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3.1 Aspect ethnopharmacologique

3.1.9 Galénique des remèdes traditionnels

Quatorze sources seulement spécifient les modalités d'utilisation des remèdes et concernent 107 espèces (126 citations). La quasi-totalité des remèdes sont appliqués par voie externe. Cent remèdes (79,4 %) sont utilisés sous forme de topiques, ce qui en fait la voie d'administration la plus usitée, et 15 de ces 100 topiques sont préparés à base de plantes sèches pulvérisées. Dix remèdes sont utilisés uniquement en lavage (7,9 %), ce qui en fait le deuxième mode d'administration, et 9 remèdes combinent lavage et topique. Cinq remèdes (3,9 %) sont utilisés par voie interne sous forme d'infusions ou décoctions et trois de manière combinée (interne et topique), uniquement chez les Chayahuita au Pérou. Cette restriction à une seule ethnie de l'utilisation de la voie orale est originale. Enfin, deux espèces (Pavonia schiedeana et Faramea guianensis) sont utilisées sous forme de fumigations par les Wayãpi de Guyane française.

La prépondérance de la voie externe et de l'usage topique sont ici évidents. Dobles-Ulloa & Perriard (1994) soulignent l'importance de sécher la plaie pour une guérison efficace (au Costa Rica), comportement qui peut être mis en relation avec l'utilisation de remèdes sous forme de poudres de plantes sèches dans 11,8 % des cas, l'application de cendres végétales chaudes en Equateur (Weigel et al., 2001), ou encore les fumigations en Guyane chez les Wayãpi (Grenand et al., 2004). Pour les deux derniers exemples, le rôle de la chaleur doit également être souligné.

La conséquence biologique majeure de l'administration locale est l'affranchissement par rapport à un certain nombre de contraintes physiologiques. Les phases d'absorption, métabolisation et distribution des substances actives sont ici rendues inutile par une libération à l'emplacement même de la lésion, au niveau des cellules parasitées, conduisant à une forte concentration locale des substances actives.

3.1.9.1 Analyse de diffusion par espèce

Afin de mesurer la diffusion des usages, à la fois au niveau géographique et culturel pour chaque espèce botanique, 3 indices ont été définis : un indice de diffusion géographique de l’usage, un indice de diffusion culturelle et enfin un indice qui combine les deux indices précédent, appelé indice de diffusion générale.

Indice de diffusion géographique

nuage de points représentant les usages placés sur la carte de l'Amazonie utilisée comme un repère orthonormé plan.

A chaque point (usage) est attribué un couple de coordonnées (xi, yi), obtenu en plaçant le curseur

de la souris sur la carte avec le logiciel Gimp 2,0. Le barycentre du nuage de point est calculé et a comme coordonnées (xb, yb). Chaque distance (Di) entre un point i et le barycentre est calculée, puis

la moyenne de ces Di (Di) est effectuée. La distance maximale (Dmax) au barycentre est calculée en

considérant uniquement les deux points les plus distants sur la carte (Embera en Colombie et population rurale du Maranhão au Brésil) et a pour valeur numérique 182,5. Enfin, le rapport Di/Dmax est calculé, permettant d'obtenir un indice compris entre 0 et 1 représentant la répartition des

points par rapport à la répartition maximale théorique sur l'espace géographique considéré. Les formules obtenues sont les suivantes :

D

i

=

x

i

−x

b

2

y

i

−y

b

2

I

g

= D

i

/D

max

Plus la valeur de l'Ig est proche de 0, plus les points sont proches de leur barycentre, d'où une

diffusion géographique très faible. Plus la valeur est proche de 1, plus leur distance est grande avec le barycentre, signe d'un éclatement du nuage de point et d'une diffusion élevée de l'usage.

Les indices de diffusion géographique ont été calculés sans tenir compte des usages au Panama, au Costa-Rica et dans la région de Bahia, trop éloignés de la zone amazonienne.

