 14 ont effectivement été utilisés. Au total, 85 recettes ont donc été répertoriées correspondant à 38 espèces (tableau 13).

Les espèces connues les plus citées sont :

Wasey laãga (Eleutherine bulbosa, Iridaceae) citée 14 fois

Wasey (Euterpe oleracea, Arecaceae) citée 9 fois

Ama'i (Cecropia obtusa, Cecropiaceae) citée 8 fois

Kalasapau poã (Jatropha curcas, Euphorbiaceae) citée 7 fois

Kumaka (Ceiba pentandra, Bombacaceae) citée 6 fois

Bapaju, mãũ (Carica papaya, Caricaceae) citée 6 fois

Kalasapau poã ipo pilã (Callichlamys latifolia, Bignoniaceae) citée 5 fois

Kau kau (Cereus hexagonus, Cactaceae) citée 5 fois

Kalasapau poã ipo (Arrabidaea nigrescens) citée 4 fois

Dans cette liste apparaissent trois des espèces qui ont été parmi les plus utilisées en situation réelle de traitement : C. papaya (utilisée 5 fois), C. latifolia (3 fois) et C. hexagonus (3 fois), ce qui témoigne d’une certaine cohérence entre connaissance théorique et attitude pratique. Cependant E.

bulbosa et E. oleracea, les plus citées théoriquement, n’ont été qu’assez peu employées.

Lors des enquêtes, les recettes n'ont été consignées que pour les deux premiers remèdes cités par chaque interlocuteur. Le nombre total de recettes récoltées s'élève donc à 85, et l'ensemble présente une très grande homogénéité : tous les remèdes contre la leishmaniose sont appliqués par voie externe, ce qui est cohérent avec les pratiques généralement constatées en Amazonie.

Deux manières d'administrer les remèdes peuvent cependant être différenciées, bien que très proches : soit une partie de la plante est écrasée et maintenue au contact de la plaie, soit le jus exprimé de la plante est étalé sur la plaie (illustration 65). Chacune des espèces citées plus de 4 fois comporte les deux types d'application, avec une plus forte utilisation des jus exprimés (31 contre 13 pour les cataplasmes). Pour les espèces moins citées, c'est encore l'application du jus de l'organe râpé ou écrasé qui domine, mais il est probable que la cohabitation des deux formes se retrouverait avec un nombre de questionnaires plus élevé.

Les latex, qui ne rentrent pas dans cette comparaison, sont également tous appliqués directement sur la plaie. Il en est de même pour la pâte de rocou.

Des recettes différentes se retrouvent cependant pour ka'asili (Maprounea guianensis), pole (Senna

reticulata ) et baytakini (cf Manilkara spp.). Pour la première, les feuilles sont séchées, pulvérisées,

et appliquées, alors que pour la seconde, les feuilles sont infusées dans de l'eau qui va servir à baigner la plaie plusieurs jours de suite. Le troisième remède présente une différence notable. Le latex coagulé va être chauffé (assez pour se ramollir un peu), puis utilisé comme un tampon sur l'ulcère. Cet usage, douloureux à en croire les informateurs, peut être efficace car les leishmanies sont peu tolérantes à la chaleur (Moskowitz & Kurban, 1999).

Sept autres recettes (sur les 85 relevées) mettent d'ailleurs la chaleur à contribution. Soit les parties de plantes à exprimer sont un peu chauffées et le jus qui en sort est immédiatement appliqué, soit le jus est obtenu par expression à froid et chauffé ensuite. Si la chaleur joue un rôle physique évident en amollissant les tissus de l'organe végétal à exprimer, son action sur les parasites n'est pas, comme

Illustration 65 : préparation extemporanée d'un remède à base de kalasapau poã ipo pilã (par F. Kuyuli)

évoqué précédemment, négligeable.

Enfin, un seul remède composé a été relevé. Il s'agit d'une préparation à base de graines de wasey (Euterpe oleracea) grillées et pilées, mélangées au jus exprimé de l'écorce de inga wasa (Inga

edulis), le tout appliqué en cataplasme. Ce remède a été cité deux fois, par une femme et son mari.

L'utilisation de plantes fraîches est largement majoritaire, ainsi que le décrivaient déjà Grenand & Grenand en 1982. D'après eux, l'explication tient dans la proximité des végétaux utilisés, ne nécessitant pas de méthodes de conservation. Dans l'ensemble, les remèdes sont appliqués plusieurs fois, parfois une ou deux semaines durant, parfois jusqu'à guérison.

Tableau 13 : Plantes répertoriées contre la leishmaniose dans le haut et moyen Oyapock Détermination botanique Famille, N° herbier Noms locaux Nbre

cit.a Nbre util.b cult.Gpe c Partie utilisée Recettes

Annona ambotay Aubl.

Annonaceae, GO 686 iwitay 2/85 Wi.d écorce jus et/ou cataplasme

Arrabidaea nigrescens

Sandwith

Bignoniaceae, GO 682

kalasapau poã

ipo 4/85 2/27 Wi. écorce jus (parfois chauffé) et/ou cataplasme

Bixa orellana L.

Bixaceae, GO 697 uluku 1/85 1/27 Wi.

pâte préparée avec

l'arille cataplasme

Bonafousia siphilitica (L. f.)

