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4.3 Résultats et discussion

4.3.1 Analyse du questionnaire C A P

Les questionnaires ont été administrés à 93 personnes, mais certains points n’ont pas toujours pu être complétés (question incomprise, ignorance de la réponse etc.) Seuls 26 questionnaires portent à la fois sur ta'ta' et sur wayani. Le sex ratio homme/femme est de 1,1, et la moyenne d'âge de 33,5 ans. Douze personnes habitent Atahualpa, 45 habitent Soledad centre, et le reste habitent des hameaux épars. 19 personnes sur 93 (20,4 %) ont souffert de ta'ta' et aucune de wayani.

4.3.1.2 Connaissance de la maladie

Il était demandé aux personnes si elles connaissait les maladies ta'ta' / wayani, et si elles en avait souffert.

La maladie apparaît comme connue pour 77,4 % des personnes interrogées (72/93) et 22,6 % (21/93) n'en ont jamais entendu parler. 20,4 % des personnes interrogées affirment avoir déjà contracté ta'ta' (19/93), et personne n'a eu wayani, mais la maladie est connue de vue, sur d'autres personnes. La maladie semble plus fréquente chez les personnes du genre masculin (34,1 %, 14/41 vs 17,9 %, 5/28 pour le genre féminin).

Illustration 61 : Ecriture des données après une collecte avec S. Rengifo

Description de ta'ta' et wayani

Il était demandé aux personnes, sous forme de question ouverte, de décrire ta'ta' / wayani en faisant préciser au fur et à mesure : la taille, l’aspect, le temps, la présence d’une cicatrice.

Pour ta'ta', 63 personnes sur 72 (87,5 %) ont pu fournir une description, même succincte. Neuf personnes (12,5 %) ne connaissaient que le nom. Les pourcentages seront calculés en fonction du nombre de personnes connaissant la maladie, soit 72. Dans les 63 descriptions vient systématiquement la notion de plaie. Le caractère humide, contenant du pus, du sang (sangre, pus,

flema, espuma, humedo) est noté par 59,7 % (43/72). La forme arrondie est notée par 48,6 %

(35/72). Pour 17 personnes (23,6 %) la plaie se creuse (peut aller jusqu'à l’os dans certains cas) et laisse une cicatrice dans 20,8 % (15/72 pers) (figure 5). Les tailles annoncées sont très variables, de 1 à 15 cm, mais dans l’ensemble, restent assez petites (de l’ordre de quelques cm).

Ta'ta' est considérée comme pouvant affecter n’importe quelle partie du corps, mais les gens qui

portent des cicatrices typiques les portent plus fréquemment sur les jambes ou les avant-bras, ce qui est aussi noté chez les informateurs qui ont seulement vu la maladie chez une tierce personne.

Le temps nécessaire à la guérison de ta'ta' parait assez imprécis, allant de une semaine à 5 ans. La réponse la plus fréquente étant « un mois » (14 fois), suivie par « un an » (9 fois) et « deux mois » (7 fois).

Pour wayani, 65,4 % peuvent fournir une description (17/26). 61,5 % des personnes (16/26) indiquent que cela détruit (malogra, destruye, come) et 19,2 % (5/26) font mention de saignements. Les informateurs convergent, pour wayani, sur l’affection des narines (parfois la seule information

figure 5 : Aspects caractéristiques de ta'ta' pour les Chayahuita

12,5% 20,8% 23,6% 48,6% 59,7% 0,0% 10,0% 20,0% 30,0% 40,0% 50,0% 60,0% 70,0% pas de description cicatrice profonde forme arrondie hum idité

connue). L'atteinte des lèvres n'est mentionnée qu'une seule fois.

Dix personnes seulement ont donné des indications de temps (variables) pour la durée de wayani, dont 5 qualitatives (ex : longtemps), et 4 personnes évoquent spontanément la mort en l’absence de soins.

La leishmaniose cutanée peut être définie, en termes biomédicaux, comme une ulcération ronde, à bords nets, au fond purulent, parfois mélé de sang, sanieux, et laissant une cicatrice indélébile (Pilly, 2007). Cette ulcération est indolore, mais le pourtour est prurigineux32.

Les critères observés pour ta'ta' (aspect, caractère humide, localisations, forme, cicatrice) sont bien cohérent avec ces symptômes, et permettent d'affirmer que la leishmaniose cutanée est incluse dans le concept de ta'ta'. Cependant, pour des description qui mentionnent des lésions étendues ou profondes, il est possible d'évoquer d'autres étiologies (voir chapitre 2.1.5, page 24).

Concernant wayani, sa localisation particulière et sa gravité ressentie peuvent tout à fait la faire apparenter à une leishmaniose muco-cutanée.

Il est donc possible de conclure que, au travers des concepts ta'ta' et wayani, ce sont bien deux formes de leishmanioses (cutanées et muco-cutanées) qui sont reconnues par les Chayahuita, sans toutefois pouvoir affirmer que ces concepts vernaculaires soient en adéquation parfaite avec les concepts biomédicaux.

Origine de la maladie

Il était demandé comment est contractée la maladie, et qui peut la contracter.

