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Le rôle de programmiste de Chamberlin, Powell et Bon

Chronique d’une opération

B.2. Le rôle de programmiste de Chamberlin, Powell et Bon

Entre 1952 et 1953 le Public Health Committee (PHC) soumet à la Corporation des rapports qui mettent l’accent sur la nécessité de revitaliser la population résidentielle (la

civic administration) et son électorat dans la City. Ils soulignent aussi les difficultés

qu’auraient la corporation et, plus encore, les promoteurs privés à prendre en charge le developpement de terrains pour du logement. En 1955, le ministre du logement Ducan Sandys approuve le Country of London Developpement Plan tout en soulignant l'insuffisance des terrains alloués au logement par le LCC dans la zone centrale de Londres. Ces propos renforcent les démarches du PHC auprès de la cour, de même que les attentes de la presse en faveur du logement.

A lively Population : What a difference it would make to the City if within the Square Mile and in neighbouring Boroughs it had a lively population that would make full use of the many aminities available. … 214

En 1955, le Public Health Committee demande alors au secrétaire de mairie, E.H. Nichols, d’examiner plus en détail les possibilités de développement du logement dans la City. Fort du succès de Golden Lane, le PHC sollicite Chamberlin, Powell et Bon pour conseiller E.H. Nichols sur la possibilité d’offrir des logements à un grand nombre de personnes souhaitant payer un faible loyer. CPB remettent le 3 juin 1955 un compte- rendu dactylographié de 21 pages, signé par Peter Chamberlin, dont les conclusions seront en novembre 1955 opposées par Wilkins à celles du LCC et de Mealand, le

planning Officer de la Corporation, et à celles du New Committee. Le compte rendu, qui

définit un programme et évalue le financement de l’opération, s’accompagne d’une

213 Ibid. p97

214 LMA/CLA/072/01/12/ Financial Times du 31 janvier 1955, cité dans Redevelopment of the Barbican Area, report

proposition d’implantation du programme sur le site des 25 acres du Barbican. Cette proposition est illustrée à l’aide d’une maquette d’ensemble, d’un plan masse à une échelle équivalente à celle du 500e (44fpi) et le détail d’appartements types.

Dans ce compte rendu, Chamberlin, Powell et Bon se posent deux questions essentielles : Comment attirer une population pour habiter la City, et comment financer le coût du terrain ? Leurs conclusions pour la dimension financière sont que les profits espérés ne sont pas suffisants pour intéresser un promoteur privé, mais qu’ils sont suffisants pour un investisseur à long terme comme la Corporation, et qu’ils justifient donc que celle-ci engage des fonds. En 60 ans, l’investissement sur le site et le bâtiment sera remboursé. L’objectif affiché est donc que cette opération soit auto-financée. Pour atteindre ce résultat, les architectes mettent en avant quatre contraintes : une échelle suffisamment large, un nombre suffisant d’activités engendrant des revenus, une attention portée à la qualité du plan et des bâtiments, afin d’assurer la continuité de la demande sur l’ensemble de la période de prêt, et enfin l’exigence que les bâtiments soient construits rapidement.

Le coût du terrain est une donnée importante lorsqu’il s’agit d’y attribuer des logements à loyers modérés. Concernant cette première contrainte, Chamberlin, Powell et Bon supposent qu’une augmentation de la densité est possible en préservant l'essentiel des « physical amenities ». La densité maximum permise par le County of London Plan est de 200 personnes par acre. Les architectes étudient l’hypothèse d’une densité de 300 personnes par acre, en précisant que celle-ci est moins importante que celle de l'habitat des classes bourgeoises d’avant-guerre dans les quartiers centraux.

Un deuxième élément pour réduire le coût du terrain est d’introduire des activités qui génèrent du revenu : commerces, restaurants, bars, hôtels, garages. CPB mettent en avant les avantages financiers liés à la présence d’une population importante, qui induit une demande importante pour les commerces et les garages, ce qui aura pour conséquence d’augmenter le prix du loyer de ces activités. Ils proposent d’inclure des activités de services, mais aussi des commerces de semi-luxe pour les acheteurs du midi.

