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4.5 Sujets et méthodes

4.6.3 Analyse comparative : évolution et transformation des savoirs

Les données ethnobotaniques sont inexistantes chez les Teko, mais richement documentées chez les Wayãpi. Grenand et al. (2004) mentionnent 5 espèces utilisées comme antileishmaniennes, plusieurs années auparavant :

Anemopaegma paraense (Bignoniaceae)

Callichlamys latifolia (Bignoniaceae)

Faramea guianensis (Rubiaceae)

Mussatia prieurei (Bignoniaceae)

Pavonia schiedeana (Malvaceae)

Quatre de ces espèces ne sont plus citées aujourd'hui, et seule C. latifolia, qui passe pour être l'espèce phare chez les Wayãpi contre cette maladie, se retrouve dans cette enquête, montrant par là une évolution des savoirs dans le temps. Cette instabilité temporelle, pour reprendre une opinion émise par Balée (1994), pourrait être liée à la nature même de la transmission des savoirs dans les sociétés à tradition orale.

L'apparition des usages contemporains peut être expliquée de deux manières : une plante donnée peut soit être utilisée pour d'autres problèmes dermatologiques et devenir antileishmanienne par « glissement intra-communautaire d'usage », soit être utilisée par un groupe voisin et, par le biais d'échanges culturels, subir un « glissement inter-communautaire ». A partir des espèces mentionnées comme utiles contre la leishmaniose dans cette enquête CAP, une compilation bibliographique des usages dermatologiques recensés dans le plateau des Guyane a été effectuée (tableau 14).

Tableau 14 : Usages régionaux des remèdes antileishmaniens de l'Oyapock et des espèces voisines Nom latin Famille Gpe cult.a autres usages antileishmaniens régionaux usages antileishmaniens d'espèces voisines usages dermatologiques régionaux Annona ambotay Annonaceae Wi.b Arrabidaea nigrescens Bignoniaceae Wi. Bixa orellana

Bixaceae Wi. Créole, Kali'na (Agelas, 1999) abcèsWayãpi (Grenand et al., 2004) Bonafousia siphilitica

Apocynaceae Br.c

Brésilien, Créole (Agelas, 1999)

B. macrocalyx, érysipèle, cicatrisant Palikur (Grenand et al., 2004) Callichlamys latifolia Bignoniaceae Wi. Carapa guianensis Meliaceae Wi. Créole, Aluku (Agelas, 1999) Arawak, Carib, Warao, costlanders (Van Andel, 2000 a)

brûlures, coupures, blessures Arawak, Carib (Van Andel, 2000 a) gale, ectoparasites

Wayana (Fleury, 2007) dermatologie, acné

Créoles, Palikur (Grenand et al., 2004) Carica papaya Caricaceae To. d Wi. Cecropia obtusa

Cecropiaceae Wi. Créole (Grenand et al., 2004)

C. sciadophylla Créole, Aluku (Agelas, 1999)

cicatrisant

Wayãpi (Grenand et al., 2004) Cecropia spp., abcès, coupures, blessures

Arawak, Carib (Van Andel, 2000 a) Ceiba pentandra

Bombacaceae Wi.

Cereus hexagonus

Cactaceae Wi.

cicatrisant

Palikur (Grenand et al., 2004) Citrus aurantifolia Rutaceae Wi. Créole, Palikur (Grenand et al., 2004) Palikur (Agelas, 1999)

dartres, érysipèles, crevasses Palikur (Grenand et al., 2004)

Coutoubea ramosa

Gentianaceae To.

désinfectant

Créoles, Palikur (Grenand et al., 2004) Crescentia cujete Bignoniaceae Wi. Eleutherine bulbosa Iridaceae Wi. cicatrisant

Wayãpi (Grenand et al., 2004) Euterpe oleracea

Arecaceae (To.)Wi.

coupures, blessures

Arawak, Warao (Van Andel, 2000 a) coupures

Créoles (Grenand et al., 2004) Gossypium barbadense Malvaceae Br. Mx.e Créole, Aluku (Agelas, 1999) muguet

Arawak, costlanders (Van Andel, 2000 a)

Hibiscus sabdariffa

Malvaceae Wi. H. rosa sinensis, abcèsArawak (Van Andel, 2000 a) Hydrochorea corymbosa Fabaceae To. Inga bourgoni* Inga alba* Fabaceae Pk.f Wi. Palikur (Grenand et al., 2004) Créole, Brésilien, Kali'na, Aluku, Palikur (Agelas, 1999; Grenand et al., 2004) Inga spp. Arawak, costlanders, Palikur, Saramaka (Agelas, 1999; Grenand et al., 2004; Sauvain, 1989; Van Andel, 2000 a) I. alba, inflammation Warao (Van Andel, 2000 a) I. lateriflora, coupures, blessures Arawak (Van Andel, 2000 a) I. pezizifera, coupures Wayana (Fleury, 2007) I. alba, muguet

Wayãpi (Grenand et al., 2004) Inga edulis

Fabaceae To. idem idem

Jatropha curcas

Euphorbiaceae Wi.

