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[Cette partie reprend le texte donné dans le rapport 2011,

III- 1-1 Espaces forestiers et terres à cultiver

Le premier trait évident, à la lecture des sources les plus anciennes, est l'omniprésence de la forêt (foresta) ou du bois (boscum) dans le paysage.

Ainsi, l'abbaye de la Trinité, nouvellement fondée en Anjou, reçoit du pouvoir comtal en 1040, d'une part « le bois de Saint-Aignan et celui de Coulommiers (non localisé), d'autre part une partie de la forêt de Marennes 51 ». En premier lieu, constatons que les deux termes

ne semblent pas synonymes dans le document : le boscum semble renvoyer à un espace boisé bien circonscrit (voire limité en superficie), correspond à un espace forestier résiduel, alors 48 Voir notamment les cotes suivantes de la série B : 468, 481, 483, 488, 492, 496, 506, 508, 510, 516, 519, 525, 530, 548, 568, 615, 632, 739, 752, 758, 761, 762, 769, 774, 842, 1014 (p.8 col.1), 1021 (p.10 col.1) &

1474 (p.204 col.1). On a également relevé les cotes suivantes en série E : 103, 249 à 251, 253, 256, 257 &

1135 (p.463 col.2). Voir aussi cote I 15. 49 A. GAUTIER, op. cit. 1839, p.58-59. 50 A. GAUTIER, op. cit. 1839, p.59. 51 Voir annexe 2, document n°1.

que la foresta correspondrait à une vaste surface 52. André DEBORD identifie ce vaste

ensemble comme l'ancienne « forêt de Bâconais », zone de faible densité de peuplement jusqu'au XIe siècle 53.

On relèvera à cet égard que le bois de Saint-Agnant est situé au cœur du territoire du marais, alors que la forêt ici mentionnée est implantée sur sa marge méridionale. À l'appui de cette constatation, on se référera à un document plus tardif, la donation comtale faite au prieuré de Sainte-Gemme vers 1074 54: le comte donne alors aux moines tout le bois ("ligna et arbores") qui leur sera nécessaire pour la construction ou le chauffage, mais ce bois est à prélever dans toute la forêt de Bâconais, c'est-à-dire largement hors du cœur du marais. Le marais lui-même semble donc déjà, au XIe siècle, totalement dépourvu de grands espaces

boisés.

L'ancienneté du boisement de ces espaces semble néanmoins attesté par le fait qu'il s'agit de propriétés comtales, et donc vraisemblablement, de forêts publiques anciennes. Plusieurs mentions recueillies en 2012 pour le derniers tiers du XIe siècle 55 attestent d'ailleurs de l'existence d'officiers comtaux spécialisés, les forestiers (forestarii), dont les attributions précises ne sont pas évoquées, mais dont on voit qu'ils sont "chasés" sur le territoire, ce patrimoine foncier personnel étant vraisemblablement issu d'une concession comtale : ainsi voit-on, dans les années 1080, le forestier Gautier léguer à l'abbaye de la Chaise-Dieu, avec l'assentiment du comte, tout son bien situé au lieu-dit Salles 56 (que l'on sait par ailleurs équipé

d'une église en 1096).

Par ailleurs, si l'on en revient à l'acte de 1040, chacune des deux entités boisées évoquées est dite « compter cent manses », sans que l'on puisse savoir si cette précision porte sur la surface des espaces concernés, ou sur le fait que ces espaces forestiers anciens ont déjà été en partie mis en exploitation, et découpés à ce titre en manses confiés à des familles de tenanciers. Les deux acceptions semblent ici recevables, d'autant plus si l'on considère que ce qui est donné par le comte dans la forêt de Marennes correspond à « la moitié des terres en culture de la forêt (...), ainsi que les églises situées dans cette forêt » : on est loin ici de la silva, la forêt sauvage inhabitée. Des hommes vivent déjà en nombre au milieu de ces bois, les ont défrichés et (en partie au moins) mis en culture, et y ont construit des lieux de culte (dont le statut ne nous est pas précisé). Dans les années 1047, un échange comtal identifie d'ailleurs le même secteur comme la terre (et non plus la forêt) de Marennes 57. Une autre version de la

même transaction précise même que la donation qu'avaient faite aux moines de Vendôme le comte et la comtesse d'Anjou portait sur la moitié de la terre appelée Marennes, de la partie

ancienne comme de la nouvelle (« de veteri et de nova »). La comtesse a ensuite acheté à

Pierre de Didonne l'autre moitié de la partie ancienne de cette terre 58. Cette dichotomie nette

du territoire nous semble représenter un témoignage éclatant de deux moments distincts dans la conquête de cette espace forestier. D'autres donations comtales, portant sur des secteurs voisins, confortent cette image de vastes étendues boisées en cours de défrichement 59.

