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3.3 Molécules antileishmaniennes issues de la biodiversité

3.3.5 Les lactones

Isolée de Annona haematantha (Annonaceae), collectée en Guyane française, l'argentilactone (illustration 56) est active à une concentration de 10 µg/mL sur diverses espèces de Leishmania. In

vivo, sur des souris BALB/c infectées par L. amazonensis et traitées par voie sous-cutanée (25

mg/kg/jour pendant 14 jours), l'activité est identique à celle du Glucantime®, avec une toxicité

apparente assez faible. L'administration orale (25 mg/kg/jour) s'est révélée globalement moins efficace, mais avec une diminution de la charge parasitaire supérieure dans la rate (Waechter et al., 1997).

3.4 Discussion

L'étude des perceptions des leishmanioses et des remèdes utilisés dans les populations où ces maladies sévissent est pertinente, dans la mesure où elles sont reconnues et fréquemment soignées par des remèdes phytothérapeutiques. Bien que les données soient parcellaires, certains usages sont suffisamment cités pour permettre une comparaison.

Ces remèdes s'échangent entre groupes culturels, et certains peuvent se retrouver d'un bout à l'autre de l'Amazonie. Si des caractères morphologiques peuvent, par association symbolique, encourager l'utilisation d'une espèce donnée, ces convergences d'usages ne sont probablement pas étrangères aux propriétés intrinsèques des plantes étudiées. Des genres tels que Piper ou Tabernaemontana, d'usage assez répandu, ont fourni des molécules actives in vitro et in vivo.

La comparaison des familles les plus actives en général (tableau 8) et des familles les plus utilisées montre ainsi de nettes différences, les familles dotées des meilleures activités au laboratoire n'étant pas toujours les plus fréquemment choisies par les populations locales. Devant la multitude de facteurs influant sur la guérison de ces maladies, l'empirisme des pratiques traditionnelles présente l'avantage, par rapport aux modèles de laboratoire, de ne pas se limiter à un mode d'action unique. Cependant, lorsque l'analyse se focalise sur les stades parasitaires présents chez l'homme (tableau 10), les familles apparaissant comme les plus actives fournissent plusieurs genres très

Illustration 56 : Argentilactone

O O

utilisés. Les Anacardiaceae, les Apocynaceae, les Bignoniaceae, les Euphorbiaceae et les Piperaceae (meilleures résidus pour les amastigotes axéniques) contiennent respectivement les genres

Anacardium et Spondias, Tabernaemontana, Jacaranda, Jatropha et Manihot, et Piper, tous très

utilisés en Amazonie. Les Clusiaceae, les Fabaceae et les Meliaceae (meilleurs résidus pour les macrophages infectés) contiennent respectivement les genres Vismia, Inga et Carapa, dont l'emploi est très fréquent. Cette convergence est difficilement imputable au hasard.

Cependant, le fossé entre l'utilisation d'un remède phytothérapeutique in situ et son évaluation en laboratoire reste profond. Le choix d'un modèle, d'une espèce et d'une souche de parasite, les parties de plantes testées, leur provenance et condition de collecte, sont autant de facteurs qui peuvent faire varier les résultats d'essais biologiques. Une bonne connaissance de la perception de la maladie, des traitements utilisés, et surtout des modalités de leur mise en œuvre est fondamentale dans toute évaluation de traitements traditionnels.

Cette approche globale, pan-amazonienne, privilégiant un ensemble botaniquement et sociologiquement homogène et utilisant des outils nouveaux pour analyser des données éparses dans la littérature, a permis de faire émerger un certain nombre de remèdes déjà connus comme potentiellement actifs, ainsi que quelques autres (Inga spp, Irlbachia alata, Jatropha curcas) pour lesquels il serait important d'entreprendre une analyse pharmacologique.

Certaines molécules naturelles actives in vivo sont présentes dans des espèces végétales traditionnellement utilisées comme antileishmaniennes (le limonène dans plusieurs Citrus, la chimanine D dans Galipea longiflora, la jatrophone dans Jatropha gossypifolia, ou la quercétine dans Kalanchoe pinnata). Cela confirme une fois de plus l'intérêt des savoirs locaux dans la recherche de nouveaux composés anti-parasitaires, tout en ouvrant des pistes pour la rationalisation des usages de ces remèdes (parties à utiliser préférentiellement, mode de préparation etc.), comme l'ont fait Houël et al. (2009) pour Quassia amara dans le cas du paludisme.

4 Etude de cas

Afin de confronter les données de la littérature avec des ensembles culturels différents, deux terrains d'études ont été sélectionnés. La première étude a été réalisée au Pérou, chez les Chayahuita, et la deuxième en Guyane française sur le haut et le moyen Oyapock, chez les Wayãpi et les Teko. Les méthodologies appliquées dans chacun de ces cas diffèrent, la deuxième étude ayant été repensée d'après les conclusions de la première.

