• Aucun résultat trouvé

L’extrait d’autoconfrontation croisée que nous allons analyser porte sur les différentes manières d’afficher le tableau de répartition des tâches à la vue des éboueurs dans l’atelier de travail, et sur les effets de ces manières de faire sur l’engagement des éboueurs dans la réalisation de leurs tâches.

Rappelons que, dans le travail de co-analyse réalisé avec le collectif, la situation de « mise en route » sélectionnée pour faire l’objet d’une analyse répétée concerne le premier moment de la journée du chef d’équipe. Dans cette situation, la tâche consiste à veiller à faire respecter les horaires de départ des éboueurs sur le secteur dont ils ont la charge. Le chef d’équipe doit également veiller à ce que les éboueurs disposent de l’outillage approprié pour réaliser leur travail. Nous avons déjà indiqué que, dans cette situation de travail, le tableau de répartition des tâches constitue l’un des outils principaux du chef d’équipe. Il lui permet de signifier aux éboueurs les tâches qui lui seront attribuées sur sa journée de travail. Il comporte le nom de chaque éboueur, face auquel est précisée une affectation particulière (balayage du canton n°X, désherbage, lavage des trottoirs, etc.).

L’échange entre les deux chefs d’équipe se construit à partir de la difficulté à faire partir les éboueurs à l’heure. La fonction du tableau de répartition des tâches pour faire face à cet obstacle constitue ensuite l’objet principal qui sera discuté entre les deux professionnels. L. affiche sa feuille de journée le matin même, tandis que A., comme on va le voir, indique qu’il affiche son tableau la veille afin de permettre aux éboueurs de se préparer « psychologiquement » à la réalisation des tâches du lendemain et afin de faciliter le départ. Rappelons que, dans la transcription des matériaux, nous codons les gestes d’un seul professionnel, y compris sur les tours de parole de son collègue. Les variations de postures sont surlignées en bleu, les gestes qui entrent dans la catégorie des « co-verbaux » y sont surlignés en vert, et les gestes extracommunicatifs qui traduisent un inconfort sont surlignés en rouge. Seuls les gestes qui nous semblent en rapport avec les réalisations affectives de A. sont codés.

191

Séquence n°1 – Autoconfrontation croisée entre A. & L. – 51’21 à 59’04

1 A. : (relance la vidéo)(...) Sachant que les agents ils savent ce qu’ils ont à faire dès qu’ils ARRIVENT (.) Même moi même la veille moi

2 L. : moi pas oui (.) parce que toi ils savent DEJA (.) moi ils le savent pas 3 C. : toi ils savent la veille toi (à A.) ?

4 A. : moi le ta- le tableau est afFICHE (.) en fin de service quand ils rentrent à 13h15 (..) le

tableau est affiché (.) ils savent déjà ce qu’ils vont faire demain (..) donc euh (.) ils ont

toute la nuit pour y réfléchir (rires)

5 L. : donc ils devraient ils devraient eh ils devraient partir DIRECT

6 A. : encore BIEN plus

7 L. : Ils devraient partir direct

8 A. : Encore encore bien plus VITE

9 C. : et pourqu- pourquoi tu le fais dans ce sens-là ?

10 A. : ils ont toute la nuit pour réfléchir comment y vont prendre l’canton comment y vont

si y vont où y- ou y vont l’attaquer où ils veulent euh la première BL20 qu’ils vont

ouVRIR (.) ils sont déjà condiTIONNES (.) normalement donc eu ::h

11 L. : normalement (rire)

12 A. : normalement (rire)

13 L. : à mon avis ils en ils en rêvent pas hein

14 A. : e ::t bah nan j’rêve pas (rire)

15 C. : mais justement qu::euh quel effet ça a ça ? 16 A. : bah l’effet ça veut dire que justement y- 17 C. : moi y’a des chefs qui m’ont dit

18 L. : moi pour moi ça ça a du POSITIF et du négatif hein

19 C. : mais c’était en atelier de benne donc c’est pas forcément comparable 20 L. : nan c’est pas comparable.

21 C. : mais je pense qu’il y a quelque chose de ça quand même. Ils m’avaient dit moi je- « surtout, je ne mets pas la veille »

22 L. : nan (.) bah c’est normal.

23 C. : « parce que SINON le lendemain il est pas là » 24 A. : Alors il a entièrement raison

25 L. : sur les bennes

26 A. : quand j’avais les bennes c’était jamais c’était pas comme ça j’affichais la feuille quand j’arrivais.

27 C. : le matin 28 A. : oui

29 C. : et là tu peux le faire là ?

30 A. : et bah pfff je pourrais le faire oui

31 C. : non mais je veux dire tu- tu peux le faire la veille ? Qu’est ce qui- qui change 32 A. : ouais mais là je vais perdre du temps là

20 BL = bouche de lavage que les éboueurs doivent ouvrir avant d’entamer le travail de balayage afin d’humidifier le trottoir

192 33 C. : mais tu le fais la veille ?