Ces défrichements des anciennes forêts semblent d'ailleurs s'inscrire dans le long 52 À l'appui de cette hypothèse, on évoquera une autre mention de bois, celle datée de 1146, correspondant à une donation comtale (cf annexe 2, document n°13) par laquelle est donnée au prieuré de sainte-Gemme un bois situé entre ce lieu et la terre de Faut (qui lui est proche) : dans cet espace situé dans le marais, alors mis en culture depuis plusieurs décennies, subsistait donc cette parcelle boisée, qui était restée propriété comtale...

53 A. DEBORD, op. cit., p.15 & 45. 54 Voir annexe 2, document n°6. 55 Voir annexe 2, documents n°7 &10. 56 Voir annexe 2, document n°7. 57 Voir annexe 2, documents n°2 & 4. 58 Voir annexe 2, document n°4.

59 Ainsi en est-il de la donation faite par le comte à l'abbaye Notre-Dame de Saintes, à la même époque, « de 300 manses de terre à défricher à Corme » (Corme-Royal) : voir A. DEBORD, op. cit., note 31 p.107.

terme : au titre des mentions relevées en 2012, on notera, dans une donation de dîmes assises dans la forêt de Baconais faite au début du XIIe siècle (1101-1102) 60 par la comtesse de Poitiers au prieuré de Sainte-Gemme, que l'une des terres sur lesquelles pèsent ces dîmes avait été donnée par un particulier au prieuré "afin d'être défrichée et mise en culture" (ad extirpandum sive ad colendum), l'autre concernant un essart (exartum), c'est-à-dire une clairière de défrichement.

Pour conclure sur cette question du couvert forestier, on peut donc affirmer, à la lecture de la documentation disponible pour le XIe siècle, d'une part que les grandes forêts publiques ont alors déjà disparu du territoire du marais, d'autre part qu'une partie non négligeable de leur étendue primitive a déjà été mise en culture.

Une dernière mention intéressante relevée en 2012, celle de chasseurs (venatorii) : plusieurs d'entre eux font office de témoins lors de la donation de la terre de l'Houmède faite (entre 1126 et 1137) par le comte de Poitiers en faveur du prieuré de Sainte-Gemme 61 : la proximité de ceux-ci vis-à-vis de la personne comtale laisse penser qu'il s'agit là d'officiers comtaux affectés à la surveillance des forêts ("gardes-chasses").

Pour ce qui touche aux terres du marais en elles-mêmes, leur mise en valeur fait l'objet d'attentions très explicites de la part des comtes, comme on le constate au moment où ceux-ci transfèrent par donation leurs biens fonciers à un certain nombre d'établissements ecclésiastiques récemment fondés dans ce territoire. La donation de 1074 au prieuré de Sainte-Gemme, évoquée plus haut 62, nous montre que l'essentiel de l'assiette foncière qui est léguée par le comte de Poitiers correspond à de la terre propre à la culture (ad colendum habilem), ce qui signifie qu'elle n'est pas alors cultivée. Une autre donation des années 1090 portant sur le secteur de Sainte-Gemme 63 juxtapose à la terre (cultivée) le marais (paludis), ce qui laisse supposer que ces deux éléments du paysage sont alors étroitement imbriqués... Dans le même document, le toponyme de Valle Fera ("val fier") pourrait évoquer l'aspect en partie sauvage du paysage local.

Plus évocatrice encore, une autre donation comtale de 1096 64 porte sur deux espaces distincts désignés comme "terre maritime", à proximité du Gua. Ces terres sont délimitées par le tracé des étiers, et le donateur précise que celle qui s'étend du Gua au Chapus "a été soustraite à la mer par le force et l'ingéniosité" de l'Homme (ab undis maris erepta vi et ingenio). Une telle mention suppose une bonification récente de ces terres marécageuses voire submersibles... À la même époque, une donation comtale au prieuré de Sainte-Gemme concerne la terre de Faut (Falto) 65, non loin du prieuré : cette terre est alors désignée comme "stérile et sans cultures" (sterilis sine cultoribus) et donnée aux moines afin qu'ils la fassent "produire".

Nous renvoyons enfin, pour la photographie de ces espaces palustres à la fin du Moyen Âge et des usages qu'ils polarisent, à l'analyse donnée en présentation d'un relevé de cens (XVe s.) de la seigneurie de Soubise 66, sur lequel nous avons travaillé de manière approfondie en 2012.