Pour ta'ta', seules 57 personnes ont su donner une cause à la maladie. Il apparaît que pour 56,1 % (32/57), la principale est la morsure d'une sangsue (cumpirutan). Viennent ensuite la piqûre d'insectes (22,8 % 13/57), dont les guêpes (cancan), les moucherons (icu), les moustiques (yun), les taons (tunka). La blessure ou le bouton infecté est cité dans 15,8 % des cas (9/57), l'écharde, épine ou esquille (naramutu) dans 12,3 % des cas (7/57), et les autres origines (penutu, arc-en-ciel) représentent 5,3 % du total (3/57). Six personnes (10,5 %) ont fourni plusieurs étiologies (figure 6).

32 http ://www.med.univ-rennes1.fr/htbin/adm/reponse.pl?cnx = og2124&prg = 1&cod = M04361) consulté le 3 mars 2010.

Dans les réponses, il est parfois dit que l'insecte piqueur peut transporter une entité invisible responsable de la maladie. La pire situation étant celle où l'insecte va piquer un serpent venimeux puis un homme ensuite. Cette conception, voisine de la notion de vecteur dans la théorie biomédicale, pourrait témoigner de l'influence des formations que reçoivent les agents de santé locaux, favorisant ensuite dans le reste de la population de tels syncrétismes. Cela a été également observé au Costa-Rica (Dobles-Ulloa & Perriard, 1994).

Vingt et une personnes connaissent une étiologie pour wayani. Dans 52,4 % des cas (11/21), wayani est une entité assimilée à un petit ver qui se cache sous des feuilles et attend la nuit pour entrer dans la narine de son hôte, ou à une sangsue cumpirutan, voire à une classe de cumpirutan particulière. Ce wayani est dans 28,6 % des cas (6/21) issu d’un papillon de nuit (wishushurate) qui pond un œuf (ou plusieurs) directement dans la narine du malade. Le rôle préventif de la moustiquaire nous a été spontanément cité par 42,9 % des interviewés. Il est souvent dit que le wayani reste caché en haut du nez pendant la journée, et descend la nuit pour manger le pourtour des narines.

Dans 38,1 % des cas (8/21), c'est la conséquence de la contagion de ta'ta' : soit évolution normale de ta'ta' non soignée (19 %, 4/21), soit contamination (19 %, 4/21) par le toucher ou l’odeur. L’infection par contamination peut pour certaines personnes donner naissance à un ver wayani, ce qui montre que ces deux origines ne sont pas incompatibles.

La parenté entre ta'ta' et wayani (outre les cas de contagion qui confirment l’unicité de la maladie) se voit par la similarité de leur agents responsables supposés : cumpirutan et wayani. Cette parenté est, encore une fois, révélatrice d'une bonne adéquation entre ces maladies et les leishmanioses. Toutes les personnes sont susceptibles de développer la maladie, indifféremment du sexe ou de

figure 6 : Etiologies proposées pour ta'ta'

5,3% 12,3% 15,8% 22,8% 56,1% 0,0% 10,0% 20,0% 30,0% 40,0% 50,0% 60,0% autres épine blessure insecte sa ngsue

l'âge.

4.3.1.3 Attitudes et pratiques

Pratiques de soin

Il était demandé aux personnes qui ont eu ta'ta' / wayani qui les a soigné, et comment ; et aux personnes qui n'ont pas eu ces maladies quel serait leur recours thérapeutique.

Pour ta'ta', 19 personnes sur 93 déclarent avoir eu la maladie (20,4 %), et 66 personnes seulement ont répondu à la première question. Ici, les données n'ont pas été séparées entre personnes ayant eu la maladie et celles ne l'ayant pas eu, comme ce sera le cas sur l'Oyapock. Un traitement traditionnel semble plébiscité dans 46,3 % des cas (31/66), un traitement biomédical dans 35,8 % (24/66), et un recours aux deux types de thérapeutiques pour le reste (16,4 %, 11/66) (figure 7). L'agent de santé sera consulté par 53,0 % des personnes interrogées (35/66), l’automédication préconisée par 47,0 % (31/66) puis viennent le recours au nunentuna’pi (12,1 %, 8/66) et au penutu (4,5 %, 3/66) (figure 8). Le pourcentage total est > 100 car plusieurs personnes citent indifféremment plusieurs pratiques, le choix s’effectuant vraisemblablement sur des critères autres que l’efficacité (ex : proximité, présence, coût etc.). Le recours aux plantes médicinales est prépondérant (58,2 %, (31 + 8)/66), mais le pourcentage élevé en faveur de l'agent de santé s’explique par une foi grandissante en la médecine allopathique moderne, bien que l'agent de santé soit le plus généralement démuni de médicaments efficaces, tout au plus des antibiotiques et antipyrétiques et aucun médicament antileishmanien. Les 4,5 % d'intentions pour le penutu sont à relier aux quelques personnes qui voient ta'ta' comme une maladie envoyée par un penutu.

Dans le cas de wayani, que personne n'a contractée, une grande majorité des personnes se tournerait en 1ère intention vers l'agent de santé, voire l’hôpital de Yurimaguas (76,2 %, 16/21). Cela illustre le

degré de gravité élevé perçu pour cette maladie.

figure 7 : Catégorie de traitement évoquée tra ditionne l 47%

biom é dica l 36% m ix te 17%

figure 8 : Recours évoqué par la population

4,5% 12,1% 47,0% 53,0% 0,0% 10,0% 20,0% 30,0% 40,0% 50,0% 60,0% pe nutu nune ntuna'pi automé dication agent de santé

4.3.2 Analyse des traitements