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[Cette partie reprend le texte donné dans le rapport 2011,

III- 2 Les pratiques agraires et l'habitat

Il conviendra, au cours des trois prochaines années de recherches, de tenter de documenter les modalités de mise en valeur des terroirs littoraux caractérisant le paysage de notre secteur d'étude, non seulement les salines des basses terres, mais aussi les parcelles mises en culture et les espaces forestiers, objets de pratiques spécifiques. La place des voies d'eau et des produits de la mer devra également être examinée avec soin.

Quelques mentions recueillies en 2012 permettent d'identifier clairement, dès le XIe siècle, la réalité de la pratique d'un élevage diversifié sur le territoire du marais. Ainsi, la donation comtale à Sainte-Gemme, autour de 1074 76, mentionne explicitement que sont données aux moines les pâtures destinées à plusieurs sortes d'animaux : juments et chevaux, boeufs et vaches, porcs (seuls les capridés ne semblent pas mentionnés).

L'un des angles d'analyse, pour toutes ces thématiques, pourrait être l'étude des « coutumes » (consuetudines) permettant dès le XIe siècle à leurs détenteurs d'imposer leurs prélèvements sur les diverses productions identifiées sur le territoire. Il s'agit là, en fait, d'anciens droits publics, de nature judiciaire et fiscale, qui fonderont le système de la seigneurie banale (bien en place dès le XIIe siècle) 77. En dépit de mentions souvent très peu explicites 78, quelques observations intéressantes semblent pouvoir être faites en ce domaine, en vue d'enrichir les connaissances du système économique en vigueur dans l'espace considéré tout au long des XIe-XIIIe siècles. La mise en perspective de cette documentation ancienne avec les textes des coutumes d'époque moderne 79 devrait par ailleurs permettre d'intéressantes observations.

À cet égard, les salines semblent bien constituer le cœur du système de production local, comme en témoigne le volume des actes les plus anciens (XIe-XIIIe siècles) se référant 75 Pour le XIIIe siècle, on relève les mentions du port de Saint-Agnant, évoqués – avec les droits qu'y possède Geoffroy de Douet, seigneur de Broue – dans un document de 1254 (AD Loir-et-Cher, 21 H 163, n°8 ; METAIS, op. cit.,n°LXXXVII). En 1258, c'est Arnaud Alexandre de Saint-Jean d'Angély qui cède à La Trinité de Vendôme tous ses droits sur le port et les marais de Montierneuf et de Saint-Agnant (AD Loir- et-Cher, 21 H 163, n°12).

76 Voir annexe 2, document n°6.

77 Voir A. DEBORD, op. cit., p.118-119.

78 Ainsi, le document de 1047 mentionne, sans précision aucune, les « coutumes » attachées à la détention des église de Saint-Sornin et Saint-Aignan (voir annexe 3, document n°1.). Le document n°5 donné dans la même annexe, évoque par ailleurs un « péage » pesant sur les hommes dépendant de l'abbaye de La Trinité de Vendôme, sans que l'on connaisse les modalités et la justification d'un tel prélèvement... En 1068, ce sont de « mauvaises coutumes » imposées à Saint-Aignan aux moines de La Trinité par le prévôt comtal qui sont abrogées par décision du comte (METAIS, op. cit., n°XXIII, p.50-52).

79 Deux coutumes distinctes, celle de Saintes et celle de Saint-Jean d'Angély, se partagent le territoire d'étude (voir tableau donné en Annexe 2). Sur ces deux textes coutumiers, voir notamment : Commentaires sur l'usance de Saintes, conférée avec la coutume de Saint-Jean d'Angély, par DUSAULT, conseiller du roi au Présidial de Saintes. Bordeaux, 1722, 457 p. ; Commentaires sur la coutume de Saint-Jean d'Angély, par le sieur MAICHIN, lieutenant-particulier en la sénéchaussée de Xaintonge. Saint-Jean d'Angély, 1660, 395 p. (rééd. Saintes, 1708, 418 p.).

à cette partie du terroir 80. Les deux documents tardifs (XVe et XVIe s.) exploités en 2012 nous donnent à cet égard une intéressante photographie de la place des salines dans le paysage du marais au début de l'époque moderne. Dans celui relatif au contentieux le commandeur des Epaux au seigneur de Saint-Jean d'Angle (1508) 81, on dispose pour deux secteurs de marais situés dans la paroisse de Saint-Symphorien (marais du temple et marais des Nouaulx) d'une identification très différenciée de ces espaces juxtaposés, et notamment des "terres tant doulces que sallées", et plus précisément entre marais non exploités, marais salants, "jonchières". On le voit clairement dans ce texte : à ce moment de leur histoire, les marais ont pour enjeu essentiel la production du sel.

D'autres sources de revenus sont néanmoins évoquées. À titre d'exemple, on observe que l'exploitation de la mer fait l'objet, au milieu du XIe siècle, d'un encadrement seigneurial permettant la captation optimale d'une partie de la production. Les droits de pêche (piscationes) sont en effet mentionnés tôt 82, sans que l'on ne dispose – à quelques exceptions

près 83 – d'informations précises sur leur nature exacte avant le XIIe siècle....