Kali'na, Aluku, Créole (Agelas, 1999)

Arawak (Van Andel, 2000 a)

J. gossypifolia Arawak, costlanders (Van Andel, 2000 a)

abcès

Arawak, costlanders (Van Andel, 2000 a)

muguet

Palikur (Grenand et al., 2004) blessures

Créoles ste Lucie (Grenand et al., 2004)

J. gossypifolia, inflammation Arawak, costlanders (Van Andel, 2000 a)

Lonchocarpus chrysophyllus

Fabaceae Wi.

Arawak (Van Andel, 2000 a)

L. aff. martynii Arawak (Van Andel, 2000 a)

désinfectant

Palikur (Grenand et al., 2004) Mangifera indica

Anacardiaceae Wi.

Maprounea guianensis

Euphorbiaceae Wi. Arawak (Van Andel, 2000 a)

irritations

Arawak (Van Andel, 2000 a) chancres vénériens, boutons Créoles (Grenand et al., 2004)

Musa x paradisiaca

Musaceae Wi. H'mong (Agelas, 1999)

coupures

Wayana (Fleury, 2007) Musa sp., coupures, blessures Arawak (Van Andel, 2000 a) M. sapientum, antiseptique Wayãpi (Grenand et al., 2004) Nicotiana tabacum

Solanaceae Br. Créole (Agelas, 1999)

vers macaques

Carib (Van Andel, 2000 a) Wayãpi (Grenand et al., 2004) Portulaca pilosa Portulacaceae Wi. P. oleracea Aluku (Agelas, 1999) Psidium acutangulum Myrtaceae Wi. P. guajava Palikur (Grenand et al., 2004) Sapium ciliatum Euphorbiaceae Wi. S. argutum, blessures

Palikur (Grenand et al., 2004) Senna reticulata Fabaceae Wi. S. alata Créole, Kali'na, Aluku, Arawak S. alata, dartres

Arawak, costlanders (Van Andel, 2000 a) Palikur, Créoles (Grenand

(Agelas, 1999; Van

Andel, 2000 a) et al., 2004) Solanum crinitum

Solanaceae Wi.

S. leucocarpon Arawak, Carib (Van Andel, 2000 a) Solanum subinerme

Solanaceae Wi. Idem

Thurnia sphaerocephala

Thurniaceae To.

a : Gpe. cult. = groupes culturels ayant cité l'espèce ; b : Wi = Wayãpi ; c : Br. = Brésilien ; d : To. = Teko ; e : Mx. = mixte Wayãpi/Teko ; f : Pk. = Palikur ; * = ces espèces sont volontairement regroupées car peu différenciées localement.

Parmi les 36 espèces citées dans ce tableau, 13 ont été relevées comme antileishmaniennes sur le plateau des Guyanes et pour 11 espèces, une autre espèce du même genre a été citée dans la région. Cette observation illustre le rôle important des échanges inter-communautaires dans la genèse des pharmacopées locales.

Pour 20 espèces, au moins un usage dermatologique a été retrouvé sur le plateau des Guyanes, confortant l'observation précédente. Pour 6 espèces, un usage dermatologique différent de la leishmaniose (désinfectant, cicatrisant) est cité chez les Wayãpi. Ainsi, bien que la maladie semblent bien reconnue, certains remèdes utilisés peuvent soigner plusieurs affections dermatologiques, et l'hypothèse que des remèdes anciens aient changé d'indication thérapeutique est vraisemblable. Cependant, 10 espèces ne comptent aucun usage contre la leishmaniose ou autres affections dermatologiques dans la région (ni espèces voisines utilisées à ces fins). Parmi ces espèces, se trouvent quelques unes des plus fréquemment citées, notamment Carica papaya (Caricaceae, citée 6 fois), Ceiba pentandra (Bombacaceae, citée 6 fois), Callichlamys latifolia (Bignoniaceae, citée 5 fois), Arrabidaea nigrescens (Bignoniaceae, citée 4 fois) et Crescentia cujete (Bignoniaceae, citée 3 fois).

Trois de ces 10 espèces ont été citées par des Teko, ce qui porte à 37,5 % (3/8) la proportion de remèdes teko non partagés à l'échelle régionale, si ce n'est par leurs proches voisins Wayãpi. L'ethnobotanique médicale de ce groupe culturel reste à décrire, et cette observation pourrait laisser présager d'une relative spécificité.

Ces comparaisons montrent que les pharmacopées locales, pour « traditionnelles » qu'elles soient, ne sont pas des ensembles figés. Héritages anciens, glissements d'usages, échanges culturels ou

apparitions de novo sont autant de composantes menant à un renouveau permanent des remèdes phytothérapeutiques.

Dans le cas du haut et moyen Oyapock, l'augmentation du nombre de remèdes et le renouveau observé semblerait davantage lié à l'intégration de remèdes allogènes qu'à des glissements d'usages au sein du même groupe culturel. Ceci pourrait s'expliquer par divers facteurs tels que l'ouverture de la route St Georges de l'Oyapock - Régina en 2003, les échanges croissants avec les populations brésiliennes (à Camopi) ou l'augmentation du nombre d'élèves scolarisés dans le secondaire loin de leur village, augmentant les contacts avec des groupes culturels voisins.