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TROISIEME PARTIE: La méthodologie

Chapitre 6 : le programme de recherche

16. Du praticien au chercheur : positionnement épistémologique 1 Le déplacement de postures : un impensé ?

16.2. Le processus de création de connaissances

Toute recherche ne peut échapper à trois questions fondamentales: quelle est la nature de la connaissance produite ? Comment la connaissance scientifique est- elle engendrée? Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance ?

Pour y répondre nous disposons de deux grands paradigmes épistémologiques usuellement identifiés en sciences de gestion : le paradigme positiviste et le paradigme constructiviste, nous prenons le parti de ne pas les opposer mais de les combiner, car le chercheur peut alterner des postures différentes selon les étapes de la recherche. Comme l‟indique David (1999 : 1) :

« Il faut dépasser l‟opposition entre positivisme et constructivisme, dissiper certaines confusions, par exemple celles résultant d‟associations trompeuses entre positivisme et méthodes quantitatives ou, de manière symétrique, entre constructivisme et méthodes qualitatives pour explorer les différentes implications d‟une conception constructiviste en science de gestion » (David, 1999 : 1).

Dans le cadre de cette recherche, il y a eu tout un cheminement de la pensée qui a nécessité des séries d‟allers et retours entre terrain et littérature appelant à reconstituer, apparemment a posteriori, le positionnement épistémologique.

Les limites du positionnement positiviste radical pour notre recherche :

Le positivisme est un paradigme dominant dans les sciences en général. A la base de ce paradigme scientifique, il y a le postulat inspiré notamment par la physique et la mécanique, selon lequel toute connaissance scientifique est une connaissance vérifiée au cours d‟une méthode expérimentale. Autrement dit il y a une réalité objective du monde observé qui préexiste à l‟intervention du chercheur.

Ce dernier doit rester extérieur et neutre vis-à-vis de son objet et de son terrain de recherche, ce qui le conduit à occulter sa « subjectivité » devant la réalité empirique. Le but de la science est de découvrir la réalité à travers les lois de la nature qui déterminent le réel. La recherche est formulée en termes de « pour quelles causes…» et l‟explication est le chemin privilégié de la connaissance.

Dans notre recherche, nous ne partons pas d‟une théorie que nous voulons tester sur un terrain. Même si nous convenons que les entreprises existent en dehors de notre intervention, nous n‟admettons pas que notre subjectivité disparaisse au cours de l‟observation empirique, ni celle des dirigeants interviewés. Notre objet et notre terrain de recherche portent sur l‟observation de faits sociaux, donc sur des processus d‟interaction entre personnes. Nous allons alors recourir à une compréhension des significations mises en œuvre par les différentes parties en présence.

Le positivisme pose trois critères de validité de la connaissance:

-la vérifiabilité: un énoncé n‟a de sens que si il est susceptible d‟être vérifié empiriquement;

-la confirmabilité: on ne peut pas dire d‟une proposition qu‟elle est absolument et certainement vraie, mais qu‟elle est probable;

-la réfutabilité: Popper indique qu‟une proposition scientifique n'est pas une proposition vérifiée (avec certitude) - ni même vérifiable par l'expérience (c'est-à- dire par l'intermédiaire de tests scientifiques) -, mais une proposition réfutable (ou

falsifiable) dont on ne peut affirmer qu'elle ne sera jamais réfutée. C'est donc la

démarche de conjectures et de réfutations qui permet de faire croître les connaissances scientifiques.

Toute recherche doit bien sûr s‟assurer de ces critères. Il nous semble cependant difficile d‟appliquer le critère de vérifiabilité à notre démarche. En effet, l‟observation étant ancrée à un moment de l‟histoire de l‟entreprise, les données recueillies sont situées et seraient forcément différentes à un autre moment d‟observation empirique.

Les limites du positionnement constructiviste radical pour notre recherche :

Ce paradigme se fonde sur la base des travaux de Piaget qui démontrent que l‟enfant construit progressivement sa propre représentation de la réalité. On considère alors que le monde dans lequel nous vivons est façonné par l‟Homme, qu‟il est en cela plus « artificiel » que naturel, qu‟il est soumis à une intention et est fait de possibilités.

L‟essence de l‟objet ne peut être atteinte, voire n‟existe pas. Il y a une interdépendance du sujet et de l‟objet, la neutralité du chercheur n‟existe pas, car l‟interaction entre observateur et observé est par définition constitutive de la construction de la connaissance. La connaissance produite n‟est pas objective, mais subjective et contextuelle. Elle a le statut d‟hypothèses plausibles adaptées à l‟expérience des sujets qui l‟élaborent. La recherche est formulée en termes de « pour quelles finalités…» ou pour « pour quelles motivations des acteurs…».

