• Aucun résultat trouvé

Chronique d’une opération

B.1. Un précédent : Golden Lane

L’idée de faire du site du Barbican un ensemble de logements s’inspire de la réussite de l’opération de Golden Lane, qui se trouve sur un terrain au nord du site du Barbican, le site de Bunhill Fields (pl. 31). Cette opération, tout comme le Barbican, a été portée par le conseiller municipal Wilkins et réalisée par Chamberlin, Powell et Bon. Il est intéressant de présenter brièvement cette opération dont certains dispositifs sont communs avec l’opération du Barbican Centre.

Golden Lane est une opération de logement d’un seul tenant de grande ampleur, qui s’appuie sur des sponsors publics. Début 1951, le Public Health Committee (PHC) dirigé par Wilkins avait permis à la City d’acquérir le terrain pour y développer un quartier de logements d’une densité de 80 personnes par ha, le maximum permis par le

County of London Plan. Suite à cela, le PHC décide de lancer un concours ouvert en

accord avec le RIBA en mars 1951190. Le concours pour l’opération de Golden Lane attire 178 propositions, dont celle des Smithson qui met en œuvre leur principe de «

street in the air ». La proposition lauréate est celle de Geoffrey Powell, qui s’associe

avec Chamberlin et Bon pour sa réalisation191.

La proposition de Powell pour le site de Golden Lane relève des principes d’implantation établis par Gibberd. L’ouvrage de F. Gibberd Town design, n’est édité qu’en 1953. Il est donc postérieur au concours de Golden Lane, mais rend compte d’une pratique à laquelle a pu être confronté Powell au sein de l’agence de Gibberd. Les préceptes énoncés dans cet ouvrage éclairent d’ailleurs la disposition des bâtiments adoptée par Powell. Le groupe et le vide défini par l’espacement entre les batiments sont bien deux éléments clés de l’opération. Les bâtiments de l’opération de Golden Lane forment plusieurs cours192 reliées visuellement entre elles. L’unité d’intervention, précise Powell dans sa conférence donnée à l’Architectural Association193, n’est pas

190 C’est le premier concours majeur en Angleterre depuis celui de Churchill Gardens en 1945. Celui-ci était un

concours pour une grande opération de logement à Pimlico et fut gagné par Philip Powell et Hildago Moya. Cette opération commence en 1950 et lance l’agence de ces deux amis de Geoffrey Powell, tout comme l’opération de Golden Lane lancera celle de Chamberlin, Powell et Bon.

191 Architectural Journal vol 115, n2977, 20 march 52 pp354, 358-62

192 Les quatre cours sont : la cour public, la cour ouverte sur la rue, la cour du centre communautaire avec son parvis,

la cour intérieure et la cour de « récréation physique ».

l’édifice mais « the plastic form of the scheme as a whole ». Peter Chamberlin développe cette réflexion dans un article sur la conception en trois dimensions

What I am concerned with is the design of a group of buildings in close proximity to each other as if they were a single problem design.194

Deux éléments caractéristiques de l’opération sont mis en avant par Powell dans sa conférence. Le premier est l’aménagement du sol sur deux niveaux195. En sous-sol, se

trouvent des jardins plantés en creux, accessibles mais pas traversés, ainsi que la circulation des véhicules et les parkings ; les piétons circulent au rez-de-chaussée. Le second élément mis en avant par Powell est le désir de former un paysage interne vers lequel se tourne l’ensemble des bâtiments de manière à ne pas dépendre de la qualité du contexte extérieur immédiat. Ces espaces « tournés vers l’intérieur » ont pour but d’intensifier le « sens de communauté ».

Ces deux éléments font de cet ensemble un precinct piéton. Powell n’emploie pas ce vocabulaire pour cette opération, alors que le terme « pedestrian precinct » sera employé pour caractériser le même dispositif appliqué au site du Barbican. Le Barbican Centre, qui contient une école possède un degré d’autonomie qui répond plus spécifiquement à la définition de l’unité de voisinage.