L. Allorge

Apocynaceae, GO 694 radie capiaye 1/85 Br.

e latex appliqué sur la plaie

Callichlamys latifolia (Rich.)

K. Schum.

Bignoniaceae, GO 685

kalasapau poã

ipo pilã 5/85 3/27 Wi. écorce jus (parfois chauffé) et/ou cataplasme, ou bain

Carapa guianensis Aubl.

Meliaceae, GO 681 yani loyani 1/851/85 Wi. huile de la graineécorce huile appliquée à chaudjus

Carica papaya L. Caricaceae, GO 700

papaye

(bapaju) (mãũ) 6/85 5/27

To.f

Wi. latex appliqué sur la plaie

Cecropia obtusa Trecul

Cecropiaceae, GO 679 ama'i 8/85 2/27 Wi. écorce jus et/ou cataplasme

Ceiba pentandra (L.) Gaertn.

Bombacaceae, GO 668 kumaka 6/85 2/27 Wi. écorce jus et/ou cataplasme

Cereus hexagonus (L.) Mill.

Cactaceae, nch kau kau 5/85 3/27 Wi.

partie externe de la tige / pulpe

jus (parfois chauffé) et/ou cataplasme

Citrus aurantifolia (Christm.)

Swingle Rutaceae, nc

citron vert 2/85 Wi. fruit jus chauffé

cf Combretum sp.

Combretaceae, nc ipoyu 1/85 To. sève appliquée sur la plaie

Coutoubea ramosa Aubl.

Crescentia cujete L.

Bignoniaceae, GO 672 kwi'i 3/85 Wi. écorce cataplasme

Eleutherine bulbosa (Mill.)

Urb.

Iridaceae, GO 671 wasey laãga 14/85 2/27 Wi. bulbe

jus (parfois chauffé) et/ou cataplasme

Euterpe oleracea Mart.

Arecaceae, GO 677 wasey 9/85 1/27 (To.)Wi. méristème apical / racines jus et/ou cataplasme

Gossypium barbadense L.

Malvaceae, GO 698 coton violet 2/85

Br.

Mx.g bourgeon, jeunes feuilles jus chauffé

Hibiscus sabdariffa L.

Malvaceae, GO 693 ? 1/85 Wi. feuilles, tiges jus

Hydrochorea corymbosa

(Rich.) Barneby & J.W. Grimes

Fabaceae, GO 696

kalai pei 1/85 To. écorce jus

indet.

indet., nc wila i 1/85 Wi. écorce jus

Inga bourgoni* (Aubl.) DC. Inga alba* (Sw.) Willd. Fabaceae, GO 673, GO 674

inga sisi,

bougouni 3/85 1/27 Wi.

Pk. écorce jus

Inga edulis Mart.

Fabaceae, GO 692 inga wasa 2/85 To. écorce jus

Inga sp.

Fabaceae, nc inga u 1/85 1/27 Mx. écorce jus

cf Jatropha curcas L.

Euphorbiaceae, nc kalasapau poã 7/85 2/27 Wi. écorce / fruit / racine jus et/ou cataplasme

Lonchocarpus chrysophyllus

Kleinhoonte

Fabaceae, GO 701 imeku 1/85 Wi. racine, tige jus

Mangifera indica L.

Anacardiaceae, GO 676 1/85 Wi. écorce jus

cf Manilkara40 spp.

Sapotaceae, nc baytakini 3/85 To. latex coagulé application à chaud

Maprounea guianensis Aubl.

Euphorbiaceae, nc ka'asili 1/85 Wi. feuilles cataplasme

Musa x paradisiaca L.

Musaceae, GO 683 pako 1/85 Wi. jeune pousse jus

Nicotiana tabacum L.

Solanaceae, nc tabaco 1/85 Br. feuilles fermentées cataplasme

Portulaca pilosa L.

Portulacaceae, GO 690 tui 1/85 Wi. parties aériennes cataplasme

Psidium acutangulum DC.

Myrtaceae, nc alali (goyave saut) 1/85 Wi. écorce jus

Sapium ciliatum Hemsl.

Euphorbiaceae, GO 688 melekene 1/85 1/27 Wi. latex / écorce appliqué sur la plaie

Senna reticulata (Willd.) H.S.

Irwin & Barneby

Fabaceae, GO 689 pole 1/85 Wi. feuilles bain d'infusion de feuilles

Solanum crinitum Lam.

Solanaceae, GO 680 yũ ãsisi 2/85 Wi. écorce jus

Solanum subinerme Jacq.

Solanaceae, GO 678 yũ sõwĩ 1/85 Wi. écorce jus

cf Thurnia sphaerocephala (Rudge) Hook. f.

Thurniaceae, nc

kwayiti 2/85 1/27 To. fruit ?

a : Nbre cit. = nombre de citations pour cette espèce ; b : Nbre util. = nombre d'utilisations pour cette espèce ; c : Gpe cult. = groupe culturel concerné ; d : Wi = Wayãpi ; e : To = Teko ; f : Br = Brésilien ; g : Mx = mixte Wayãpi/Teko ; h : nc = espèce non collectée, * = ces espèces sont volontairement regroupées car peu différenciées localement