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3 Précautions épistémologiques et réflexion sur la place du chercheur dans la recherche

3.1.1 Interconnaissance (ou inter reconnaissance)

La notion d'interconnaissance ou le fait que les individus du groupe social étudié aient eu, ou continuent d'avoir, des liens entre eux est constitutive de ma démarche. Selon Stéphane Beaud et Florence Weber,171 « Les entretiens sont définis comme ethnographiques [parce que] recueillis auprès d'une population qui connaît un degré important d'interconnaissance... le chercheur est connu des personnes qu'il interroge...les entretiens sont reliés par un contexte commun ». Cette

définition s'applique à cette recherche, je me situe dans le cadre d'entretiens ethnographiques auprès d'individus qui entretiennent des liens entre eux ou en ont entretenus et ont partagé un même vécu scolaire. De plus, je connais une partie de ceux que j'ai interviewés avec qui j'ai aussi partagé une histoire.

3.1.2 L'impossible neutralité

Ayant été confronté à des critiques d'enseignants et de chercheurs mettant en cause la scientificité de la démarche méthodologique choisie, je souhaitais revenir sur le débat concernant la question de l'objectivité dans une recherche. Je souscris à l'argument de Stéphane Beaud pour qui « La neutralité de l'enquêteur est donc un

leurre méthodologique qui a partie liée avec une certaine forme d'idéologie professionnelle (de sociologues) car elle permet d'exhiber le principe de « neutralité axiologique », totem protecteur et emblème d'identification de la discipline, brandie à l'occasion contre les sociologues qui ne la respecteraient pas ».

Du fait de mon engagement au LPI, assurément la neutralité serait une imposture. Néanmoins, on peut poser la question de mon rapport au terrain. Cette interrogation est récurrente en sciences sociales puisque le chercheur est lié de près ou de loin à l'objet social qu'il étudie. Dans le cas présent la situation peut paraître plus complexe. Tout d'abord j'ai côtoyé la majorité des élèves qui font partie de l'objet

171 S. Beaud, F. Weber, Guide de l’enquête de terrain : Produire et analyser des données

de recherche, dans le cadre du lycée puisque j'y suis présent durant dix années de 1996 à 2005 soit, pendant les 2/3 de la période étudiée. Il est donc possible que j'aie pu avoir un rôle dans la construction des traces que j'ai choisies d'étudier.

Autre biais possible : l'empathie certaine des élèves à l'égard de la recherche menée, il suffit d'observer l'empressement de ceux-ci à être interviewés. Il y a donc un réel risque, dont j'ai essayé de me prémunir, que les anciens élèves aient tendance à s'exprimer dans le sens supposé que j'étais censé attendre d'eux. Il a donc fallu installer une distance nécessaire tant dans la collecte des données que dans leur interprétation. En revanche comme le précise Olivier Schwartz :

« certaines ressources décisives pour l'interprétation se forment à travers la familiarité gagnée avec un « terrain » et l'espèce de connaissance de l'intérieur qu'elle apporte d'un univers de vie et de pensée » 172.

L'entrée par un récit rétrospectif quelques années après la sortie du lycée autorise une réflexivité et une mise à distance que peut difficilement produire un questionnement immédiat sur une situation en cours. Si la situation peut sembler problématique au premier abord, les choses sont finalement assez claires car le cadre de la recherche et ma posture de chercheur impliqué dans l'objet sont définis en préalable. Lors de la présentation de mon travail, j'ai annoncé de façon explicite que mon objet était de savoir ce que les élèves étaient devenus et non pas de connaître le jugement qu'ils portaient sur leur scolarité, même si cette question m'intéresse.

Par ailleurs, le déplacement de l'objet de la recherche durant la phase de stabilisation du questionnement des élèves en cours de scolarisation vers ceux sortis de l'établissement, génère de fait une distance vis à vis de l'objet étudié. C'est d'ailleurs - mis à part le fait que la question du devenir prenne du sens dans la durée - un des éléments qui m'a conduit à choisir plutôt des élèves ayant quitté le LPI depuis plusieurs années. La dimension temporelle, le fait d'être passé du statut de lycéen à celui d'adulte favorise une prise de distance critique et le risque de réponse de complaisance est limité par la distance temporelle.

L'expérience montre que les lycéens en cours d'étude ainsi que ceux fraîchement sortis du lycée produisent des discours valorisant leur scolarité et

172 O. Schwartz. « Symposium sur Analyser les entretiens biographiques, L’exemple des récits

développent les plaidoyers les plus forts à l'égard du lycée et peinent à se détacher d'appréciations générales impersonnelles. En témoignent le discours des poissons

pilotes qui font visiter l'établissement aux familles et aux futurs élèves lors des

journées portes ouvertes ou le contenu des présentations faites par les élèves aux visiteurs de passage.

Si l'on peut regretter en choisissant des élèves ayant quitté l'établissement depuis plusieurs années de ne pas bénéficier d'indicateurs en cours d'étude sur les représentations des élèves envers leur propre scolarité on doit en revanche se satisfaire du gain d'objectivité et des nouvelles possibilités offertes par cette population d'anciens élèves qui nous permet d'envisager l'analyse du processus de construction identitaire sur plus de 20 ans.

Ces précautions énoncées, je ne suis pas dupe, la position de neutralité du chercheur par rapport à son objet d'étude n'existe pas, on ne gomme pas sa subjectivité, on en tient compte... Marie-Laure Viaud173 écrit après bien d'autres : «Un travail de recherche n'est jamais objectif et impartial. Ce qui assure la

scientificité, ce n'est pas de feindre une neutralité qui n'existe pas : c'est d'assumer la subjectivité de la construction du document en indiquant clairement « les conditions de chaque entreprise ». Je me suis donc attaché à préciser au mieux les

différentes conditions de recueil et d'analyse des données au cours de cette thèse.