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II.3 P HENOMENE D ’A NOSOGNOSIE DANS LA M ALADIE D ’A LZHEIMER

II.3.1 Concepts théoriques de l’anosognosie

Les premiers constats d’une absence de conscience vis-à-vis d’un déficit neurologique ont été rapportés par von Monakow en 1885 puis par Dejerine et Viallet en 1893 chez des patients présentant une cécité corticale. Cependant, à cette époque, ce phénomène ne fut pas considéré comme un phénomène à part entière mais plutôt comme faisant partie intégrante de la pathologie. En 1896 puis en 1898, Gabriel Anton apporta des descriptions plus détaillées et considéra cela comme un symptôme indépendant du dysfonctionnement neurologique (Anton, 1899). Ce ne sera finalement qu’en 1914 que le terme « anosognosie » (du grec -a-, « sans » ; nosos, « maladie » ; gnosis, « connaissance ») sera employé par Babinski pour décrire un « manque de connaissance de la maladie » de la part des patients. Si l’anosognosie fut initialement décrite chez des patients présentant une cécité corticale ou une hémiplégie, le terme est maintenant utilisé afin de relater l’absence de conscience de différents troubles neurologiques : sensoriels, moteurs, perceptifs, affectifs ou encore cognitifs (Antoine et al., 2004; Kotler-Cope et Camp, 1995). Ce phénomène est notamment rapporté à la suite d’une lésion cérébrale, d’un traumatisme crânien ou encore dans le cas de démences. Ces manifestations cliniques sont donc fortement dépendantes de l’atteinte considérée. Certains auteurs ont tout d’abord vu ce trouble comme un phénomène unitaire ne pouvant s’expliquer que par une absence ou une présence de conscience. Or, quelques années plus tard, cette conception de l’anosognosie fut revue en définissant celle-ci comme pouvant atteindre de manière spécifique un ou plusieurs déficits (Agnew et Morris, 1998; Gil et al., 2001; Morris et Mograbi, 2013). Dans le cas de démences, ce phénomène touche principalement le domaine cognitif avec une absence de conscience des difficultés mnésiques plus marquée chez les patients atteints d’une MA et une absence de conscience des difficultés exécutives pour les patients atteints d’une dégénérescence fronto-temporale (DFT).

En 1998, sur la base du modèle DICE (« Dissociable Interactions and Conscious Experience », (McGlynn et Schacter, 1989), Agnew et Morris définirent le modèle CAM (« Cognitive Awareness Model ») appliqué à la maladie d’Alzheimer (voir Figure 16). Revu plusieurs fois (Hannesdottir et Morris, 2007; Morris et Mograbi, 2013; Morris et Hannesdottir, 2004), ce modèle tente d’expliquer comment certaines étapes du fonctionnement cognitif pourraient conduire à ce phénomène d’anosognosie. Pour cela, les auteurs partent du postulat que la

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conscience qu’a un individu de ses connaissances et aptitudes résulte, lors de la réalisation d’une tâche, d’une comparaison entre les performances actuelles et les performances passées. Pour cela, 4 acteurs principaux entrent en jeu : la mémoire de travail/mémoire épisodique « Working/episodic memory », un mécanisme comparateur, « Cognitive Comparator Mechanisms, (CCMs) », une base de données personnelles, « Personal Database, (PDB) », et un système de conscience métacognitif, « Metacognitive Awareness System, (MAS)». Au cours de la réalisation d’une tâche, les informations vont dans un premier temps être stockées au sein du module de mémoire de travail/mémoire épisodique. À partir de ces informations, le mécanisme comparateur évoluant sous le contrôle du système exécutif va comparer les performances réalisées au temps « t », qui sont temporairement stockées en mémoire de travail/mémoire épisodique, avec les performances antérieures habituellement réalisées pour cette même tâche. Ces connaissances antérieures sont stockées au sein de la base de données personnelles et représentent l’ensemble des connaissances qu’a un individu vis-à-vis de ses compétences. Si les performances au temps « t » ne sont pas en adéquation avec les informations stockées dans cette PDB, celle-ci va se mettre à jour afin d’intégrer les nouvelles informations acquises. Ces changements de performances seront ensuite rendus conscients à l’aide du système de conscience métacognitif. La détection puis l’encodage de ces situations d’échec vont notamment être primordiaux afin que l’individu adapte son comportement aux situations futures (exemple : « Je me suis perdu pour aller au centre commercial alors que je connais pourtant bien la route. La prochaine fois il serait plus prudent de prendre le GPS. » (Morris & Mograbi, 2013)).

Selon ce modèle, 3 types d’anosognosies pourraient ainsi être distinguées selon le composant atteint : l’anosognosie exécutive, l’anosognosie mnésique et l’anosognosie primaire.

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Figure 16 : Modèle CAM (Agnew et Morris, 1998, et adapté de Morris et Mograbi, 2013)

L’anosognosie exécutive résultant d’une atteinte du mécanisme comparateur rendrait impossible l’évaluation de la cohérence entre les performances réalisées au temps « t » et celles contenues dans la PDB. L’anosognosie mnésique serait due à une absence de mise à jour de la PDB ne permettant pas l’intégration de nouveaux changements de performances pourtant bien perçus par le système comparateur. Enfin, l’anosognosie primaire toucherait uniquement le système de conscience métacognitive suggérant ainsi une préservation des sous-systèmes (exécutifs et mnésiques). L’individu est alors incapable de se rendre compte de la différence entre la performance produite au temps « t » et celle habituellement réalisée. Ce type d’anosognosie fait place à une conscience dite implicite. Compliquée à mettre en évidence, elle se manifesterait notamment par la mise en place de changements comportementaux et affectifs sans que l’individu ne puissent les expliquer.

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L’ensemble de ces mécanismes, et tout particulièrement le mécanisme comparateur, reste très sensible aux processus émotionnels. La révision du modèle CAM, en 2013 (Morris et Mograbi, 2013), permet notamment d’inclure cet aspect motivationnel/émotionnel souvent altéré chez les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer. Un patient apathique portera alors une attention moindre lors de la réalisation d’une tâche, rendant la détection de l’erreur et l’encodage de l’information moins performants (Rosen, 2011).