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II.3 P HENOMENE D ’A NOSOGNOSIE DANS LA M ALADIE D ’A LZHEIMER

II.3.4 Corrélats cliniques de l’anosognosie

Malgré le fait que certaines hypothèses sur l’origine de l’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer fassent plus consensus que d’autres, les substrats neuronaux de ce phénomène restent tout de même imprécis à ce jour. Mograbi et ses collaborateurs émettent l’hypothèse que cette absence de conscience de ses propres déficits cognitifs pourrait être attribuée à une absence de mise à jour de la base de données personnelles (Mograbi et al., 2009). Les nouvelles informations concernant un changement de performance ne seraient donc pas intégrées, conduisant ainsi le mécanisme comparateur à se référer aux performances précédant l’arrivée de la maladie. Les auteurs parlent alors de « soi pétrifié » (« Petrified Self »). Cette absence de mise à jour pourrait être d’origine multiple : exécutive, mnésique, émotionnelle.

Anosognosie et troubles cognitifs

Comme décrit précédemment dans le chapitre II.1.3.1, bien que la maladie d’Alzheimer soit caractérisée par une altération mnésique initiale et prédominante, le versant exécutif n’en

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reste pas moins altéré. Le lien entre ces troubles cognitifs et l’absence de conscience de ses déficits a donc été investigué mais les résultats de la littérature restent très hétérogènes. Certains auteurs mettent en évidence un lien entre la présence d’anosognosie et les troubles de mémoire antérograde verbale (Antoine et al., 2019; Starkstein et al., 2006) ou les troubles de mémoire épisodique (Salmon et al., 2006). Cependant les études mettant en exergue un lien avec les altérations mnésiques restent peu nombreuses. En 2013, Amanzio et al., étudièrent ce phénomène d’anosognosie chez 117 patients (MMSE entre 19 et 24) à l’aide du questionnaire AQ-D. Aucun lien n’a cependant été montré entre une altération de la mémoire épisodique, évaluée à l’aide du rappel d’une courte histoire, et le phénomène d’anosognosie. Les auteurs suggèrent ainsi que les troubles mnésiques ne seraient pas la cause de cette anosognosie mais viendraient uniquement l’entretenir. En revanche, à la suite de leurs analyses en composantes principales, ces auteurs ont mis en évidence le fait qu’une altération des fonctions exécutives, et plus particulièrement un trouble de l’inhibition, de la flexibilité et du self-monitoring, seraient de bons prédicteurs d’une absence de conscience. Un trouble de l’inhibition a également été mis en évidence par Kashiwa et al. (2005), à l’aide du test de Stroop. En revanche, aucun lien entre la flexibilité et l’anosognosie n’a été noté dans cette étude. Les études rapportant un lien entre les altérations exécutives et l’anosognosie sont ainsi plus nombreuses (Amanzio et al., 2011; Lopez et al., 1994; Tondelli et al., 2018) mais ne font toutefois pas l’unanimité.

L’estimation des performances congruentes à la tâche permet d’appréhender de façon plus précise l’aspect exécutif du phénomène d’anosognosie et plus particulièrement l’évaluation online du mécanisme comparateur. Une étude s’intéressant à ce mécanisme et très souvent citée dans la littérature est celle d’Ansell et Bucks (2006). Dix-huit participants contrôles et 18 patients souffrant d’une MA débutante ont été inclus dans l’étude. Une évaluation globale de la conscience a d’abord été réalisée à l’aide de l’échelle AMIS (« awareness of memory impairment scale »), remplie à la fois par le patient et l’aidant. Il leur a ensuite été demandé de prédire le nombre de mots qu’ils pourraient rappeler sur une liste de 10 mots, avant (prédiction pré-liste) et après (prédiction post-liste) que cette liste leur soit présentée. À la suite de la phase de rappel de la liste de mots, les participants devaient à nouveau estimer le nombre de mots qu’ils avaient pu rappeler (postdiction). Cette procédure a été réalisée pour 3 listes de mots après lesquelles il leur a été demandé de remplir à nouveau l’échelle AMIS