34 A. : n- la veille je l’écris

35 C. : tu l’affiches tout le monde voit eu:h ce qu’il a à faire le lendemain 36 A. : voilà euh

37 L. : c’est à double tranchant je trouve

38 A. : quand ils rentrent à 13h15 39 L. : parce que

40 A. : ouais mais là t’as plus de risque

41 L. : ouais mais

42 A. : c’est du balayage (.) alors qu’avant

43 L. : pour moi c’est c’est à double tranchant parce-que si si si la veille tu lui as dit euh il

fait euh, disons le 85 44 A. : hmm

45 L. : et puis que le lendemain eu::h t’as regardé sur t::a sur t::a y’a un agent en retard ou euh

ou pas là ou euh y’a un y’a une plainte quelque part ou quoi que ce soit si tu changes

son travail (.) et ba:::h moi ça m’était déjà arrivé euh quand il savait la veille ce qu’il faisait (.) le lendemain quand ils arrivaient et que tu avais changé leur boulot alors là

c’était la galère

46 A. : ouais

47 L. : « mais pourquoi CI mais pourquoi CA ? 48 A. : oui oui

49 L. : et moi je voulais faire CI, et pataTI et tatata »

50 C. : donc effectivementils y avaient réfléchi la nuit alors ? (rire)

51 L. : voilà donc si tu veux si tu veux c’était c’est un peu c’est un peu galère bon c’est pas

tous les jours mais c’est vrai que ça c’est un peu galère parce que ça te donne pas de

MARGE de sécurité pour TOI c’est-à-dire que quand t’arrives à:: 6h si il faut que tu

changes complètement le travail t’as pas à te justifier t’as pas besoin ils le savent pas donc tu euh tu tu remodèles ton truc tu le- tu le mets y’a pas de y’a pas de conséquence que si tu leur as dit la veille (.) euh c’est ça tu peux arriver à des conséquences « ah mais tu m’avais dit j’étais à la lance eu::h et pourquoi j’y suis pa:s ? » « Ah bah oui mais tu sais parce que y’a machin qu’est pas venu patati patala » et tu pars dans des discussions pas possibles

52 A. : nan mais là là entre en jeu la diplomatie savoir comment tu vas lui répondre

53 L. : oui mais c’est du temps si tu veux eu::h ça peut être du temps perdu

54 A. : ça peut être du temps perdu ça peut être-

55 L. : ça peut être du blabla pour rien.

56 A. : oui ça peut être du temps perdu eu::h maintenant eu:h toi aussi si t’as prévu ton

boulot le matin

57 L. : c’est vrai je te dis c’est limite c’est

58 A. : et que tu ne l’as pas encore afFICHE tu vas rectifier sur ta feuille avANT de le mettre 59 L. : voilà voilà

60 A. : ça tu vas le faire le matin aussi

193 62 A. : donc eu::h finalement l’un dans l’autre

63 L. : oui mais y’a pas- eux ils l’auront pas vu

64 A. : oui ils l’auront pas vu mais bon ils sont pas susceptibles à ce point-là quand même

hein

65 L. : moi j’en ai-

66 C. : c’est-à-dire que toi A. ils font pas euh y- y- y- ?

67 A. : même si je modifie un agent bon j’vais savoir lui bon j’vais j’vais savoir lui dire j’v-

j’vais agir avec diplomatie (.) parce que c’est vrai-

68 L. : voilà mais t’auras pas si tu veux tu seras OBLIGE d’aller lui dire

69 A. : c’est vrai c’est vrai qu’y en a que ça peut emmerder « ah nan pourquoi tu me

changes ? » bon puis je sais aussi à qui je vais m’adresser

70 L. : imagine tiens imagine que madame euh C. tu lui changes et que tu l’avais mis à la

lance et tu la mets sur un autre service 71 A. : ouais

72 L. : madame J. tiens on va prendre madame J. 73 A. : ouais ouais ben c’est si y’a pas de lance

74 L. : (.) si y’a de la lance mais que tu l’as changée parce que tu lala y’avait un truc

75 A. : hmm

76 L. : t’auras le droit à « oui et pourquoi ci et pourquoi ça gnagnagna et pourquoi moi pourquoi pas lui pourquoi gnagna » voilà

77 A. : « et pourquoi moi » ouais mais ouais ouais mais (.) je j’évite j’évite, j’é- j'évite 78 L. : ouais nan mais là c’est parce que tu les connais (rire)