Le chemin de la connaissance privilégié est soit celui de la construction ou celui de la compréhension. Les critères de validité de la connaissance sont la

convenance entre connaissance et réalité ainsi que l’enseignabilité, c‟est-à-dire la reproductibilité, l’intelligibilité et constructibilité de la connaissance.

Constatons néanmoins, avec David :

« D‟une part, que le courant dit «constructiviste» regroupe en réalité un ensemble d‟approches très variées (il y aurait davantage une «galaxie constructiviste» qu‟une «école» bien identifiée) et, d‟autre part, qu‟il se produit un certain retour de balancier vers des formes moins extrêmes de constructivisme, retour qui se manifeste, en particulier, par le rejet d‟un relativisme trop radical et par l‟importance à nouveau accordée à la modélisation ». (David, 1999: 19)

Dans notre recherche, nous ne pouvons pas dire en effet que nous construisons la réalité que nous observons. Nous tentons de révéler et de comprendre la représentation qu‟en ont les dirigeants d‟entreprise. Nous étions davantage co- conceptrice de la réalité dans notre posture précédente de consultante en GRH. En tant que chercheure nous cherchons à décrire et comprendre la réalité observée.

Notre position : un constructivisme modéré

Constatant que les faits sociaux ne peuvent être réduits à des lois „„naturelles‟‟, mais aussi qu‟ils existent en dehors de l‟intervention du chercheur, il nous semble qu‟en sciences sociales, il est difficilement tenable d‟opter pour un positivisme radical, d‟autant plus, que quelle que soit la science, le problème n‟est pas que l‟observateur intervienne sur son terrain- les chercheurs interviennent tous - mais qu‟il contrôle tout au long du processus de recherche ce qu‟il fait.

Les sciences de gestion se définissent selon Le Moigne, (1990) par leur projet et non par leur objet. Autrement dit, le chercheur doit s‟interroger en permanence sur la démarche rigoureuse qu‟il choisit pour rendre compte des phénomènes observés et ainsi il peut être amené à alterner et combiner deux attitudes possibles. Un positivisme modéré lui permettant d‟ « effectuer des examens fragmentaires, pour vérifier des énoncés partiels, pour contrôler pas à pas, a posteriori, les différentes étapes d‟une théorie » (Morin, cité par David, 1999: 12); et une attitude prônant la relativité des points de vue sur les objets que l‟on trouve dans le constructivisme.

Le choix d‟une position intermédiaire qui à la fois rejette le côté déterministe et rationnel des « positivistes purs », et s‟éloigne des « constructivistes purs » qui surestiment les capacités des individus et des organisations à échapper au réel, semble nécessaire pour mener à bien nos travaux. En effet comme le souligne Martinet (1990: 31) « les phénomènes sociaux existent non seulement dans les esprits mais aussi dans le monde réel et on peut découvrir entre eux quelques relations légitimes et raisonnablement stables ».

En dépassant le débat positivisme radical/constructivisme radical, nous sommes amenée à penser que d‟une part, la réalité n‟est pas entièrement donnée et extérieure et que d‟autre part, elle n‟est pas construite collectivement avec une coordination complète entre les acteurs.

Ce qui nous conduit à rejoindre David (1999: 15) lorsqu‟il précise que « nous pouvons admettre, en sciences de gestion, que la réalité existe, mais qu‟elle est construite de deux manières:

-construite dans nos esprits, parce que nous n‟en avons que des représentations,

-construite parce que, en sciences de gestion, les différents acteurs-y compris les chercheurs- la construisent ou aident à la construire ».

Compte tenu de ces remarques, les débats scientifiques sur le positionnement épistémologique des sciences de gestion ne sont pas prêts de se tarir. Nous optons pour notre recherche plutôt pour un positionnement constructiviste modéré.

Ce qui devient essentiel c‟est le raisonnement scientifique adopté car il porte sur la production des idées et sur leur enchainement. Miles et Huberman nous encouragent dans cette voie en précisant:

« Nous privilégions aussi un certain pragmatisme. Même si nous exposons notre position épistémologique, nous croyons, peut-être moins naïvement que ne pourrait le penser le lecteur à première vue, que toute méthode qui marche, qui permet de parvenir à des conclusions claires, vérifiables et reproductibles, à partir d‟un ensemble de données qualitatives, est bonne à prendre quels que soient ses antécédents ». (Miles et Huberman, 2007:15).