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II.1 M ALADIE D ’A LZHEIMER

II.1.3 Présentation Clinique

Comme précédemment énoncé, le profil d’atteinte cognitive permettait jusqu’alors de définir si le profil clinique de l’individu correspondait à une forme typique ou atypique de la maladie d’Alzheimer. Présente dans 6 à 14% des cas, la forme atypique de la maladie d’Alzheimer se caractérise par une relative préservation des fonctions mnésiques, accompagnée toutefois d’une altération cognitive non mnésique (Dubois et al., 2014). Préférentiellement développées avant 65 ans, ces formes atypiques sont souvent plus agressives et présenteraient un profil neurobiologique différent de la forme typique (Lehmann et al., 2013; Ossenkoppele et al., 2016). Une atteinte des fonctions langagières serait alors le reflet d’une aphasie primaire progressive logopénique, alors qu’une atteinte préférentielle des fonctions exécutives et/ou comportementales définirait plutôt le variant frontal de la MA (Dubois et al., 2014). L’atrophie corticale postérieure, quant à elle, est définie par une atteinte des fonctions visuo-spatiales (Crutch et al., 2017). Ce variant sera notamment décrit en détail dans le

Chapitre V de ce travail.

La forme typique de la maladie d’Alzheimer est, quant à elle, définie par une atteinte initiale et prédominante des fonctions mnésiques. À moindre échelle, une atteinte des fonctions exécutives, gnosiques, praxiques et langagières peut également être rapportée. Ces atteintes cognitives sont généralement accompagnées d’atteintes psycho-comportementales telles que l’apathie, l’anxiété, l’agitation ou encore la désinhibition (Cerejeira et al., 2012). Au fil du temps, la progression de cette maladie va également impacter l’autonomie du patient dans sa vie quotidienne.

Troubles cognitifs

Une altération des fonctions mnésiques au premier plan

La maladie d’Alzheimer typique est caractérisée dans un premier temps par l’apparition d’une altération des fonctions mnésiques et plus spécifiquement par une atteinte de la mémoire épisodique (souvenirs associés à un contexte spatio-temporel particulier). Contrairement à la mémoire antérograde verbale, la mémoire épisodique est une mémoire à long terme des

événements personnellement vécus associés à leur contexte d’occurrence

(« quoi ? », « où ? », « comment ? ») (Tulving, 1972). La récupération d’un souvenir épisodique, associé à un état de conscience dit « autonoétique », implique la subjectivité du

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sujet ayant vécu le souvenir (Pause et al., 2013; Piolino et al., 2009). L’origine de ces difficultés semble provenir d’une altération de l’ensemble des processus inhérents à la mémorisation d’une information, à savoir les étapes d’encodage, de stockage et de récupération. Il a été proposé que cette altération de la mémoire épisodique serait sous-tendue par un déficit de nature hippocampique pouvant être objectivé en pratique clinique à l’aide de l’épreuve du Rappel Libre/Rappel Indicé 16 items (RLRI, (Dubois et al., 2014; Van der Linden et al., 2004)). Peu écologique, cette épreuve possède un avantage non négligeable, à savoir la vérification de l’encodage de l’information, nécessaire pour attester par la suite d’un trouble spécifique du stockage ou de la récupération. À l’aide de cette épreuve, il a notamment pu être mis en évidence une altération des différentes étapes de mémorisation dans la maladie d’Alzheimer (Fernández-Matarrubia et al., 2017; Sarazin et al., 2010). Une altération des processus d’encodage et de stockage sous-tendue par une atteinte des structures hippocampiques a notamment été mise en évidence (Sarazin et al., 2010). Cette épreuve ne prenant toutefois pas en compte l’épisodicité du souvenir (« Où » et « Quand »), il est plus juste de parler d’une évaluation de la mémoire antérograde verbale plutôt que d’une évaluation de la mémoire épisodique. Le processus de récupération, ou encore processus de recollection lorsqu’il est fait référence à la mémoire épisodique, nécessite un rappel contextualisé de l’information, à savoir l’ensemble des éléments associés au contexte d’encodage. Ce processus, à l’image des processus d’encodage et de stockage de l’information, est fortement impacté dans la maladie d’Alzheimer (Hudon et al., 2009; Pitarque et al., 2016; Rauchs et al., 2007) et ce, dès le stade MCI (Hudon et al., 2009; Pitarque et al., 2016; Wolk et al., 2008). Les régions impliquées dans ce processus de recollection, à savoir les structures hippocampiques (Wolk et al., 2011) et à plus large échelle le cortex cingulaire postérieur, le cortex rétrosplénial, le cortex pariétal inférieur, les noyaux antérieurs du thalamus et des corps mamillaires (Johnson et al., 2013; Kim, 2010; Ranganath et Ritchey, 2012; Rauchs et al., 2007) sont fonctionnellement et structurellement altérées dès les premiers stades de la maladie (Jones et al., 2016; Weiler et al., 2017; Zhan et al., 2016).

