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Pratique clinique à la demande avec dépistage familial en cascade

Dans le document 2001 01 fr (Page 144-149)

6. STRATÉGIES DE DIAGNOSTIC ET DE DÉPISTAGE

6.3.3 Pratique clinique à la demande avec dépistage familial en cascade

Le diagnostic des sujets symptomatiques, le dépistage familial en cascade et le diagnostic prénatal s’inscrivent dans l’approche familiale habituellement adoptée en génétique médicale, au Québec comme ailleurs. Le dépistage des femmes enceintes avec histoire familiale de retard mental, ou éventuellement d’autres indications, est une extension de cette approche utilisée lorsque le diagnostic ne peut être établi au préalable chez un apparenté symptomatique.

Cette pratique répond à un besoin des familles, car elle permet de clarifier le diagnostic chez des sujets symptomatiques et d’offrir le conseil génétique aux familles concernées. Bien qu’il s’agisse d’une pratique répandue, la littérature révèle peu d’évaluations de son efficacité. On s’entend néanmoins pour lui reconnaître une utilité certaine, mais quelques articles suggèrent que, si la qualité du service laisse à désirer, il faut s’attendre à un impact négatif sur l’utilité et l’acceptabilité de cette pratique. On constate en effet que la rapidité de l’établissement du diagnostic, le support psychosocial lors de la communication de celui-ci, l’accessibilité en temps opportun au conseil génétique et la référence vers les services de support et d’adaptation requis s’avèrent fort variables, ce qui peut créer des obstacles à l’obtention de bénéfices possibles et générer une insatisfaction par rapport à la réponse aux besoins. Par ailleurs, les limites des connaissances actuelles font que l’utilité de recourir aux tests pour certaines indications reste incertaine, la justification du test se heurtant au manque de données probantes sur

le niveau de risque qui se rattache à chacune des indications envisageables.

En tant que stratégie de diagnostic et de dépistage, cette pratique clinique présente aussi des limites en partie liées aux modalités organisationnelles, en partie inhérentes à la nature du syndrome. D’une part, la variabilité et l’ap-parition insidieuse des symptômes ainsi que les processus de sélection — qui opèrent invariablement dans un système répondant à la demande des familles et reposant sur l’aiguillage de ces familles vers les prescripteurs de tests — font en sorte que le syndrome du X fragile reste sous-diagnostiqué. D’autre part, la complexité du conseil génétique et la charge émotive liée au diagnostic freinent la dissémination de l’infor-mation au sein des familles, limitant l’efficacité du dépistage familial en cascade.

Au Québec également le syndrome semble sous-diagnostiqué, puisqu’on note un écart important entre le nombre de sujets ayant eu un diagnostic confirmé par les tests moléculaires et le nombre attendu de sujets atteints dans la population d’après les données de prévalence du syndrome (voir section 5.1). La proportion des enfants avec retard mental chez qui le test a été effectué est vraisemblablement aussi très faible, si l’on admet qu’environ 1 à 3 % des enfants en âge scolaire présentent un retard mental. L’âge auquel les analyses sont demandées tend à baisser progressivement, mais le diagnostic reste encore souvent tardif. Comme l’intervalle entre les deux premières grossesses est inférieur à 36 mois chez pratiquement 55 % des familles québécoises158, l’abaissement de l’âge lors du diagnostic ne parviendra pas à éliminer totalement la récurrence du syndrome au sein des familles concernées. Par

158 Selon les données québécoises pour 1996 (communication personnelle écrite, Bureau de la Statisitque du Québec, 1998).

ailleurs, plusieurs cliniciens confirment qu’au Québec également le conseil génétique et le dépistage familial sont loin d’avoir rejoint l’en-semble des membres des familles déjà identifiées.