Powell n’adopte pas non plus dans cet article le discours sociologisant couramment employé dans les écrits des architectes britanniques à cette époque. Bien au contraire, l’argumentaire reste architectural. Il donne une description détaillée des principes distributifs des appartements, des matériaux de façade et des sols, de la polychromie et des problématiques de maintenance. En réponse à une question du public sur les liens que devraient entretenir l’architecte et le sociologue, sa réponse est : « more the

architect is left alone the better ». Pour autant, le projet de Golden Lane ne répond pas

moins aux préoccupations sociologiques des architectes de l’époque. Il conquiert le jury du concours par son caractère de village, bien que dense, doté d’une place centrale. Glendinning et Muthesius relient l’emploi du terme « village » à l’expression « urban

village » forgée par Elisabeth Denby et Ruth Glass, deux sociologues de l’urbain

investies dans les réformes du logement depuis la fin des années 30. L’expression

194 Cité dans Harwood, op.cit., Chamberlin « Architects approach to Architecture », RIBA Journal, vol 76 n°6 June

1969, p229-65

195 Ce jeu de niveaux est justifié par la nécessité de creuser le terrain que de violents bombardements avaient réduit

« urban village » est associée par les architectes à la capacité de l’immeuble de logement moderne à générer un sentiment de communauté. Elle peut aussi évoquer un nouvel idéal de vie dans la ville dense, idéal lié au concept de communauté. Dans les années d’après-guerre, l’expression se réfère plus spécifiquement, dans les discussions autour de l’urbanisme en Angleterre, à un degré ou un type de socialisation qui concerne un groupe important d’habitants196.

Les questions théoriques soulevées dans l’article de Powell, sont celles de l’urbanité, de la centralité, de la densité et de la programmation. L’une des obsessions de CPB est que leur opération soit « truly urban », aussi « urbaine » que des villes anciennes.

There is no attempt at the informal in these courts. We regard the whole scheme as urban. We have no desire to make the project look like a garden suburb. On the contrary, we want to make it look urban. Therefore, you will not find large areas of grass with informal groups of trees. The whole thing is rather rigid.197

ou encore :

[…] the scheme aims at being urban and does not pretend that it is out in the country. It has tried to be as urban as the City itself. 198

Les objectifs pour Golden Lane ainsi que pour l’opération du Barbican sont énoncés en termes de densité de logements par acre. Powell précise que le programme initial du concours sur un site réduit à 4,5 acres (1,8 ha), prévoyait : 315 appartements, un centre communautaire, des ateliers ainsi qu’un édifice pour le chauffage central. Le programme est revu en 1952 par Wilkin pour augmenter le nombre d’habitants sur le site de Golden Lane. Il s’agit de pouvoir loger 1400 personnes avec de plus petits appartements et d’augmenter ainsi la densité. En 1956, le projet se développe sur 7 acres199 (2,8ha) et comprend 550 appartements, 20 commerces, un pub, un restaurant,

196 Glendinning, Miles, & Muthesius, Stefan, Tower Block: Modern Public Housing in England, Scotland, Wales,

and Northern Ireland. New Haven: Published for the Paul Mellon Centre for Studies in British Art by Yale

University Press, 1994. Voir aussi Cupers, Kenny, “Mapping and Making …”, op. cit.

197 Architectural Assocaition Journal vol 72, n811, april 1957, p35

198 Ibid. Chamberlin, Powell et Bon rejettent la tradition des cités jardins en accord avec la vague de critiques du

début des années 1950 contre la faible densité des villes nouvelles et leur aspect suburbain. Pendant toute l’année 1953 se déroule en effet un débat parmi les architectes anglais autour des relations entre densité et urbanité. La densité est garante d’« urbanité » pour ses partisans, comme le montre la discussion sur la densité des villes nouvelles suscitée par l’Architectural Review. cf. Richards, J.M., « Failure of the new towns », The Architectural

Review, juin 1953, p28-32.

199 Le site de l’opération est étendu, dans un premier temps, en novembre 1952, à Baltic street, puis, dans un second

un « centre communautaire 200» (community centre), et d’autres édifices de services. C’est l’agence CPB qui suggère d’ajouter à ce programme des commerces et un pub, ce qui n’était en premier lieu pas envisageable. Associé à une place, le centre communautaire est conçu comme un hub ou un centre pour le site, précise Powell. En 1963, l’opération de Golden Lane complétée concerne 1400 habitants. A ce programme de logements201 s’ajoute : une piscine, un court de badminton, un bowling green, une garderie, une aire de jeux, le « centre communautaire » et une salle de club, des commerces et un pub. L’opération est ainsi une véritable unité de voisinage équipée en centre ville.