Indice de diffusion culturelle

L'indice de diffusion culturelle (Ic) consiste à calculer, pour chaque espèce, la somme des groupes

culturels faisant usage de celle-ci (sans tenir compte des redondances quand deux documents relèvent le même usage dans le même groupe). Ce nombre est ensuite divisé par le nombre total de groupes en Amazonie pour lesquels au moins un usage à été répertorié (soit 34). Cet indice donne donc la proportion de groupes utilisant une espèce par rapport au nombre total de groupes considérés dans l'analyse.

Indice de diffusion générale

(pondérée par les valeurs maximales observées Icmax et Igmax) des deux indices précédents selon la

formule suivante :

I

dj

= ((I

cj

/I

cmax

)+(I

gj

/I

gmax

))/2

Résultats

Le tableau 6 donne les indices calculés pour les espèces ayant un Ic supérieur à 0,1 ( = cités par plus

de 4 groupes culturels).

Les trois indices décrits ici permettent bien de dégager des tendances fortes en terme de répartition des remèdes antileishmaniens en Amazonie.

Les espèces présentant l'indice de diffusion générale le plus élevé, pouvant être considérées comme des remèdes culturellement et géographiquement répandus, sont Spondias mombin, Citrus

aurantifolia, Irlbachia alata et Manihot esculenta.

Les espèces utilisées dans le plus de groupes culturels sont Spondias mombin, Manihot esculenta et

Carapa guianensis. Ces trois espèces sont pan-amazoniennes, et très connues en Amazonie. Manihot esculenta est à la base du régime alimentaire dans de nombreux groupes, Carapa

Tableau 6 : Indices calculés pour les espèces les plus citées, classement par Id décroissant

Espèce Famille Ic Ig Id

Spondias mombin L. Anacardiaceae 0,29 0,68 0,94

Citrus aurantifolia (Christm.)

Swingle

Rutaceae 0,12 0,78 0,70

Irlbachia alata (Aubl.) Maas Gentianaceae 0,15 0,67 0,68

Manihot esculenta Crantz Euphorbiaceae 0,24 0,38 0,64

Jatropha curcas L. Euphorbiaceae 0,15 0,49 0,56

Scoparia dulcis L. Scrophulariaceae 0,12 0,47 0,50

Carapa guianensis Aubl. Meliaceae 0,18 0,18 0,42

Anacardium occidentale L. Anacardiaceae 0,15 0,25 0,41

Hura crepitans L. Euphorbiaceae 0,12 0,21 0,33

Vismia guianensis (Aubl.) Pers. Clusiaceae 0,12 0,20 0,33

Senna alata (L.) Roxb. Fabaceae 0,12 0,14 0,29

guianensis fournit une huile commerciale très appréciée, et le fruit de Spondias mombin est un

comestible prisé qui fait que cet arbre est fréquemment planté dans les villages ou conservé dans les abattis.

Les espèces présentant les indices de diffusion géographique les plus élevés sont Citrus

aurantifolia, Spondias mombin et Irlbachia alata. Elles peuvent donc être considérées comme

d'utilisation pan-amazonienne. Par contre, les indices de diffusion géographique faibles mesurés pour Inga alba, Senna alata et Carapa guianensis sont le signe d'une utilisation très localisée géographiquement (en l'occurrence restreinte au plateau des Guyanes) et ceci bien qu'il s'agisse d'espèces répandues dans toute l'Amazonie.

Il est à noter que toutes les espèces citées sont soit cultivées, soit fréquentes dans les milieux secondarisés et/ou facilement reconnaissables. Il est donc vraisemblable que la facilité d'obtention du remède joue un rôle important dans l'expansion de son usage, mais il peut également être avancé que les espèces les mieux reconnues sont également les plus à même d'être citées lors des enquêtes.

3.1.9.2 Analyse de diffusion par genre

Le calcul des indices de diffusion culturelle et géographique peut également être fait au niveau du genre. Le tableau 7 répertorie les indices calculés pour les genres ayant un Ic supérieur à 0,1 ( = cités

par plus de 4 groupes culturels).

Les genres contenant les espèces présentes dans le tableau 6 apparaissent nécessairement ici puisqu'une seule espèce de chacun de ces genres est utilisée par plus de 4 groupes culturels, conférant au genre un Ic supérieur à 0,1. De nouveaux genres se trouvent cependant mis en exergue

par cette analyse, principalement les genres Piper et Jacaranda.

