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ANNEXE II : Description des céramiques

1. Les invertébrés marins au sein des sources écrites médiévales et modernes

Les sites de Fontdouce et de La Gripperie-Saint-Symphorien n’apparaissent que de manière anecdotique dans les archives et autres documents administratifs médiévaux et modernes. En effet, ceux de l’abbaye ont été détruits lors de la Révolution, tandis que le second, habitat rural, n’en a produit que très peu. L’échelle locale n’a donc pas pu être intégrée aux données littéraires et historiques.

1.1 Les poèmes d’Eustache Deschamps

Eustache Deschamps est un poète du XIVe siècle particulièrement fécond puisqu’il nous a laissé quelques 82 000 vers. Il a ainsi composé diverses pièces concernant la vie quotidienne à son époque, ce qui représente pour l’historien une source d’informations assez exceptionnelle. Parmi ces pièces se trouvent notamment des poèmes dits gastronomiques qui nous intéressent ici particulièrement. Les nourritures de la mer y sont très bien représentées, ce qui n’est pas étonnant de par les restrictions imposées par l’Église concernant la consommation de la viande. Mais l’auteur ne parle ici presque uniquement que des poissons, pour lesquels il dresse une liste particulièrement fournie et diversifiée. Nulle part n’est faite mention de coquillages et le seul crustacé mentionné est l’écrevisse, qui vit également en eau douce231. Ce déséquilibre marque-t-il les goûts de l’auteur ? Il 231 Kosta-Théfaine 2007, 327-328.

semblerait que non, puisque dans le cas des poissons, il décrit tout autant ceux qu’il déteste que ceux dont il affectionne la chair. De plus, l’auteur paraît avoir toujours résidé à l’intérieur des terres, de par ses fonctions232. Il semble donc qu’il n’ait pas été amené à manger ce type d’aliment, ce qui laisse supposer que la consommation de coquillages est limitée aux régions littorales, à quelques exceptions près, citadines notamment.

1.2 Préparation des coquillages et crustacés

Les livres culinaires et recueils de recettes apparaissent comme une source évidente concernant l’étude des pratiques alimentaires. Il faut toutefois avoir à l’esprit que ces ouvrages ont été composés pour un public bien particulier, celui des tables aristocratiques et bourgeoises, particulièrement parisiennes. Il convient donc manier ces sources avec prudence et de ne pas généraliser les informations qu’elles comportent outre-mesure. Ces écrits se développent particulièrement à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Plusieurs d’entre eux sont parvenus jusqu’à nous et ont été étudiés ici : Le Ménagier de Paris, Traité de morale et d’économie domestique au XIVe siècle233, Le Viandier de Guillaume Tirel dit Taillevent au XIVe siècle234, Le Recueil de Riom au XVe siècle235, Le vrai cuisinier françois au XVIIe siècle236. En parcourant ces divers ouvrages, on retrouve ce fort déséquilibre, déjà constaté dans l’œuvre d’Eustache Deschamps, entre les poissons, très bien représentés dans le corpus, et les coquillages, beaucoup plus discrets. Toutefois les invertébrés marins n’en sont pas totalement absents. Nous avons ainsi pu dénombrer une recette dans le Recueil de Riom, 6 dans le Viandier, 10 dans le Ménagier, 14 dans le Vrai cuisinier françois dans lesquelles ils sont présents. Le nombre de recettes ne semble pas dépendre d’une évolution chronologique mais plutôt de la taille même du recueil de recettes (une quarantaine de recettes pour le Recueil de Riom, environ 150 pages pour le Ménagier, environ 160 pour le Viandier et environ 340 pour le Vrai cuisinier françois). Ces recettes évoquent essentiellement l’huître et la moule, puis la seiche, l’écrevisse de mer (l’écrevisse d’eau douce est plus fréquemment citée), la langouste. Tous ces aliments sont préparés cuits au court-bouillon mais aussi en potages, civets, tourtes, beignets… Ces recettes sont caractéristiques de la cuisine médiévale, qui fut longtemps décrite en termes négatifs : carences, disettes, déséquilibres… Les études récentes montrent au contraire une cuisine colorée et épicée237. Ainsi par exemple cette recette de civet d’huîtres, dans le Viandier : Eschaudez les et les lavez bien, et frisiez en huille, et puis prenez pain hallé, purée de pois ou de l’eau des oïstres où elles auront esté eschaudées ou d’autre eaue boullue chaude, et du vin plain, et coullez ; puis prenez canelle, gingenbre, girofle et graine de paradiz, et saffren pour coulourer, deffait de vinaigre, et ongnons friz en huille ; et faites boullir tout ensemble ; et soit bien lyant ; et aucuns n’y mettent pas boullir les oïstres238. Au-delà des seules considérations de goût, la cuisine dépend aussi de considérations médicales. Les régimes de l’époque médiévale sont alors largement marqués par la théorie humorale de Galien (c. 131-c. 201 p.C.) qui repose sur les quatre éléments – l’air, la terre, le feu, l’eau – les quatre qualités qui leur sont propres – sec, humide, froid, chaud – et les quatre humeurs, substances liquides présentes dans le corps humain, qui en découlent – le sang chaud et humide, le flegme froid et humide, la bile chaude et sèche, la mélancolie froide et sèche239. Les coquillages et crustacés sont des aliments froids et humides. La cuisine a alors pour but d’équilibrer les humeurs : leur cuisson va donc 232 Boudet et Millet 1997, 9-16.