Le projet de Golden Lane de CPB est parfois présenté comme un projet pionnier pour le dispositif de maisonettes (duplex) superposées desservis par des coursives qui compose les barres de logements202. Cependant, CPB n’associent pas de réflexions théoriques à ce dispositif et c’est le discours théorique accompagnant le projet perdant des architectes Peter et Alison Smithson pour le concours de Golden Lane qui reste associé à la coursive pendant cette période en Angleterre203. Le projet des Smithson a en effet eu plus d’impact auprès des architectes que le projet lauréat. C’est au travers du projet pour Golden Lane qu’ils élaborent leur discours autour du terme “ré-identification”, c’est-à-dire la constitution de groupes qui ne soient pas arbitraire du point de vue spatial. Ils opposent leur notion de groupe spatial à la planification par unité de

voisinage en Angleterre ou au concept d’unité [d’habitation] de Le Corbusier qui

isolent arbitrairement à leurs yeux des parties du tout formé par la communauté urbaine. Ils proposent un emboitement d’échelles de communautés, associées à des échelles urbaines dont le plus petit élément est la maison et le second la rue, et vantent le caractère « organique » de leur structure par opposition à l’artificialité supposée d’une juxtaposition d’unités de voisinage arbitraires. « The reindentification should start with

200 Le « centre communautaire » permet de rassembler 180 personnes. Il comprend, d’une part, une scène, un

vestiaire, une cuisine, des toilettes et d’autre part, en sous-sol un club (réservé aux hommes), une salle de jeux et une bibliothèque.

201 Elle comprend 120 logements de deux pièces dans une tour, ainsi que six barres de logements de trois pièces en

duplex, appelés « maisonette » en anglais. Ces duplex sont distribués par 3 coursives. La tour de logements, qui faisait initialement 11 étages, est augmentée à 16 étages, ce qui en fait à l’époque le plus haut bâtiment d’habitations.

202 The Architets’ Journal, Decembre 29, 1960, pp. 931-942

203 Ils développeront par la suite dans leurs projets pour l’université de Sheffield et leur immeuble de logements pour

Robin Hood Gardens un dispositif d’accès aux logements par de larges coursives qu’ils dénomment “street” ou “decks”.

a renewal of the house-street relationship »204. Les fonctions de la rue sont associées à

la vie sociale et à la notion de communauté. Bien qu’à cette période en Angleterre, cette notion domine les sciences sociales abordant les questions urbaines, les recherches des Smithson sur des petites communautés spontanées précèdent, selon Glendinning et Muthesius205, celles des sociologues Young et Willmott, qui ont mis à la mode cette notion dans le milieu des architectes. En revanche, ces réflexions semblent faire écho aux réfléxions du LCC et des urbanistes praticiens depuis l’après-guerre. Communautés, emboitements d’échelles, groupements organiques sont autant de thèmes abordés par les plans étudiés précedemment. De même, les coursives et les

maisonnettes du projet des Smithson206 sont des éléments récurrents dans le logement collectif des années 1950. La coursive distributive et les maisonettes sont des thèmes du logement social dans les années 1950, comme le montre l’exposition « Live

Architecture Exhibition » du Festival of Britain (1951). Les opérations pilotes d’unité de voisinage du LCC présentées lors de cette exposition composent aussi avec une mixité de types de logements (duplex à coursives, appartement et maison). Au début des années 1950, le LCC construit, en effet, déjà dans l’Est londonien les premiers exemples de superposition de maisonettes distribuées par des coursives, sur le modèle de ce que faisait le LCC de la fin du XIXème siècle. Locaux collectifs, espaces extérieurs collectifs et coursives sont en fait des éléments traditionnels de l’histoire du logement social anglais. La coursive et le toit terrasse collectif apparaissent dès le XIXème siècle. La coursive est reconnue par les « modernes » comme une invention anglaise. Posener, dans son numéro de l’Architecture d’Aujourd’hui de 1935207 sur les premières expériences de logement social, voit l’origine de la coursive dans les réalisations de la « Société pour l’amélioration des conditions de vie des classes laborieuses » à Londres, avant les expériences du Familistère de 1859 ou de la cité Napoléon. Rappelons que le livre de l’architecte majeur de cette société, Henry

