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Les pratiques de GRH des PME ou gère-t-on le personnel autrement dans les PME?

DEUXIEME PARTIE : Le diagnostic RH et son objet : la Petite Entreprise

14. Les pratiques de GRH dans les PME

14.2. Les pratiques de GRH des PME ou gère-t-on le personnel autrement dans les PME?

La question des pratiques de GRH dans les PME n‟est pas simple.

Comme le souligne Trouvé (2004 : 1), c‟est « d‟abord parce que la gestion des ressources humaines dans les PME apparait généralement comme une fonction, sinon inexistante, du moins peu sophistiquée, quand on la compare à son état de développement dans les grandes entreprises. Ensuite, parce que le risque est grand

de confondre la modernisation de cette fonction avec un alignement pur et simple du fonctionnement souhaitable des PME sur un modèle de la grande entreprise ».

Nous tenterons d‟abord de définir la GRH en général avant d‟étudier de manière particulière ce qu‟elle est ou serait dans les PME.

La GRH, un objet difficile à cerner

La GRH est définie comme un ensemble de politiques, de méthodes et d‟outils permettant d‟acquérir, de mobiliser et d‟adapter les individus et groupes de personnes en fonction des besoins des organisations. C‟est surtout une fonction qui depuis quelques années a considérablement évolué du fait d‟une multitude de facteurs.

Nous reprenons à notre compte les facteurs d‟évolution de la GRH listés par l‟Association Aravis36 dans le cadre d„une étude prospective conduite par cette structure en 2011:

-L‟évolution de la législation ;

-La reconnaissance du capital humain dans les problématiques stratégiques de l‟entreprise ;

-Une réalité en contradiction du discours affiché : les entreprises cherchent à optimiser leurs coûts salariaux ;

-L‟évolution du rapport de l‟individu au travail ;

-Les changements internes et externes (liés à l‟économie, aux technologies et à la législation) multiples, complexes et fréquents.

Ces différents facteurs ont conduit à renforcer la dimension juridique et stratégique de la GRH, à développer des approches compétences dans les organisations (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences / GPEC,

36 Aravis est l‟Agence Rhône-Alpes pour la valorisation de l‟innovation sociale et l‟amélioration des

conditions de travail. C‟est une association loi 1901 à but non lucratif, administrée par les partenaires sociaux, soutenue par l‟Etat et la Région. Aravis adhère au réseau national Anact-Aract. (Association nationale/régionale pour l‟amélioration des conditions de travail). Aravis a publié un document en 2011, Démarche prospective : quel travail dans 20 ans ?

gestion des parcours et des mobilités…), à introduire une individualisation croissante, en particulier pour les cadres et à partager la fonction RH avec les managers.

Cela s‟est traduit pour les grandes entreprises, d‟une part par la conception d‟outils et méthodes RH adaptés à une politique de segmentation des salariés et d‟autre part par une réorganisation de la fonction RH avec des processus d‟externalisation et mutualisation des services.

Il semble que la question qui mobilise les chercheurs, ainsi que les praticiens au sens large, est celle de l‟impact de la GRH sur la performance des entreprises. Depuis quelques décennies, tous, politiques, économistes, consultants… s‟accordent pour dire que nous sommes entrés dans l‟ère de l‟économie de la connaissance et que la valorisation du capital humain est un enjeu crucial pour la compétitivité des entreprises, d‟abord des plus grandes, ensuite des moyennes et des petites. La gestion des ressources humaines a alors pris une dimension stratégique,

« La littérature des vingt-cinq dernières années parle de gestion stratégique des ressources humaines (GSRH) (…). La GSRH s‟est développée depuis le début des années 1970, avec une accélération dans les années 1980 et 1990 en raison de trois phénomènes que nous avons pu observer soit : un changement dans le rythme et l‟ampleur des transformations de l‟environnement des organisations; la nécessité de créer de nouvelles compétences stratégiques et organisationnelles et finalement, la reconnaissance d‟une nouvelle intelligence des ressources humaines au sein de l‟organisation » (Bayad et al, 2004 : 75).

Il y a alors une adhésion à ce nouveau mythe « gestionnaire », qui fait reposer la performance des entreprises sur leur système de GRH. Pour Dietrich et Pigeyre (2005), il est évident que la façon dont les entreprises organisent la gestion de leur main d‟œuvre découle d‟une part du modèle productif en vigueur et d‟autre part de la pensée managériale dominante.

Pendant les trente glorieuses, on ne constate pas de grands changements dans les pratiques de gestion du personnel, c‟est la période du compromis fordien qui a consisté comme le souligne Igalens (2006 : 25) à « acheter la paix sociale et à obtenir des gains de productivité par des augmentations régulières de pouvoir d‟achat sur fond de quasi plein emploi ».