Pour attirer les habitants, Chamberlin, Powell et Bon mettent en avant l’échelle de l’opération et son caractère urbain. Pour eux, l’opération doit ainsi se fermer à son contexte immédiat, et favoriser une ambiance urbaine, c’est-à-dire dense, plutôt que suburbaine. Elle doit aussi s’adresser à une classe relativement aisée, contrairement au

souhait de départ du PHC. Ils expliquent que les 25 acres (10,11 ha) du terrain offrent la possibilité de créer un quartier résidentiel de 7000 personnes. Ils constituent donc une surface suffisamment importante pour inclure des espaces extérieurs plantés, des commerces et des équipements de loisirs, et pour offrir un plan masse « sympathique ». De leur point de vue, les locataires qui seraient prêts à payer un cinquième de leurs revenus pour habiter dans la City attendent qu’il leur soit offert certains équipements pour ne pas être confinés entre les murs de leur maison. Pour répondre à ce besoin, l’opération doit comprendre un parking de 2000 places (500 places pour le public et 1500 pour les résidents), être un espace exclusivement piéton, comporter un chauffage collectif et des vide-ordures, proposer des activités sportives et culturelles. Les équipements culturels proposés comprennent une salle de concert, un théâtre ou un cinéma, ainsi qu’une petite salle d'exposition. Et même si ces équipements n’étaient pas justifiables commercialement, la City devrait tout de même intégrer ces services pour le succès de l’opération, afin de donner un certain « cachet » à l’entreprise, argumentent les architectes.

Ces derniers comparent cet ensemble à Dolphin Square, un ensemble spéculatif des années 30 comprenant une piscine, un terrain de squash et une cours, dessiné pour 3000 personnes et occupé entièrement en un temps raisonnable après sa construction.

Le nouveau bâtiment pour l'école de musique de Guidhall, proche de l'église, doit également contribuer à la vie culturelle de cet ensemble résidentiel. Les architectes proposent une petite salle de concert pour l'école de musique ainsi qu’un petit théâtre, qui pourraient servir aussi bien aux deux écoles qu’ils proposent d'inclure dans cet ensemble qu’aux logements. Les salles sont ainsi valorisées par la présenece de nombreux résidents, qui sont une audience potentielle, et peuvent aussi être louées. Comme équipements sportifs, ils suggèrent d’intégrer piscine et court de Squash, qui sont deux équipements populaires et rentables de l’opération de Dolphin Square. La piscine qui est prévue dans cette première proposition sera finalement incorporée à l’opération de Golden Lane. Ils considèrent aussi, sans tous les valider, de nombreux autres programmes qui leur sont suggérés : reconstruire de Temple bar au sein de la City, inclure le Weight and Mesure Department, la City Greenyard, incluant le bassin, les bâtiments abritant le Lord Mayor, Sheriff Chariots et State Coach, des garages, des ateliers et des écuries pour la police de la City, une salle de conférence en lien avec la défense civile.

Les considérations de CPB pour l’implantation du progamme sur le site mettent l’accent sur trois points essentiels : le développement d’une opération mixte, logement et bureaux, le caractère urbain du développement et la nécessité d’offrir des logements exceptionnels. Les appartements doivent avoir un caractère exceptionnel sinon unique, non seulement pour des raisons commerciales mais également pour le prestige de la City.

Chamberlin, Powell et Bon soulignent aussi que la taille de l’opération offre l’opportunité de créer un quartier résidentiel avec un caractère et une identité propres, au milieu de la vie active et commerciale de la City, qui lui est ainsi complémentaire. Envisagé à cette échelle, il y aura toujours une demande pour ces logements et pour le type d'environnement qu'il est possible de créer autour de St Gilles. L’opération se doit d’avoir un caractère urbain, même en tant que quartier résidentiel. Il s’agit, pour les architectes, d’éviter l’apparence de la suburbia. La création d’un sentiment réellement urbain est ainsi présentée comme une qualité. Dans sa composition, le plan doit être plus fermé qu’ouvert, en opposition à l’informalité si caractéristique des opérations d’«‘open’ planning » contemporaines du bâtiment, le plan ouvert s’apparentant aux compositions modernes des logements sociaux.