79 A. : et OUAIS ça c'- c'est 80 C. : t'év- t'évites quoi c'es::t ?

81 A. : ben j’évite de dire par exemple eu::h comme comme tu dis oui madame C. je l’ai mis à la lance euh puis pour X raison euh

82 L. : tu mets madame J. tiens on va dire

83 A. : ben tiens je vais mettre J. à sa place alors là ça va être la guerre là (.) là ça va être la guerre donc je vais pas jouer à ce jeu-là parce que je sais ce qui m’attend

84 L. : voilà

85 A. : hein bon donc VOILA ça c’est là aussi c’est le boulot c’est c’est la connaissance de son personnel

86 C. : ça veut dire qu’il y a des agents par exemple à qui tu tu vas tu vas pas changer le

boulot ?

87 L. : voilà le problème c’est ça et ça devient un peu (.) y’aura pas d’EQUITE là 88 A. : ben pour m’éviter un peu pour m’éviter justement des blablabla le matin quoi

89 C. : oui mais alors du coup les autres ils doivent le voir ça

90 A. : ils voient rien du tout qu’est-ce qu’y voient ?

91 C. : bah que que eux le matin on est susceptible de leur changer le boulot (.) je je réfléchis

comme ça tout haut hein et que madame C. elle on va pas lui changer

92 A. : non les questions les questions vont pas jusque-là non pfff faut pas non plus euh 93 L. : nan mais ça peut mettre u::n

194

95 L. : bah moi si tu veux moi j’aime pas trop (.) j’aime pas trop parce-qu::e parce-que pour

avoir été éBOUEUR hein eu:h 96 A. : ouais nan j'suis d'accord

97 L. : quand on avait le- le service la VEILLE alors bon (.) j’en rêvais pas hein mais eu:h tu

faisais tu regardes tu fais « ah ouais » nan je vais même pas aller la veille tiens je vais même te dire en deuxième tranche horaire t’vois ça revient au même à peu près

98 A. : ouais hum

99 L. : t’es là « ah je fais le 80-machin euh » le 85 on va dire et puis eu:h et puis t’arrivais et

puis le service avait été changé ça te fait UN TRUC toi tu t’es- tu t’es- eu:h (.)

CONDITIONNE on va dire tu t’es conditionné pour y aller ou sinon 100 C. : en fait ils y pensent vraiment la nuit alors

101 A. : donc tu vois que c’est tu vois y’a y’a de ça ouais

102 L. : ou SINON ou SINON c’est t’as déjà commencé à faire un morceau de rue t’as déjà tu

vois t’as déjà pris tes marques sur l’autre service et puis on te (.) on te change (.) ça

peut avoir une incidence

103 A. : voilà un mec voilà EXACTEMENT un mec qu’est aux GO21 par exemple « ah putain

c’est bien demain j’suis aux GO à midi et demi eu::h j’peux demander une heure

d’RC22 » c’que qu’ça- ça s’arrête (.) c’est bon » (.) le mec le lendemain tu lui dis « ah

ben non y’a pas de GO »

104 L. : et bah là il est mal (.) alors que si tu l’as pas marqué LA VEILLE 105 A. : il a eu une fausse joie.

106 L. : si y’en a pas il a RIEN VU donc il est pas DECONTENANCE donc il part au travail (.) sans RIEN (.) parce que quand un agent voilà tu lui as dit GO et que le lendemain il a pas GO et bah quand y va aller balayer il va être MOINS BIEN « fait chi::er eu::h le balai »

107 A. : oui mais (.) ils sont tellement habitués- parce que ça ça arrive souvent ça ça ça arrive souvent

108 L. : ça arrive très souvent même

109 A. : que tu prévois un mec aux GO et que le lendemain on annule (.) ils sont donc habitués y sont habitués

110 L. : et puis en plus on t’annule au dernier moment 111 C. : vas-y A.

112 A. : y y y sont habitués c’est- même que ce soit écrit la veille y sont habitués à ce que ça change donc y sont RODES (.) ils sont rodés ils sont rodés

113 L. : NAN c’est pas ça c’est c’est parce que tu mets GO point d’interrogation (rire)

114 A. : ben y c’est jam- jamais 115 C. : C’est vrai tu mets euh

116 A. : nan je le mets p- je pourrais presque le mettre je pourrais presque je pourrais presque

le mettre oui oui oui je pourrais presque le mettre (rires)

117 L. : c’est CA c’est GO point d’interroGATION (rire)(.)nan mais c’est ça hein

21 GO = tâche de ramassage des « gros objets », ou des objets « encombrants »

195