C‟est à partir des années soixante-dix que la fonction personnel va connaitre ses plus grandes transformations dans un contexte économique en tensions (ouverture des marchés, serviciarisation…) et dans un contexte sociétal également en pleine transformation (mai 68 et ses valeurs d‟autonomie, d‟épanouissement et de réalisation de soi…).

On passe de la gestion du personnel à la gestion des ressources humaines avec l‟élargissement à de nouvelles missions et responsabilités : assister les managers, négocier avec les partenaires sociaux, accompagner le changement… tout en continuant à recruter, former, évaluer… S‟impose alors une conception implicite, mais fortement structurante de la GRH : celle d‟une vision normative et universaliste, largement instrumentale.

Y a-t-il une GRH unique pour tous types d‟entreprises ou une GRH adaptée au contexte ? Sommes-nous passés d‟une vision universaliste à une vision contingente ?

Les courants majeurs ont développé la vision universaliste de la GRH, cette perspective suppose que certaines pratiques de GRH sont toujours supérieures à d‟autres et que toutes les organisations (grandes et petites, privées et publiques) doivent adopter ces best practices. Cette approche demeure encore très répandue parmi les chercheurs et autres acteurs prescriptifs. C‟est la plupart du temps celle qui est décrite dans tous bons ouvrages de management et manuels scolaires valorisant la fonction GRH dans les entreprises. Elle est toutefois contestée par les partisans des perspectives contingente et configurationnelle.

« L‟hypothèse de base de la perspective contingente (nous précisent Bayad et Liouville en 2001 : 5) est que l‟alignement (également qualifié de « fit ») d‟une stratégie spécifique et des pratiques de GRH permet à l‟organisation d‟améliorer ses performances et que l‟organisation ayant le meilleur fit affichera les meilleurs résultats ». Autrement dit cette approche tente de rendre compte de l‟influence des variables de contexte sur les caractéristiques des organisations (marché, technologies, système institutionnel au sens large). Aussi pertinente soit-elle cette perspective théorique a peu été explorée par des travaux empiriques dans le champ français.

Quant à l‟approche configurationnelle, tout en étant très proche de la précédente (elle part des mêmes apports théoriques), elle s‟en distingue en considérant que les différentes parties qui composent un système social doivent être étudiées ensemble et non pas séparément (comme dans la vision contingente) au risque de ne pas être comprises (Bayad et Liouville, 2001).

Ces différentes perspectives ont toutes tenté de mettre en exergue le lien GRH/performance. Toutefois la littérature compte à notre connaissance peu de résultats empiriques en France confirmant cette relation de causalité.

C‟est pourtant au nom de la performance et de la productivité que continuent à être développées des pratiques de GRH très sophistiquées37 dans les grandes entreprises. Pratiques prises en exemple par les pouvoirs publics, décideurs économiques, chercheurs, consultants… pour justifier leur nécessaire diffusion dans les PME ou administrations dans le but de les réformer.

La GRH et la PME sont-elles compatibles?

Les premiers travaux de recherche relatifs à la gestion des ressources humaines en PME sont apparus dans la littérature francophone au milieu des années 1980. Nous devons à Julien, Marchesnay et Mahé de Boislandelle38 cette première réflexion.

L‟intérêt de ces observations porte sur la vision englobante et systémique de la GRH en contexte de PME. Pour Mahé de Boislandelle (1998a), la GRH comporte trois niveaux :

« -L‟administration du personnel qui recouvre la mise en conformité avec les règles en usage (lois et conventions) et l‟exécution des directives de la direction ;

-le management organisationnel et stratégique qui concerne les choix d‟exercice du pouvoir et l‟intégration ou non du personnel (noyau dur, sous-traitance…) ;

-la politique du personnel qui en résulte s‟exprime ainsi par un mix social, c'est- à-dire par un ensemble d‟orientations ou de décisions portant sur des variables

37

Nous n‟aborderons pas ici les éventuels effets néfastes de ces pratiques dans les grandes entreprises (souffrance au travail, stress, compétition entre individus…). .

38 P.A. Julien et M. Marchesnay (coord.),(1988), La Petite Entreprise, 1988, Vuibert, dans lequel H.

d‟actions essentielles telles que : l‟emploi, la rémunération, la valorisation et la participation du personnel. » (Mahé de Boislandelle, 1998).

Pour cet auteur chaque entreprise adopte son mix social en fonction de l‟environnement, de l‟organisation et du profil du dirigeant. Ces travaux ont été repris par de nombreux chercheurs.

Nous ne citerons pas ensuite toutes les publications, revues et autres colloques qui ont suivi et enrichissent le corpus, cependant en ciblant encore trop souvent les observations et études empiriques sur des entreprises comptant plusieurs centaines de salariés et en occultant les plus petites des PME : les PE (de 10 à 50 salariés) ou TPE (moins de 10 salariés), à l‟exception notoire des chercheurs de l‟Equipe de Recherche sur la Firme et l‟Industrie (ERFI)39 à Montpellier qui depuis plus de trente ans, ont centré leur activité sur le thème de l‟Entrepreneuriat du Management et de la Société et produisent des travaux très précieux sur les petites et très petites organisations ainsi que des gestionnaires québécois fondateurs de l‟Association internationale de recherche sur la PME (AIRPME).