Les genres présentant le meilleur indice de diffusion générale sont Spondias, Piper et Citrus. L'absence d'espèces du genre Piper dans le tableau 6 est liée au nombre élevé d'espèces différentes utilisées.

Les genres Spondias, Inga, Manihot, Citrus et Piper présentent la plus grande répartition dans des groupes culturels distincts.

En ce qui concerne la diffusion géographique, les genres présentant un Ig élevé sont Jacaranda, Piper, Philodendron, Spondias, Irlbachia, Citrus et Dieffenbachia. Ces genres peuvent être

considérés comme d'utilisation pan-amazonienne. A l'opposé, Maytenus, Inga, Senna, Croton et

Carapa, par leurs indices faibles, témoignent d'usages restreints à des zones géographiques

relativement petites par rapport à la zone d'étude. L'emploi des genres Maytenus et Croton est localisé en Amazonie occidentale, alors que celui des genres Inga, Senna et Carapa semble inféodé

Tableau 7 : Indices calculés pour les genres les plus cités, classement par Id décroissant

Genre Famille d'espècesNbre Ic Ig Id

Spondias Anacardiaceae 1 0,29 0,68 0,99 Piper Piperaceae 5 0,21 0,69 0,84 Citrus Rutaceae 4 0,21 0,66 0,82 Jacaranda Bignoniaceae 4 0,15 0,70 0,75 Irlbachia Gentianaceae 1 0,15 0,67 0,73 Dieffenbachia Araceae 2 ? 0,15 0,65 0,71 Philodendron Araceae 4 0,12 0,69 0,69 Manihot Euphorbiaceae 1 0,24 0,38 0,67 Tabernaemontana ( = Bonafousia) Apocynaceae 2 ? 0,15 0,57 0,66 Solanum Solanaceae 3 0,12 0,56 0,60 Jatropha Euphorbiaceae 2 0,18 0,38 0,57 Scoparia Scrophulariaceae 1 0,12 0,47 0,54 Copaifera Fabaceae 2 ? 0,12 0,48 0,54 Curarea Menispermaceae 3 0,12 0,44 0,51 Inga Fabaceae 7 0,24 0,13 0,49 Anacardium Anacardiaceae 1 0,15 0,25 0,43 Carapa Meliaceae 1 0,18 0,18 0,43 Ficus Moraceae 3 ? 0,12 0,31 0,42 Vismia Clusiaceae 7 ? 0,15 0,22 0,41 Hura Euphorbiaceae 1 0,12 0,21 0,35 Smilax Smilacaceae ? 0,12 0,20 0,34 Senna Fabaceae 1 0,12 0,14 0,30 Maytenus Celastraceae ? 0,12 0,12 0,29

au plateau des Guyanes.

Aucune plante de la famille des Asteraceae n'apparait dans cette liste, alors que les familles les plus citées (plus de 10 occurrences) sont toutes représentées. Son absence pourrait être liée aux nombreux genres présents dans cette grande famille, dotés paradoxalement de trop peu d'usages chacun pour être significatifs.

L’analyse au niveau générique permet de mettre en évidence des genres non représentés dans l'analyse au niveau de l’espèce. Ceci est du au fait que, dans chacun d'eux, un grand nombre d’espèces sont employées. Une des hypothèse qui peut être faite à ce sujet est qu’il peut exister des composés antileishmaniens communs à plusieurs espèces appartenant à un même genre, justifiant par là une diffusion interspécifique d’usage. Cette hypothèse vaut notamment pour les genres Vismia, Inga, Piper,

Citrus, Jacaranda et Philodendron.

L’autre hypothèse qui peut être soulevée, et qui peut se combiner avec la première est que, pour reprendre les mots de Grenand et al. (2004) « certains noms vernaculaires regroupent parfois deux, voire plusieurs espèces différentes : le plus souvent, la raison en est que ces espèces ne sont pas distinguées par la population concernée ». Enfin, certaines déterminations botaniques incomplètes (Maytenus spp.,

Smilax spp.) ne peuvent être intégrées que dans une analyse générique.