L’examen du contexte québécois nous a fourni plusieurs indices quant aux facteurs pouvant contribuer au processus incomplet (et potentiellement aléatoire) de confirmation diagnostique. La méconnaissance relative de cette entité clinique en première ligne, la multiplicité des portes d’entrée dans le système, le manque de collaboration entre le milieu de la santé et le système scolaire et préscolaire, l’absence de bilan standardisé pour le retard de développement et le retard mental, et l’absence de lignes directrices canadiennes pour le recours aux tests moléculaires conduisent à des filières de recrutement très variables, à une présélection non planifiée et à un cheminement « prédiagnostique » décrit comme laborieux et pénible par les parents.

À l’issue de ce survol du contexte québécois et des expériences internationales dans le domaine, nous constatons que l’accessibilité aux services et la coordination des services de diagnostic et de prise en charge sont les principaux points faibles de cette pratique. Bien que nous ne soyons pas en mesure d’apporter des solutions toutes faites, nous pouvons procéder à quelques recommandations visant à susciter la responsabilisation des intéressés et à stimuler la concertation intersectorielle. Pour pallier les lacunes de cette pratique clinique, diverses mesures pourraient être envisagées touchant aux pratiques professionnelles mais aussi à l’organisation des services.

Du point de vue des pratiques professionnelles, les efforts, qui devront être consentis pour

améliorer l’identification des sujets atteints, devraient s’inscrire dans une approche visant à améliorer la mise au point diagnostique pour tous les enfants présentant un retard de développement ou une déficience intellectuelle159, voire un retard d’acquisition du langage. Le recours aux tests pour le syndrome du X fragile ne devrait donc pas être dissocié des autres examens cliniques et tests diagnostiques nécessaires à cet effet. Le développement de lignes directrices canadiennes pour le recours aux tests moléculaires pourrait être utile, mais surtout l’élaboration et la diffusion d’un bilan standardisé pour le retard de développement et le retard mental. Un tel bilan, surtout utile dans le cadre des services de première ligne, peut être conçu sous forme d’algorithme, comportant des examens ou tests à effectuer en première intention et des indications précises pour référer vers des services surspécialisés (génétique, neuropédiatrie ou autre selon les indications)160. Une extension de cette approche serait de prévoir également les signes d’appel pouvant guider la référence par des professionnels de la rééducation et des milieux de garde, préscolaire et scolaires,

159 Dans la littérature récente, plusieurs auteurs se sont penchés sur les protocoles diagnostiques les plus appropriés et soulignent qu’avec des bilans plus poussés une proportion nettement plus importante d’enfants présentant un retard de développement ou un retard mental pourraient bénéficier d’un diagnostic étiologique, conduisant souvent à un conseil génétique plus précis pour la famille (Curry et al., 1997; Majnemar et Shevell, 1995;

Battaglia et al., 1999).

160 À titre d’exemple, un comité de la American Academy of Neurology et de la Child Neurology Society a récemment proposé des lignes directrices, avec un algorithme, pour le dépistage et le diagnostic de l’autisme.

Celles-ci comportent plusieurs étapes dont le dépistage du retard de développement, le dépistage des sujets à risque d’autisme, suivi du diagnostic d’autisme et de l’évaluation des besoins des patients et de leurs familles (Filipek et al., 2000).

dans l’espoir d’améliorer ainsi les filières de recrutement (Hagerman et al., 1994b).