Afin de compenser ces déficits de recollection, il a été suggéré que ces patients se baseraient davantage sur des processus de familiarité. À l’instar du processus de recollection, le processus de familiarité est défini comme un phénomène automatique et rapide conduisant à une récupération de l’information sans rappel du contexte d’encodage. Le cortex périrhinal,

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considéré comme la région clé de ce processus, interagirait également avec le pôle temporal ventral, le cortex préfrontal dorsolatéral et le sulcus intrapariétal (Johnson et al., 2013; Kim, 2010; Ranganath et Ritchey, 2012; Rauchs et al., 2007). La préservation de ce processus de familiarité fait tout de même débat, laissant certains auteurs suggérer que ce processus serait altéré dès les stades MCI (Besson et al., 2015; Pitarque et al., 2016; Wolk et al., 2008), alors que d’autres en revanche rapportent une préservation de ce processus au début de la maladie (Hudon et al., 2009; Rauchs et al., 2007; Serra et al., 2010).

Une altération de ces processus mnésiques conduit à un amenuisement graduel de la mémoire autobiographique composée à la fois de souvenirs personnels sémantiques et épisodiques. Les souvenirs les plus sémantisés, à savoir les plus anciens, résistent mieux à l’effet de la maladie. Les souvenirs autobiographiques épisodiques sont quant à eux les premiers à être touchés (El Haj et al., 2017; Piolino, 2006). Une diminution de ce stock autobiographique peut ainsi participer à une rupture du sentiment de continuité du soi établi au cours du temps.

Une atteinte plus globale de la sphère cognitive II.1.3.1.2.1 Altération des fonctions exécutives

Les fonctions exécutives représentent un ensemble de fonctions cognitives permettant à un individu de s’adapter de manière appropriée aux nouvelles situations présentées. De nombreuses fonctions telles que l’inhibition, l’attention, les processus de mise à jour ou encore la flexibilité sont regroupées derrière ce terme. La maladie d’Alzheimer, dans sa forme typique, n’étant pas caractérisée par une atteinte exécutive initiale et prédominante, il n’en reste pas moins qu’une altération progressive de ces fonctions apparaîtrait dès les premiers stades de la maladie. C’est notamment l’équipe de Grady qui fut l’une des premières, en 1988, à reporter une atteinte de ces fonctions exécutives, et plus particulièrement des processus attentionnels à un stade débutant de la maladie (Grady et al., 1988). Dans une étude incluant 40 participants MCI visant à évaluer les 5 sous-domaines suivants : l’attention divisée, la mémoire de travail, l’inhibition, la fluence verbale et la planification, il a pu être mis en évidence que l’ensemble des participants présentait une altération des performances dans au moins un de ces cinq sous-domaines. Les capacités d’inhibition étaient reportées comme étant les plus impactées. En accord avec ces résultats, une récente méta-analyse suggère

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également que l’épreuve permettant de discriminer au mieux les participants MA des participants contrôles serait l’épreuve du Stroop1 (Guarino et al., 2019).

Le lobe frontal, et plus particulièrement le cortex préfrontal, a longtemps était considéré comme la région clé sous-tendant les processus exécutifs (Alvarez et Emory, 2006). Il a depuis été reporté une implication non négligeable des aires postérieures associatives et du cortex cingulaire antérieur dans le maintien de ces fonctions (Bettcher et al., 2016; Van der Linden et al., 2002; McCormick et al., 2006; Vasconcelos et al., 2014). Afin d’étayer ces résultats, de nombreux auteurs ont d’ores et déjà réussi à mettre en évidence, dès le stade MCI, des modifications de la connectivité fonctionnelle entre ces régions impliquées dans les processus exécutifs (Weiler et al., 2014; Zhu et al., 2016).

II.1.3.1.2.2 Altérations des fonctions visuelles et gestuelles

Contrairement à l’atrophie corticale postérieure, c’est à un stade plus avancé de la maladie que les patients présentant une MA typique développeront une atteinte des gnosies visuelles et des praxies (Galton et al., 2000). Ces déficits sous-tendus par une atteinte des régions occipito-temporales et occipito-pariétales sont ainsi le reflet d’un profil de dégénérescence neurofibrillaire touchant peu à peu les régions néocorticales postérieures (Johnson et al., 2016).

Troubles psycho-comportementaux

En sus d’une altération de la sphère cognitive, la sphère thymique est également touchée dans la maladie d’Alzheimer. N’étant pas présents dans le tableau principal, il n’en reste pas moins que les troubles émotionnels peuvent impacter l’ensemble des fonctions cognitives. L’apathie et la dépression font notamment partie des symptômes psycho-comportementaux les plus souvent reportés dans cette pathologie (Rosenberg et al., 2015). La présence d’apathie positivement associée à la durée de la maladie et à sa sévérité, va notamment induire une diminution de la réactivité face aux évènements environnants ainsi qu’une diminution de l’implication de la part du patient lors de la réalisation d’une tâche (Apostolova et al., 2007;

1 Conçu en 1935 par John Ridley Stroop, cette épreuve permet d’évaluer l’attention sélective et les processus

d’inhibition. Divisée en 3 parties, elle consiste à dénommer des noms de couleurs dont la couleur de l’encre est elle même différente du nom de la couleur à lire (Stroop, 1935).

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Robert et al., 2009). Ce phénomène a notamment été associé au cortex cingulaire antérieur et aux régions frontales dans la maladie d’Alzheimer (Apostolova et al., 2007). Il en est de même pour les processus émotionnels où les émotions, qu’elles soient positives ou négatives, vont jouer un rôle de catalyseur et vont faciliter ou au contraire perturber l’encodage ou la récupération d’informations.