La relation au littoral semble être déterminante à l'heure d'étudier la topographie de l'habitat. Les travaux de Sébastien PÉRISSE permettent de disposer d'éléments relativement précis pour les XIVe et XVe siècles 84. Ce dernier a notamment pu constater que les villages situés en bordure de falaise de l’ancien golfe (Broue, Saint-Symphorien, Saint-Jean-d’Angle, Saint-Agnant, Moëze, Saint-Just) possèdent alors un accès à la mer par les étiers. Les lieux de chargement du sel sont nombreux en fond d’étiers. Une étude topographique et démographique semble ainsi possible pour cette période, au moins par le biais du choix de zones-tests où seraient menées des investigations documentaires plus poussées (Saint-Jean d’Angle, Hiers…). Une telle étude pourrait avoir pour prolongement l'analyse de l'aspect du bâti au XVIe siècle dans quelques-uns des principaux lieux habités du secteur d'étude 85, à mettre en relation avec la question de la gestion des ressources naturelles et de leur commercialisation, proposée par Alain CHAMPAGNE dans le cadre de la thématique n°3. L'approche du bâti en archéologie, que ce soit à Brouage dans un contexte urbain, ou dans le cadre d'autres enquêtes portant sur le monde rural, pourrait être mise en perspective avec les données disponibles en archives. L'idée serait d'avancer sur la question des manières de bâtir dans les secteurs de marais (pauvres en matériaux de construction) et à leur périphérie. Sont ici incidemment questionnées les notions de marquage social des différents matériaux et les éventuelles perceptions de ces matériaux vers la fin du Moyen Age et jusqu'à la stabilisation 80 On peut ici renvoyer ici à nombre d'actes présents dans le cartulaire de la Trinité ou le fonds de la même abbaye déposé aux archives départementales du Loir-et-Cher : abrogation en 1068 des « mauvaises coutumes » à Saint-Aignan par le comte de Poitiers, parmi lesquelles l'interdiction comtale faite aux moines de vente du sel de leurs salines à tout autre qu'à lui-même (METAIS, op. cit., n°XXIII), donation [vers

1189] par Aliénor, reine d'Angleterre, au prieur de Montierneuf, des marais et salines situés près du prieuré,

francs de tous droits (AD Loir-et-Cher, 21 H 163, n°5 & METAIS, op. cit., n°LXX); affranchissement en

1223 , par Hugues de Lusignan, comte de la Marche et d'Angoulême, du droit d'étanchage (estanchagium)

qu'il croyait avoir sur une partie des salines de Saint-Agnant appartenant au prieur dudit lieu (AD Loir-et- Cher, 21 H 163, n°7 ; METAIS, op. cit., n°LXXX) ; lettres d'Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, datées de 1257, portant donation à la Trinité des franchises diverses, dont le droit d'étanchage du sel (vendu par les moines), confirmées par Edouard Ier en 1281, Charles IV en 1323 et Philippe VI en 1328 et 1339 (AD

Loir-et-Cher, 21 H 163, n°13 & n°15 ; METAIS, op. cit., n°CIII, CLVI, CLXII & CLXXIX). 81 Voir annexe 2, document n°16.

82 Voir acte de 1040 donné en annexe 3 (document n°1). Ces droits sont d'ailleurs confirmées à La Trinité à plusieurs reprises par l'autorité pontificale au cours des décennies suivantes (Victor II en 1056, Nicolas II en 1061, Alexandre II en 1063, etc), ce qui témoigne de leur importance cruciale dans la dotation patrimoniale constituée par le comte d'Anjou (voir METAIS, op. cit., n°XV, p.43 & n°XX, p.49-50, n°XXI, p.50).

83 L'acte évoqué dans la précédente note mentionne ainsi un cens pesant sur les seiches pêchées dans le pays de Saintonge (medietatem quoque nostre partis de censibus sepiarum per universum pagum Sanctonicum), dont la moitié est cédée par le comte d'Anjou aux moines de la Trinité.

84 Voir la thèse de 3e cycle récemment soutenue par ce dernier, ainsi que l'article suivant, à paraître : Les marais salants du golfe de Brouage au XVe siècle d’après les terrages du sel de la prévôté d’Hiers en 1478.

85 La proposition Sébastien PERISSE porte sur les actes notariés concernant Hiers et de Brouage, pour les années 1573-1574.

de l'architecture dite traditionnelle. Autre question intéressante à documenter, celle des

formes d'habitat temporaire dans les marais. Ces habitats sont étroitement liés à l'exploitation

du sel (Cf. cabanes de sauniers de Laleu (Hiers-Brouage).

Autre question importante à traiter, l'étude du rôle central des moulins dans le système économique local devra concerner autant les conditions d'apparition de ces équipements que la trame d'implantation, leurs modalités de détention et de gestion et la nature de leurs productions 86. On a mentionné, dans le rapport 2011, un très riche document judiciaire reproduit dans le cartulaire de la Trinité de Vendôme, daté des années 1045-1082, concernant un contentieux impliquant sur les moulins dits « de Roillata », situés dans notre périmètre d'étude. Les moines de la Trinité portent devant la cour du comte de Poitiers une plainte contre deux individus avec lesquels l'abbé avait conclu un contrat de construction et d'exploitation desdits moulins 87... Quelques autres jalons documentaires précoces collectés en 2012 ont par ailleurs déjà été présentés pour le XIe siècle dans un précédent chapitre. Ces moulins gardent une importance particulière tout au long du Moyen-Âge, comme en témoigne les mentions récoltés au hasard de documents plus tardifs : ainsi en est-il en 1508, dans la paroisse de Saint-Symphorien, de ce "mosnar de Carrelieure" et des "mosnards des Moulinates", alimentés par des "coureaux" d'eau ou des "chenaux" dont l'utilisation semble être l'enjeu de conflits récurrents. 88..

Dans le cadre d'un programme de recherches triannuel, l'ampleur des champs d'investigation qui peuvent être proposés nécessitera de faire des choix d'investigations sur ces thématiques particulièrement riches, par exemple en choisissant des zones limitées sur lesquelles seront menées des recherches plus approfondies.