233 De Crapelet éd., 1846.

234 Tirel, éd. Pichon et Vicaire, 1892. 235 Kosta-Théfaine éd., 2009. 236 La Varenne, éd. Roger, 1712. 237 Kosta-Théfaine 2007, 325.

238 Tirel, éd. Pichon et Vicaire 1892, 22. 239 Quellier 2007, 169.

apporter au plat du chaud et du sec. L’équilibre se trouve également dans l’alliance d’aliments aux propriétés opposées, comme par exemple un chapon farci aux huîtres240. Manger les coquillages crus causait ainsi un excès de “flegme” : ils étaient donc réputés pour causer des indigestions. Si l’huître ne fait pas exception à la règle, il semble toutefois que se développe à partir du XVIe siècle sa consommation crue, en lien avec la notion de fraîcheur du coquillage : ainsi, le Livre fort excellent de cuysine (1555) précise que les “huytres en escailles [c’est-à-dire crues dans leur coquille] sont bonnes quant [elles] sont fresches”241. Cette tendance tend par la suite à se radicaliser jusqu’à un inversement des tendances comme on le connaît aujourd’hui, où la cuisson de l’huître fait exception en France.

1.3 Commerce

La faible représentation des coquillages et crustacés par rapport aux autres ressources alimentaires animales est également perceptible au sein du Traité de la police de M. Delamare (1719). Ce texte, plus tardif, dont nous étudions ici le tome troisième, apporte de nombreux renseignements sur le commerce des nourritures de la mer, principalement à Paris. Or, dans le titre 24 “Des Poissons en général”, il consacre un chapitre aux “Poisson à écailles et à croûte” où il précise qu’il ne parlera ici que de ceux dont l’usage est le plus fréquent, c’est-à-dire les tortues, les huîtres et les moules, les écrevisses. S’il connaît l’existence de nombreuses espèces de coquillages et de crustacés, il ne les décrit pas, arguant que les premiers “n’entrent point dans nos aliments” tandis que pour les seconds, “encore que l’on puisse en tirer quelque nourriture, c’est si peu et si rarement qu’ils ne méritent pas notre attention”242. Il s’agit bien ici d’une différence entre intérieur des terres, avec Paris au premier chef, et régions littorales. Ainsi, l’auteur précise dans le titre 25 “De la Pêche” que l’ont peut en trouver d’autres sortes sur le littoral : “il y a aussi plusieurs pêcheries sur le reste des côtés de la Province ; celles de Coutances et de Granville fournissent beaucoup de poissons de toutes espèces, il s’y en trouve même de singuliers, […] les seiches, […] les homards et les crabes qui se pêchent sur ces côtes-là, sont peu connus dans nos halles ou marchés de Paris, ni en beaucoup d’autres lieux. Tous les poissons de cette pêche, à l’exception des huîtres et des moules qui sont amenées à Paris, se débitent dans la Province à 18 ou 20 lieues des côtes”243. Cette différence peut en partie expliquer la faible représentation des invertébrés marins au sein de la littérature médiévale, issue du milieu parisien, bien qu’ils soient consommables pendant les jours maigres. Ces périodes d’abstinence imposées par l’Église peuvent représenter jusqu’à 150 jours par an pour le clergé, 130 pour les autres244, ce qui les amène à consommer énormément de “chairs maigres”, c’est-à-dire les volailles mais surtout les poissons et tout animal issu du milieu aquatique. On aurait donc pu s’attendre à une meilleure représentation des coquillages de par ce statut. Mais la collecte de coquillages, comme la cueillette en forêt, est une activité connotée, laissée aux pauvres en temps de crises alimentaires. Cette situation perdure d’ailleurs durant l’époque moderne. Le Masson du Parc en fait le constat lors de ses visites en Poitou-Charentes en 1727 et 1728 : “De basse-mer, surtout de celle des grandes malignes, il se fait une pesche considérable d’huîtres et surtout des coquillages qu’ils nomment sourdons245 […]. Cette petite pesche est de conséquence pour les riverains qui en tirent une part de leur subsistence”246. Les seuls coquillages qui semblent donc échapper à cette réputation sont les moules et surtout les huîtres. Parmi ces dernières, certaines sont particulièrement réputées. Ainsi, l’huître verte de Marennes est 240 La Varenne, éd. Roger 1712, 43.