4.1 Les Chayahuita

4.1.1 Le milieu

La zone géographique dans laquelle a été menée cette étude est une zone de transition entre les forêts sub-montagnardes et la forêt tropicale de plaine. A quelques kilomètres, se trouvent les derniers contreforts andins (illustration 57).

L'écosystème majoritaire est la forêt sempervirente non inondable (de terra firme), mais se trouvent également des zones basses (bajiales) saisonnièrement inondées, ou des lacs (cochas) formés de méandres fermés, vestiges d'un cours ancien du Paranapura.

Le climat est équatorial de plaine, de type bimodal (alternance de saison sèche et humide). Les

températures maximales normales sont de 28 à 32°C, les minimales de 20 à 24°C. Les précipitations de septembre à mai (saison humide) cumulent de 2 000 à 2 400 mm d'eau26.

Le sol est de nature sédimentaire datant du crétacé27.

4.1.2 Histoire

Aujourd’hui aussi appelée Shawi en espagnol, et Kanpo Piyawi en langue vernaculaire (Barraza de García, 2005), l’ethnie chayahuita est forte de plus de 15 000 individus (13 717 d’après INEI (1994)). Elle est rattachée à la famille linguistique cahuapanas et à la sous-famille cheberoana (Garcia Tomas, 1993). Son territoire historique est constitué des bassins versants des rivières Paranapura, Cahuapanas, Sillay, et Zapote (Soto-Valdivia, 1983 ; Fuentes, 1989) (illustration 58).

Aujourd’hui principalement sédentaires et riverains, ils menaient autrefois une vie inter-riveraine adaptée à la chasse, la cueillette, et l’agriculture sur brûlis (Ochoa, 2007). Ces différentes activités ont aujourd’hui encore lieu, mais les implantations actuelles à proximité des voies de communications fluviales (illustration 59) ont permis certaines modifications. La pêche est plus importante, et l’agriculture ainsi qu'un peu d’élevage permettent parfois de dégager des excédents 26 http ://www.indeci.gob.pe/atlas_peligros_nat/atlas.htm consulté le 13 octobre 2009.

Illustration 58 : Aire d'établissement des Chayahuita et zone d'enquête (carte H. Grebic, modifié d'après Dradi (1987))

commercialisables au niveau des différents foyers urbains, principalement Yurimaguas et San Lorenzo (Fuentes, 1988). Aujourd'hui, les singularités anciennes tendent à s’effriter au profit d’une homogénéisation avec la société métisse (Fuentes, 1989).

4.1.3 Système médical

Les Chayahuita semblent avoir pratiqué une médecine chamanique depuis longtemps (Garcia Tomas, 1994). Les maladies sont souvent envoyées soit par les esprits tutélaires de lieux particuliers, de plantes ou d'animaux, soit par un chamane mal intentionné, sous forme de fléchettes (shinërë) uniquement visibles par l'initié. Ce dernier, appelé penutu, interagit avec ces esprits, avec l'aide de ses esprits alliés, par l'intermédiaire de chants (penui) et des visions induites par la prise ritualisée d'une décoction d'ayahuasca (mélange de Banisteriopsis caapi et de Psychotria viridis) et la fumée de tabac (Nicotiana tabacum) (Garcia Tomas, 1994 ; Villaran & Saurin, 2006). D'autres praticiens, notamment l'uwatu, ne possédant pas la maîtrise de l'ayahuasca, se contentent d'ôter les

shinere à l'aide de la fumée de tabac et des chants. Enfin, une dernière catégorie de praticien, le nunentuna’pi, est plus versé dans la phytothérapie. Cette dernière spécialité ne nécessite pas

d'initiation, et de fait, de nombreuses personnes sont considérées comme telles à des degrés plus ou moins élevés (Ochoa, 1999).

A part l'usage du ojé (Ficus insipida) bien documenté par Ochoa (1999), et les recettes consignées

par Garcia Tomas (1994) et Castillo (2007), peu de données sont disponibles sur la pharmacopée chayahuita dans son ensemble, et celles qui le sont ne font jamais références à des herbiers, et ont parfois été collectées dans des zones éloignées du Paranapura. Les seules enquêtes faisant exception sont celles de Kvist et al. (2006) et de Estevez et al. (2007), traitant de la leishmaniose et du paludisme.

4.1.4 Justification de l'étude

Les Chayahuita vivent en zone d'endémie leishmanienne (illustrations 4 et 5, page 29). Deux études font état de remèdes spécifiquement antileishmaniens (Kvist et al., 2006 ; Estevez et al., 2007), mais aucune n'aborde les connaissances, attitudes et pratiques concernant ces maladies. En approfondissant ces enquêtes, l'idée était d'aboutir à des résultats plus fins tant au niveau de la connaissance locale de cette maladie, que des traitements qui y sont associés. L'objectif est ici d'établir un lien entre conception de la maladie et remèdes utilisés, d'observer la place contemporaine de la phytothérapie traditionnelle, et d'évaluer in vitro (traité au chapitre 5, page 141) les remèdes utilisés.

4.2 Sujets et méthodes