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Le DIAGRH : un dispositif de gestion au service des PME

DEUXIEME PARTIE : Le diagnostic RH et son objet : la Petite Entreprise

12. Caractéristiques structurelles et fonctionnelles du DIAGRH (Diagnostic Individualisé Accompagnement Gestion Ressources Humaines)

12.3. Le DIAGRH : un dispositif de gestion au service des PME

« Toute technique est une construction socio-historique dont la nécessité n‟a rien d‟absolu » (Boussard, Maugeri, 2003 : 26). Pour reprendre les termes de Hatchuel et Weil, les dispositifs de gestion supposent pour mettre en œuvre le « substrat technique », une « philosophie gestionnaire » et une « vision simplifiée de l‟organisation » (Hatchuel, Weil, 1992).

Essayons d‟appliquer cette approche au diagnostic RH (DIAGRH).

Le diagnostic RH serait l‟articulation d‟outils de discours, de règles … qui interagissent. Il y a d‟abord les acteurs qui ont participé à l‟élaboration de la démarche, les lieux où elle s‟est progressivement consolidée, les « inscriptions »

diverses qui l‟ont peu à peu matérialisée, incarnée, structurée et rendue visible, et les différentes étapes de mises en œuvre technique (Boussard, Maugeri, 2003:32 ). Il y a plusieurs acteurs qui ont contribué à la création du dispositif DIAGRH. Les consultants en management, les chercheurs, les pédagogues, les organisations patronales, l‟Etat, qui au cours des années quatre-vingt-dix se convertissent à « la valorisation des ressources humaines » et plus particulièrement au modèle de la compétence en tant que « défi et enjeu pour les entreprises en général et les PME en particulier » (Charte du réseau des développeurs de l‟emploi et des compétences/ ACFCI, 2002) et qui créent une ligne de force autour de cette approche.

Leurs discours mêlent étroitement des constats alarmistes (difficultés de recrutement, gestion des âges, perte de savoirs…) et des injonctions à la rationalisation de pratiques s‟appuyant sur des illustrations soi-disantes incontestables et incontestées (émanant de grandes entreprises) au service de la compétitivité et de la productivité des entreprises. Ce qui indique la mise sous tension des dirigeants de PME.

L‟ambiance ainsi créée va contribuer à la conversion d‟autres acteurs. Nous prendrons plus particulièrement l‟exemple des chambres consulaires qui vont trouver là, l‟opportunité d‟une nouvelle dynamique autour de ce modèle de la compétence. Prétextant l‟ « absence d‟opérateurs pour apporter un appui aux PME/TPE sur le champ des ressources humaines adapté à leur taille et à leurs moyens », les CCI « s‟engagent, dans le prolongement de leurs activités historiques d‟appui et de soutien à leurs ressortissants, et en application de la Politique de l‟Emploi et des Compétences, à mener toutes les mesures utiles aux entreprises, aux hommes et aux territoires » (Charte du réseau des développeurs de l‟emploi et des compétences /ACFCI, 2002).

La constitution d‟un groupe d‟intervenants à partir de 2002, développeurs de l‟emploi et des compétences (DEC), va permettre d‟asseoir la légitimité des CCI sur ce champ autant en interne qu‟en externe. L‟ACFCI se donne la mission « de fournir aux CCI, les outils RH utiles pour répondre aux questions des entreprises et pour les aider à anticiper leurs évolutions » (Formation DIAGRH 2002).

Le conseiller dont les pré- requis se limitent à « la connaissance des enjeux et des données économiques et sociales de la PME; il possède des connaissances générales en RH (ou expérience équivalente); il a l‟habitude des entretiens de diagnostics avec les dirigeants de PME » (Programme de formation DIAGRH, 2002) va bénéficier d‟une action de formation-action d‟une durée de cinq jours.

L‟intervenant qui a été sollicité par l‟ACFCI est qualifié de « consultant- formateur disposant d‟une expertise confirmée en Gestion des Ressources Humaines spécifiquement dans les PME ».

