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2.2 Du choix des récits de vie à la recherche biographique

Ayant fait le choix des récits de vie je me suis intéressés aux travaux de Christine Delory-Momberger qui s’inscrivent dans le courant qualitatif et herméneutique de la recherche biographique. En effet je partage ce choix de comprendre la place de la biographie dans la construction du sujet à travers les processus d’éducation, de formation et de socialisation et la nécessité d'explorer les formes et les significations des constructions biographiques selon les époques et les sociétés.

La liaison entre biographie et éducation développée situe le récit de vie comme prospective pour agir en rapport avec l'individu projet [en formation]163. Cette approche résonne particulièrement dans le contexte de ma recherche. Tout d'abord parce que des processus de biographisation sont à l’œuvre dans le projet collectif du LPI où la construction du projet personnel se fait dans l'aménagement de temps d'écoute et de parole entre élèves et adultes et entre pairs. Dans ces temps, les

161 P. Ricoeur, Du texte à l’action : essais d’herméneutique II. Paris : Ed. du Seuil, 1996. (cité par Bertaux Page 23)

162 C. Geertz. dans D. Cefaï, L’enquête de terrain, op. cit.

163 C. Delory-Momberger. Biographie et éducation : figures de l’individu-projet. Paris : Anthropos, 2003.

élèves "biographisent" leur expérience scolaire pour lui donner du sens, se positionner dans un groupe social, construire leur identité et leur projet personnel.

Il s'agit aussi dans ce travail où l'histoire de vie constitue la base du choix de la méthodologie de recherche de reconstruire a posteriori les itinéraires, les trajectoires biographiques des anciens élèves. Il est bien question ici de montrer comment cette formation, scolarité différente, s'inscrit dans une histoire et des projets de soi portés par les élèves qui interagissent avec le projet collectif - éducatif - de l'établissement scolaire. Ainsi l'approche biographique complète l'étude de la construction identitaire dans le contexte d'une scolarité différente.

Dans une communication intitulée : Être élève entre ritualisations scolaires et

construction de soi, 164 Christine Delory-Momberger précise les traits de son modèle

biographique de l'élève : "assurément central dans le fonctionnement scolaire. Il

recouvre à la fois une figure et un parcours : en tant que figure, la construction élève désigne un ensemble d’attributions et d’assignations qui définissent ce qu’est l’élève, ce qu’il doit faire et les conditions dans lesquelles il doit le faire ; en tant que parcours, la construction élève dessine une histoire, une trajectoire, un curriculum.

Pour ce qui est du parcours, la trajectoire idéale-typique de l’élève se présente comme une course d’obstacles à franchir et de « performances » à établir. De ce point de vue, le parcours biographique de l’élève est tout à fait conforme à une forme élémentaire de récit, où toute la question pour le « héros » – qui est forcément un guerrier, un combattant – est de « gagner » ou de « perdre », d’être victorieux ou d’être battu. Le « champ de bataille » de l’élève est le cursus scolaire, les épreuves qu’il doit affronter sont les étapes successives de sa scolarité – le passage d’une classe à l’autre, d’un niveau d’enseignement à un autre – sanctionnées par des contrôles, des interrogations, des examens, etc. Et sur cette course d’obstacles, la victoire et la défaite se jouent pour l’élève en termes de réussite et d’échec". Je

retiens le modèle biographique de l'élève comme figure et parcours en l'insérant dans le contexte de ma recherche puisqu'il s'agit ici d'établir des liens ou peut-être des ruptures entre ces parcours d'élèves et ceux qui vont suivre, d'étudiants, de

164 C. Delory-Momberger. Être élève entre ritualisations scolaires et construction de soi. Colloque « La recherche biographique aujourd'hui : enjeux et perspectives ». Université Charles de Gaulle, Lille 3, 18-19-20 mai 2011. http://evenements.univ-lille3.fr/recherche-biographique/? Programme_Scientifique A paraître dans les Actes du colloque.

professionnels, de parents, de citoyens, d'adultes...