241 cité dans Rambourg 2007, 218. 242 Delamare, éd. Brunet 1719, 28. 243 Delamare, éd. Brunet 1719, 36. 244 Quellier 2007, 127.

245 Le sourdon est un nom patois pour la coque. 246 Le Masson du Parc, éd. Lieppe, 2009, 21.

un produit très recherché. À la fin du XVIIe siècle, le gouvernement commande une enquête à l’Intendant de Marine afin d’en évaluer la traçabilité car les marais charentais étaient alors en terres protestantes, et l’on craignait alors une tentative d’empoisonnement envers Louis XIV247. Quelques années plus tard, Le Masson du Parc décrit lui aussi le processus et précise que ces huîtres vertes “sont excellentes et fort délicates et qu’on [les] transporte souvent à la Cour et dans la capitale”248. Comment alors s’effectue ce transport ? Le commissaire Delamare répond à cette question pour l’époque moderne, et l’on peut supposer que le système était sensiblement le même au Moyen Âge. Il distingue ainsi deux sortes d’huîtres : les huîtres “en écailles”, c’est-à-dire conservées dans leur coquille pendant le transport pour n’être ouvertes qu’au moment de leur consommation ou de leur préparation, et les huîtres “huîtrées”, c’est-à-dire ôtées de leur coquille sur le lieu même de la pêche puis expédiées sans avoir subi aucune préparation249. À ces deux types de préparation, on peut y ajouter une troisième : les huîtres marinées dans un bouillon après avoir été extraites de leur coquille. Un mémoire anonyme daté de l’an III sur la pêche à Granville nous en donne une recette : “[…] au moyen d’une bonne saumure faite d’un pot de sel par millier, des oignons, écorce de citron, poivre mignonnette et quelques feuilles de laurier. On doit préparer une espèce de bonne eau ou court bouillon dans lequel il ne doit entrer que ce qu’il faut d’eau pour fondre le sel et cuire tous ces ingrédients avant qu’elles sentent la chaleur. Cela se reconnaît à la blancheur qu’elles contractent. Il ne faut pas négliger de les mouvoir pour faire passer celles du dessus au fond où la chaleur est plus forte, sans quoi elles ne seraient pas assez cuites et les autres le seraient trop et seraient dures”250. Les sources écrites nous apportent ainsi de nombreux renseignements complémentaires sur les goûts, la préparation des coquillages et crustacés ainsi que leur transport, qui ne sont pas forcément visibles dans les vestiges archéologiques. Toutefois, ces textes sont en majorité une production destinée aux populations aristocratiques et bourgeoises et les couches populaires n’y sont que très peu représentées. Le matériel archéologique peut nous permettre d’aborder ces populations plus modestes.