La première session intitulée « La pratique des ressources humaines dans tous ses états…» comprend la présentation du guide DIAGRH. Des apports sont également faits durant cette session sur « la contribution des RH dans la performance de l‟entreprise » et « sur les thèmes essentiels RH ». Enfin la session se termine sur un « travail sur l‟entretien et le questionnement au chef d‟entreprise ». Une intersession est alors proposée d‟une durée de trois à quatre semaines: « pendant l‟intersession, les stagiaires s‟approprient les méthodes et outils soumis et s‟entrainent à les mettre en œuvre en entreprise ».

La formation-action se conclut par une deuxième session intitulée « La pratique du diagnostic RH : de l‟analyse à la restitution au chef d‟entreprise ». Cette phase consiste en l‟« expression et repérage des difficultés rencontrées, travail sur les cas d‟entreprises traités par les participants pendant l‟intersession, apports de techniques complémentaires sur les difficultés récurrentes, pratique d‟une méthode de restitution du diagnostic au chef d‟entreprise (méthodologie commune…) ».

Faisons l‟hypothèse que moins les individus sont équipés culturellement plus ils sont perméables aux idéologies, nous pouvons imaginer que les conseillers DEC qui, pour certains d‟entre eux, ont comme seul acquis cette formation accélérée aux fondements RH et à la mise en œuvre du diagnostic RH, vont être très dépendants de la méthodologie et outillage fournis.

La « philosophie gestionnaire » transmise dans ce cadre est orientée autour des bienfaits de la mise en œuvre du modèle de la gestion des compétences pour la

performance de l‟organisation. Cela relève presque de la pensée magique ou de la conversion religieuse : « valorisez vos ressources humaines, adoptez le modèle de la gestion des compétences et votre entreprise se portera mieux sur le plan économique ». Concrètement, les conseillers proposent aux dirigeants de PME d‟introduire des procédures de recrutement, d‟établir des référentiels de compétences, de formaliser ce qui ne l‟est pas... Le formel est considéré comme ce qui est rationnel, l‟informel comme le non rationnel. Les « missionnaires » sont encouragés alors à investir les PME et plus particulièrement les plus petites d‟entre elles, là où les mécréants sont les plus nombreux !

Au-delà d‟un rôle de prêcheur de la bonne parole, les conseillers DEC sont amenés à endosser le rôle de l‟expert, de celui qui sait ce qui est bon pour l‟autre. L‟expertise, quoique acquise de manière expresse, légitime ses nouveaux développeurs emplois et compétences au sein de leur propre organisation et auprès des dirigeants de PME ainsi qu‟auprès des autres partenaires de l‟environnement de la PME : il s‟agit aussi d‟être reconnu auprès des experts comptables (interlocuteurs privilégiés des PME), des conseillers des organismes collecteurs des fonds d‟assurance formation (OPCA), des représentants de l‟Etat et collectivités locales, des agents de l‟emploi (tout acteur dans le périmètre de la petite entreprise), comme détenteur d‟un nouveau savoir (sur et pour l‟entreprise), donc d‟un nouveau pouvoir.

Cette nouvelle identité des acteurs contribue à renforcer la légitimité de la structure à laquelle ils appartiennent; les rendre visibles à travers des conférences ou autres réunions collectives ou plaquettes de promotion, les inscrit durablement dans le paysage institutionnel. Ce qui rejoint la conception wébérienne du pouvoir rationnel.

Weber explique qu‟un pouvoir ne peut s‟exercer si les individus n‟acceptent pas ce pouvoir. La légitimité rationnelle s‟appuie sur des règles anonymes, universelles, c‟est le pouvoir qui s‟est développé dans les grandes bureaucraties, c‟est la réglementation qui transcende les critères individuels.

La légitimité des CCI à intervenir sur le champ des ressources humaines auprès des PME repose sur cette légitimité rationnelle d‟autant plus qu‟elle est

renforcée par les accords et autres conventions signés avec les pouvoirs publics ainsi que le cadre réglementaire.