204 Alison et Peter Smithson, « An Urban Project », p54 205 Glendinning, Miles, & Stefan Muthesius, op. cit.

206 qui un dispositif commun, par exemple, aux immeubles de Roehampton Lane, construits par le LCC (1955-59),

souvent désignés comme la version anglaise de l’unité d’habitation, à la “rue dans les airs” de la proposition des Smithson pour le projet pour le concours de Golden Lane, au projet de I. Smith et J. Lynn pour le Sheffield City Architect’s Department (1953-57) qui s’inspire de ce dernier. Le « Cluster Block », de D. Lasdun (1952 et 1960) dissocie aussi les « cellules » de logements des circulations verticales auxquelles sont associés les services collectifs.

Roberts208, est traduit sur l’ordre de Napoléon III dès l’année de sa parution, et que ses principes sont aussi repris pour les « Prince Consort’s Model Houses » de l’exposition universelle de 1851209. Les premiers modèles de maison de l’exposition de Londres de 1851 introduisent des escaliers à l’air libre en façade que Roberts appelle « galeries »210. Ce dispositif se retrouve en 1895, dans l’ensemble Boundary Street area construit par le LCC à Bethnal Green211. La coursive devient un élément du type de logement collectif que le LCC met en place vers 1910212. C’est un immeuble en brique de 4 à 5 niveaux desservi par des coursives à l’air libre. Ces immeubles bénéficient de locaux collectifs (vide-ordure, buanderie, …) tout comme les modèles du prince Albert. Tout comme le projet des Smithson, ceux de CPB pour Golden Lane et pour le Barbican Centre, loin d’être uniques dans leur organisation répondent à des principes partagés et assimilés par les architectes urbanistes britanniques de l’époque. CPB, en revanche, se placent clairement dans la lignée de leurs prédécesseurs et plus particulièrement, de Gibberd. Ils composent avec l’unité de voisinage défendu par Abercrombie et Forshaw, dans le Dudley Report et le Housing Manual de 1944. Ces documents donnent des orientations pour organiser le quartier autour d’un centre communautaire et définissent les proportions de la surface des espaces extérieurs. Ils mettent aussi l’accent sur la nécessité de différencier les circulations motorisées et piétonnes.

L’échelle de Golden Lane reste cependant bien inférieure au nombre idéal de 5000 habitants pour une unité de voisinage selon Mumford. Elle correspond à une unité résidentielle, une « résidential unit » de 1000 établie pour le plan de Londres par Maxwell Fry en 1938. L’échelle du Barbican correspond elle à celle de Radburn qui comprend entre 7000 et 10000 habitants et aux unités de voisinage définies par Fry ou

208 Roberts, H., Des habitations des classes ouvrières, Paris, L’Harmattan, 1998, Première édition The Dwellings of

the labouring Classes, their Arrangement and Construction, Londres 1850

209 Gaskell, S.M., Model Housing from the Great Exhibition to the Festival of Brittain, London, New York, Mansell

Publisher, 1987

210 Ces galeries desservent, dans un premier modèle de 4 logements sur deux étages, les deux appartements

supérieurs. L’entablement continu donne à l’ensemble l’aspect d’une grosse maison avec une grande baie centrale à loggia. Un deuxième modèle, à Streatham Street dans le quartier Bloomsbury, est un immeuble de 5 étages, à l’angle de deux rues, dont les 9 appartements par étage sont desservis sur cour par une longue galerie.

211 Une galerie ouverte distribue 4 logements. La cage d’escalier, associée aux pièces d’eau partagées, est traitée

comme une tour derrière laquelle filent les coursives ; elle se désolidarise du bâti.

212 Panerai, Ph., avec François, D.J., Boudier, D., L’Architecture Anglaise de l’habitat. Reflexion sur les éléments d’un habitat industrialisé, 1974, rapport de recherche (non publié) pour le compte de la Société Saint Gobain

Abercrombie et Forshaw213. Une seconde différence notable entre Golden Lane et le Barbican Centre est l’importance des équipements présents sur le site. Golden Lane accueille des équipements de quartier alors que le Barbican Centre accueille des équipements métropolitains. Ces deux opérations sont en revanche, de part les contraintes de leur implantation, parmi les rares cas de logements compacts répondant aux critères établis pour du logement social et destinés à une classe sociale aux revenus moyens ou élevés.