L’organisation des services a un impact à la fois sur les filières de recrutement menant au diagnostic et sur la prise en charge des individus atteints et leur famille. Dans la mesure où on souhaite une meilleure intégration des services de diagnostic, de prise en charge médicale, de rééducation et d’adaptation sociale pour les personnes ayant un syndrome du X fragile, au moins deux options nous apparaissent envisageables. La première, s’accommodant de la structure éclatée des services, requerrait un effort majeur d’information et de concertation qui pourrait se traduire par le développement d’un réseau auquel on reconnaîtrait la responsabilité d’orienter les individus dont les besoins ne cadrent pas avec le mandat d’un seul organisme pour leur assurer les services de diagnostic et de prise en charge en temps opportun. Cette approche trouverait son application non seulement pour le syndrome du X fragile, mais également pour tous ceux manifestant des déficiences multiples. La seconde option miserait sur la création de centres où les intervenants des milieux médicaux, de rééducation et d’adaptation pourraient fonctionner en équipes intersectorielles pour offrir aux familles les services suivants : l’obtention d’un diagnostic, le bilan cognitif et fonctionnel, le conseil génétique, l’établissement d’un plan de services individualisé et enfin la coordination des services requis. Le mandat de tels centres reposerait sur la reconnaissance de la nature progressive des manifestations de la déficience intellectuelle et, par le fait même, prendrait en charge les enfants présentant un retard de développement, voire un retard de l’acquisition du langage. Si cette option a plus de chance de réaliser une véritable intégration des services, elle demande en revanche une réorganisation plus importante et davantage

de compromis, exigeant probablement des relocalisations de services et des réallocations des mandats et des responsabilités des organismes actuels. Quelle que soit la solution retenue, il est fort probable que l’implantation de ces approches requière des investissements lors de la réorganisation elle-même, mais que la réallocation des ressources, trop souvent consacrées à des consultations éparpillées et des bilans diagnostiques peu structurés, couvrirait une partie des frais de fonctionnement récurrents.

Parallèlement aux efforts envisageables sur le plan des pratiques et de l’organisation des services, la dissémination de l’information est une activité primordiale si on souhaite résoudre les principaux problèmes identifiés. D’une part, une meilleure information des divers milieux professionnels impliqués dans l’offre de services améliorerait les filières de recrutement et le diagnostic, faciliterait l’obtention et la coordination des services et favoriserait la collaboration intersectorielle et l’échange d’expertise quant aux modes de prise en charge. D’autre part, une connaissance plus répandue du syndrome et des services dans la population concourrait à un support plus approprié du milieu auprès des familles concernées et à une communication plus efficace au sein de ces familles. Enfin, l’information des parents est une composante essentielle non seulement du conseil génétique mais aussi du support psychosocial.

6.4 CONCLUSION

Aucune stratégie de dépistage proactif de population à risque élevé ou de dépistage de population à risque faible ne peut être recommandée actuellement, puisque ces stratégies soulèvent de nombreux enjeux éthiques devant être débattus et que plusieurs problèmes scientifiques et techniques doivent au préalable

être résolus. L’évolution des méthodes et des connaissances dans ce domaine est extrêmement rapide de sorte qu’à l’avenir le bilan de la situation devra être révisé à la lumière des nouveaux développements.

En conséquence, il faut davantage compter, dans l’immédiat, sur une amélioration de la pratique actuelle du diagnostic des sujets atteints et du dépistage des personnes à risque de transmettre le syndrome à leur descendance. Celle-ci pourrait être envisagée à plusieurs niveaux : celui de la pratique professionnelle et celui de l’organisation des services, assortis à une diffusion plus large de l’information.

Du point de vue des pratiques professionnelles, l’élaboration et la diffusion d’un bilan standardisé pour le retard de développement et le retard mental aurait l’avantage de favoriser une mise au point diagnostique dont bénéficieraient tous les enfants concernés. Du point de vue organisationnel, le problème de la coordination intersectorielle est le plus flagrant et tout effort d'amélioration devrait viser essentiellement à promouvoir l’intégration des services de diagnostic, du bilan cognitif et fonctionnel et de l’offre de services de rééducation et d’adaptation.

Un tel objectif pourrait, par exemple, être atteint soit par la mise sur pied d’un réseau d’orientation, soit par le développement de centres véritablement multidisciplinaires dédiés, non seulement à la déficience intellectuelle mais aussi aux signes précurseurs comme le retard de développement ou le retard

de l’acquisition du langage. Toute démarche en ce sens requerra une responsabilisation des intervenants et organismes impliqués, ainsi qu’un effort substantiel de concertation.

Dans le document 2001 01 fr (Page 144-149)