Nous l‟avons vu, outre un « substrat technique », le DIAGRH comprend des pratiques discursives et des rapports de pouvoir étroitement entrelacés qui nous conduisent à le considérer davantage comme un dispositif de gestion plutôt que comme un outil.

Conclusion du chapitre 4

Au cours de ce chapitre, nous avons apprécié le rôle des pouvoirs publics et de leurs relais dans la diffusion de nouvelles normes organisationnelles au service d‟un idéal gestionnaire promu de manière consensuelle par les consultants, les chercheurs, les enseignants et les dirigeants des grandes entreprises. Nous illustrons cette convergence d‟intérêts privés et publics à travers le modèle de la gestion des compétences et plus particulièrement un dispositif intitulé diagnostic RH (DIAGRH), diffusé par les agents consulaires auprès des PME.

Après avoir décortiqué le dispositif, nous nous sommes interrogée sur les arguments mobilisés pour le promouvoir auprès des plus petites organisations.

Chapitre 5: La PME

Pendant très longtemps les PME ont été ignorées autant par les décideurs économiques et politiques - soumis au paradigme de la grande organisation - qui les considéraient trop petites et instables, que par les chercheurs qui les trouvaient trop hétérogènes pour en faire des modélisations. Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour les redécouvrir. C‟est alors la période du recul de la production de masse, des restructurations et déconcentration productive associées à la découverte de nouvelles sources de compétitivité basée sur la réactivité et la flexibilité des petites structures productives (Piore et Sabel, 1984), et de la tertiarisation de la société…

C‟est à une vision idéalisée des petites organisations que nous invitent ces travaux académiques à partir des années quatre-vingt. Entre éloge et reproche, nous choisissons une voie modérée, plus réaliste pour questionner l‟objet PME.

Il est à noter que les premiers travaux consacrés aux PME ne sont pas le fait des gestionnaires, mais des économistes et sociologues, voire des géographes ou des historiens. Il a fallu attendre des auteurs comme Marschesnay31 ou Mahé de Boislandelle pour avoir les premières publications sur les PME en sciences de gestion.

O. Torrès qui a recensé, en 2007, la recherche académique française en PME pour le compte d‟OSEO32 précise que c‟est au cours des années 1980, que les PME ont acquis un véritable statut en tant qu‟objet de recherche scientifique. Tous ces travaux se rejoignent en soulignant la difficulté de rendre compte de la diversité organisationnelle à l‟œuvre dans les PME. Nous nous aiderons de cette

31 Michel Marchesnay , Professeur en sciences de gestion à l‟Université de Montpellier 1, Michel

Marchesnay crée le laboratoire de l‟ERFI (Equipe de Recherche sur la firme et l‟industrie) en 1975. En 1988, est publié «La petite entreprise», collectif de 11 auteurs coordonné par P.A. Julien et M. Marchesnay, dans lequel Mahé de Boislandelle, Professeur également à Montpellier 1 présente les premiers travaux de recherche relatifs à la gestion des ressources humaines en PME.

32 OSEO: créée en 2005, issue de l‟ANVAR, la BDPME et de la Sofaris, la holding Oséo est un

Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), c‟est un observatoire des PME qui finance leur croissance via ses trois métiers : innovation, garantie et co-investissement.

synthèse pour présenter succinctement dans un premier temps les fondements et les divers courants qui caractérisent ce domaine de recherche.

Nous constaterons ensuite les limites de certaines de ces recherches et nous exposerons nos choix théoriques au regard de notre recherche. Nous nous appuierons, en effet sur une approche configurationnelle développée au sein du CEREQ33 par des chercheurs (Bentabet et al, 1999) ayant réalisé une étude des pratiques réelles de formation et de construction des compétences dans les petites entreprises. Nous nous interrogerons enfin sur les pratiques de GRH dans les PME et la spécificité de l‟intervention institutionnalisée d‟incitation à la GRH dans les PME.