Marchesnay (2003 : 109) ne dit pas autre chose quand il souligne que « l‟inventaire des publications les plus diverses au cours de ces dix dernières années (ouvrages, articles, communication, etc.) décourage le lecteur le plus assidu et le moins disposé ! Mais dans cette somme impressionnante, les TPE, voire les PE, sont réduites à la portion congrue ».

Soulignons aussi comme exception les travaux du Céreq et plus précisément, ceux conduits depuis une trentaine d‟années par Philippe Trouvé au Centre Associé de Clermont-Ferrand qui, dès les années quatre-vingt, par les chemins détournés de la sociologie de l‟entreprise et de l‟emploi ou de l‟économie industrielle, ont mis l‟accent sur l‟importance des PME et ont très tôt jugé nécessaire de développer sur elles un corps spécifique de connaissances à usage gestionnaire.

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Michel Marchesnay est l‟un des fondateurs de ce laboratoire. Les travaux d‟autres chercheurs sont également à souligner : C Fourcade, O Torrès, A Paradas, M Polge….

Le concept de „„monde social 40‟‟ est revendiqué par Trouvé (2011), mais également par Mallard (2011) ou Regnault (2011) pour définir la PME en tant qu‟ « institution composite, lieu de construction du social, simultanément espace de contrainte et de domination, de coopération et de fonctionnement collectif, d‟insertion professionnelle et sociale, système de négociation d‟identités professionnelles, creuset d‟apprentissages de normes culturelles et de socialisation, lieu d‟évaluation des qualités du travail etc. » (Trouvé,2011) .

Dans les PME, on gère le personnel autrement. « Ce qui ouvre à toutes sortes d‟alternatives et de processus créatifs : par rapport aux normes traditionnelles de gestion, par rapport à des modèles stabilisés ou aux habitudes de pensée apprises dans les écoles de management » nous précisent Louart et Vilette (2010 : 9). Pourtant cette originalité ne semble pas être comprise et satisfaire les politiques publiques et les acteurs d‟intermédiation qui ont multiplié au cours des deux dernières décennies les initiatives pour encourager les PME - surtout les plus petites d‟entre elles – à adopter des méthodes de GRH plus rationnelles et conformes à la modernité, c'est-à-dire selon le modèle de la grande entreprise.

On peut citer par exemple les aides au conseil, les diagnostics RH, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les opérations multiples de sensibilisation et de formation…

Et pourtant si il y a bien une fonction à laquelle tient particulièrement le dirigeant de PME, c‟est bien celle de gérer en direct ses collaborateurs. Le concept de « proximité » - étymologiquement, le terme proximité vient du latin

proximitas, apparu au XIVème siècle qui signifie alors « parenté proche » au sens

propre – a été particulièrement étudié par Torrès (2004). Celui-ci considère ce concept comme pertinent pour analyser la gestion spécifique des PME. Il développe particulièrement l‟ambivalence que renferme cette notion de proximité pour la PME, à la fois positive avec les critères de réactivité et de polyvalence, mais aussi négative quand elle réduit le dirigeant de PME à l‟isolement.

40 la notion de « mondes sociaux » est dérivée à la fois de la lointaine tradition sociologique de l‟école

de Chicago (Strauss, 1978) et d‟une sociologie de l‟entreprise plus récente (Francfort et al. 1995 ; Osty et al. 2007).

L‟observatoire des PME, dans la revue Regards sur les PME mentionne que « dans la petite entreprise, gérer les ressources humaines, ce n‟est pas tant mettre en place des procédures visant à attirer, recruter, motiver, fidéliser les salaries ou à négocier avec les syndicats, c‟est d‟abord assumer directement des responsabilités humaines lourdes, y compris dans les situations les plus délicates (évaluation des salariés, licenciement) » (2003 : 37-38).

Une partie des prérogatives du dirigeant de PME est dans cette relation, il assume seul la pérennité de l‟emploi de ses salariés. C‟est une très lourde responsabilité, mais qui lui confère un pouvoir considérable au sein de son entreprise et sur le bassin d‟emploi correspondant.

Alors peut-on envisager que le dirigeant de PME est disposé à remettre en cause une partie de ses prérogatives en se soumettant à des dispositifs l‟incitant à formaliser, à structurer voire à déléguer ce qui relève de l‟implicite ou parfois de l‟arbitraire, tout du moins d‟un construit relationnel contextué ?

C‟est pourtant ce que prétendent les intervenants en GRH, et plus précisément ceux qui nous intéressent pour notre recherche, les organismes institutionnels telles que les compagnies consulaires en accompagnant les dirigeants de PME dans leurs pratiques de GRH.