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ainsi que 20 minutes plus tard. Les auteurs ont ainsi rapporté que (1) les patients estimaient moins bien leurs performances avant la réalisation de la tâche que les participants contrôles, mais qu’ils étaient cependant capables d’ajuster leurs estimations post-tâche (un effet d’apprentissage au cours des essais est toutefois à noter) ; (2) que les patients avaient des difficultés à estimer leurs capacités cognitives dans la vie quotidienne (échelle AMIS) mais qu’ils étaient toutefois capables de généraliser leurs bonnes capacités de métacognition locale à un niveau global à la fin du bilan ; (3) cette précision tendait cependant à diminuer après un délai de 20 minutes. Ces résultats étaient ainsi plus en faveur d’une mauvaise consolidation de l’information issue du mécanisme comparateur plutôt que d’une altération de ce dernier. Afin de vérifier cette hypothèse, Stewart et al. (2010) ont reproduit sensiblement la même étude avec cette fois-ci un délai d’une heure et non de 20 minutes entre la réalisation de la tâche et l’estimation des performances. Tout comme Ansell et Bucks, les auteurs ont noté un ajustement de l’estimation tout de suite après la tâche. Cependant cette estimation revenait à un niveau basal après un délai d’une heure. D’autres auteurs ont également montré des résultats similaires avec une estimation online des performances effectives mais une absence de consolidation de ces informations (Mimura, 2008).

D’après Morris et Mograbi (2013), le phénomène d’anosognosie pourrait ainsi s’expliquer par une absence de mise à jour de la PDB sous-tendue par une altération des fonctions mnésiques. Alors qu’un trouble de la consolidation pourrait expliquer cette absence de mise à jour, une altération des processus de recollection pourrait également expliquer ce « soi pétrifié ». En effet, les patients n’étant pas capables de récupérer les souvenirs épisodiques autobiographiques, le processus de familiarité va alors prendre le dessus, faisant ainsi appel aux connaissances anciennes qu’ils ont d’eux-mêmes et qui ont déjà été sémantisées. Il reste tout de même une hypothèse principale qui pourrait expliquer une absence de mise à jour de la PDB : l’aspect émotionnel. La valence émotionnelle lors de la réalisation d’une tâche va en effet moduler l’encodage et la consolidation d’une information au sein de la PDB. De plus, si cette information n’est pas en adéquation avec le self à long terme de l’individu, il est possible que celle-ci ne soit alors pas conservée par le self de travail.

Anosognosie et troubles psycho-comportementaux

Des comportements désinhibés et dangereux ont souvent été rapportés dans la littérature chez des patients souffrant d’une MA et présentant une anosognosie (Migliorelli et al., 1995;

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Starkstein et al., 2007). Bien que cela ne soit pas rapporté par tous les auteurs, il n’est pas rare de constater que l’apathie et la dépression sont également deux facteurs étroitement liés au phénomène d’anosognosie. En effet, une dépression minorée associée à une présence d’anosognosie a souvent été rapportée (Conde-Sala et al., 2013; Kashiwa et al., 2005). Plusieurs auteurs ont également mis en évidence une apathie plus prononcée chez les patients MA anosognosiques. Les patients, n’intégrant pas ces changements de performances lors de la réalisation de certaines tâches, se heurtent perpétuellement aux mêmes échecs, entraînant alors une apathie (Starkstein et al, 2007). D’après Rosen (2011), ces modifications émotionnelles sont très importantes et pourraient moduler le self-monitoring (voir Figure 17). Un patient présentant une absence de motivation portera moins d’importance sur la tâche en cours de réalisation, le conduisant ainsi à une comparaison online moins efficace. En cas d’échec, la valence émotionnelle est généralement modifiée, permettant par la suite un meilleur encodage de l’information. Ces auteurs suggèrent toutefois qu’une absence de réaction émotionnelle à la suite d’une détection de l’erreur pourrait également participer à un encodage moins performant de l’information.

Figure 17 : Modèle du self monitoring adapté au phénomène d’anosognosie (d'après Rosen, 2011)

Dans une récente étude, Bertrand et ses collaborateurs (2016) se sont intéressés à cette valence émotionnelle et ont rapporté des résultats en accord avec la seconde hypothèse du modèle de Rosen. Un paradigme d’échec-succès a été mis en place pour cette étude, avec soit la réalisation d’épreuves mnésiques, soit la réalisation d’épreuves basées sur les temps de réaction. Les auteurs ont mis en évidence que le profil émotionnel était le même avant et après la réalisation de tâches basées sur les temps de réaction. Cependant, la situation de

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mise en échec lors d’une épreuve mnésique conduisait à une humeur négative chez le participant ainsi qu’à une amélioration de la prise de conscience de leurs difficultés.

L’ensemble des données présentées dans ce chapitre reflètent ainsi le manque de consensus sur les possibles origines de l’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer. Il semble donc que plusieurs causes puissent mener à l’émergence de ce phénomène et que les apports neuro- anatomiques soient indispensables pour tenter de comprendre pleinement la complexité de ce phénomène.