2.2.1 Récits de vie et récits de formation

Hélène Bézille a montré que le récit de vie est un support pertinent pour l'élaboration des représentations et à ce titre un outil de formation. Des caractéristiques du récit de vie qu'elle a identifiées,165 je retiens les trois suivants :

Le premier énonce que : "le récit de vie mobilise chez les sujets un travail sur

les représentations qui orientent les choix de chacun et les dispositions à agir de telle ou telle manière". Le deuxième postule "qu'il constitue un outil d'analyse des processus d'orientation et permet de renouer les liens d'une histoire là où il n'y a que des ruptures, des liens sociaux, familiaux, milieux professionnels", enfin le troisième

avance "qu'il constitue un outil d'analyse des processus d'apprentissage".

Même si le travail sur les récits ne se place pas dans le cadre d'une formation,166 ces trois caractéristiques sont pertinentes pour ma recherche et représentent autant de parties du questionnement sur les trajectoires. Il va s'agir pour les anciens élèves de dire a posteriori ce qui a orienté leurs choix, d'établir des liens entre leur histoire/expérience scolaire et ce qu'ils sont devenus mais aussi d'essayer de dégager des éléments fondateurs dans un processus d'apprentissage et plus loin de construction identitaire.

2.2.2 La réalité des interviewés

De Daniel Bertaux167 j'ai retenu aussi la nécessité de préciser les termes d'un débat épistémologique sur l'idée de réalité, telle que définie par l'école de Chicago et déterminante pour le travail présent. Ainsi, à travers les récits de vie dans le cadre de ma recherche, je n'ai pas cherché à appréhender une réalité mais les réalités des interviewés ou, selon la fameuse formule de William Isaac Thomas168 :

« Ce phénomène des multiples perceptions d'une même réalité est fondamental : la

165 H. Bézille, Dynamique des identités professionnelles et sociales, cours de DESS à distance, Campus numérique FORSE, Université de Rouen/CNED, 2002

166 On reviendra dans la 4ème partie sur ce peut induire l'élaboration du récit pour les anciens élèves 167 D. Bertaux, L’enquête et ses méthodes, op. cit.

perception qu'un acteur élabore d'une situation donnée constitue pour lui la réalité de cette situation ; et c'est en fonction de cette perception, et non de la réalité objective que cherche à connaître le sociologue, que l'acteur social sera amené à agir. Même les perceptions les plus éloignées de la réalité sont « réelles dans leurs conséquences ».

Cette posture de recherche est essentielle dans cette thèse où je choisis de considérer à la suite de l'école de Chicago que c'est la perception d'une réalité par un individu qui le conduit à agir et non la réalité elle même. Elle légitime le recueil et l'analyse des récits de vie pour appréhender ce que les anciens élèves sont devenus à travers la perception qu'ils ont de leur propre histoire (trajectoire).

Pour prolonger ce questionnement épistémologique sur la réalité des interviewés, j'emprunte à Guy Michelat 169 quelques éléments de réflexion sur l'utilisation de l'entretien bien qu'il fasse référence à des entretiens non-directifs alors que mes récits sont « guidés ». Ainsi, de son analyse j'ai gardé comme fondamental l'intérêt, voire la nécessité, de s'attacher au singulier pour remonter au général : « Il

y a toutefois un paradoxe à s'adresser à des individus, dans leurs particularités, à travers leur vécu, leur personnalité, pour atteindre ce qui est social. En effet, à partir du discours des personnes interrogées qui expriment leur relation à l'objet social dont on leur demande de parler, notre objectif est de passer par ce qu'il y a de plus psychologique, de plus individuel, de plus affectif, pour atteindre ce qui est sociologique, ce qui est culturel ».

Dans cette recherche j'ai essayé aussi à partir des récits de vie ou récits biographiques, en passant parfois par l'intime, de déterminer des constantes ou des invariants de la perception de l'objet social LPI permettant par exemple de dégager une identité ou une culture commune qui pourrait s'apparenter à une culture d'établissement.

Ainsi en adoptant une démarche inductive je me suis placé dans une

169 G. Michelat. « Sur l'utilisation de l'entretien non directif en sociologie », Revue française de

perspective ethnosociologique170. Dans cette recherche biographique, le terrain, les données, le matériau d'étude sont constitués pour la majeure partie par les récits de vie recueillis, dont l'analyse permet de dépasser les évidences pour remonter à l'action comme on relèverait des indices, des traces (pour revenir à ce concept défini dans la partie précédente) qui renseigneraient à la fois sur le passé et le présent des anciens élèves du LPI

3 Précautions épistémologiques et réflexion sur la