L’ensemble est ainsi conçu comme un ‘pedestrian precinct’. La création d’un square autour de l’église St Gilles se fait à travers la disposition de commerces, de restaurants et de l’école de musique, de manière à « enclore » cet espace ouvert. Le centre commercial prend la forme de deux rangées de commerces protégés par des arcades, associées à des cheminements piétons. La logique du precinct induit de fermer toutes les voies existantes et de maintenir la circulation des véhicules à la périphérie du site ou sur les voies souterraines qui donnent accès aux garages et aux ascenseurs. Les architectes vantent la création de cet ‘oasis free from traffic’ comme un attrait pour les résidents et pour les travailleurs de la City. Cette disposition les encouragerait, selon eux, à prendre des raccourcis au travers de l’ensemble de logement, une pratique, précisent-ils, qui constitue le charme de la City avec ses nombreuses allées piétonnes. Le dessin d’un precinct est conforté dans cette première proposition de 1955 par les espaces extérieurs qui prennent en périphérie la forme de fossés plantés, séparant ainsi le développement résidentiel du trafic, comme le fossé autour de la tour de Londres.

CPB ne remettent pas en cause la proposition du LCC pour un ensemble de tours de bureaux le long de la voie 11 qui forme la limite sud du terrain, ni leur implantation perpendiculaire à la rue. Bien au contraire, ils préconisent d’inclure des tours d’appartements pour former une couronne en périphérie de l’opération et d’édifier une quatrième tour de commerces au croisement de la voie 11 et de Aldersgate. Cet anneau de bâtiments hauts donnerait, selon les architectes, une cohérence immédiate à l’ensemble de l’opération. Les tours et la compacité de l’ensemble permettent d’inclure une surface importante d’espaces extérieurs. Les espaces extérieurs communs sont de trois types :

- les fossés plantés d’herbe qui séparent le développement résidentiel du trafic et dégagent le pied des tours ainsi que de trois rotondes de logements placés en périphérie ;

- une grande place minérale autour de St Gilles ;

- les cours des logements auxquelles on accède par des arcades.

Les deux tiers des logements forment un maillage de cours fermées à gradins. Les bâtiments font quatre étages et sont posés sur un parking en sous-sol. Les architectes insistent sur l’atmosphère collégiale des cours : secluded cloistered atmosphere

characteristics of Albany and the Inns of Court. Tous les logements sont traversants et

ouvrent, à l’intérieur de ces cours, sur des terrasses privatives. Ces généreuses terrasses, qui peuvent être plantées, compensent l’absence de jardin. Ce dispositif de cours et son principe de compacité sont associés à celui de Hilberseimer pour Chicago, un lotissement de maisons à patio tiré de The new City, dans un article d’AD de 1956, intitulé « Urban High Density Housing ».

While many designs for high blocks of flats have been developed in detail, economically planned low ‘carpet’ development is less familiar and the accompanying layouts deriving from Hilberseimer’s thesis are interesting for their illustration of high density achieved within the limits of a low overall height. 215

Comme on le voit, Chamberlin, Powell et Bon ont endossé pour cette étude le rôle de programmistes. Leur réponse aux demandes du PHC n’est pas une simple proposition formelle. Ils ont reconsidéré les termes et les données du problème qui leur était posé. Chamberlin explicite ce point essentiel dans un article du RIBA Journal :

My approach to architecture… is to search for the solution within the problem ; the problem being to provide [an] environment for a specific human activity with the resources available, both physical and financial. 216.

Cette logique de « problem solving » est un élément fondamental du travail de CPB et, au-delà, de l’approche des tenants de l’urban design. Dans cette approche, la conception d’une opération ne sépare pas la formalisation spatiale de la question du programme et de celle du financement. Les architectes sont mandatés pour réfléchir sur la faisabilité du projet, aussi bien financière que programmatique.

C’est sur la base de l’étude de juin 1955217 que le PHC et Eric Wilkins défendent en novembre 1955218 la faisabilité d’une opération de logements sur le site. Les critiques formulées par Wilkins à l’encontre du projet Martin/Mealand tiennent avant tout à une mauvaise prise en considération des besoins réels de la City, qui sont entièrement négligés ou sous-estimés par le Planning Department de la Corporation (ITPC)219. Le projet Martin/Mealand propose d’occuper le site majoritairement avec des bureaux et des commerces, et ne laisse que 13 acres pour les logements, et ceci seulement afin, selon Wilkins, d’amadouer le ministre. La surface allouée au logement est à peine plus de la moitié de celle proposée par le Public Heath Committee. Les terrains contigues à l’opération de Golden Lane, au nord du Barbican et les terrains le long de Goswell Road s’ajoutent à ceux de part et d’autre de la nouvelle voie 11 pour la construction de bureaux. Le plan Martin/Mealand limite ainsi la construction de logements à des terrains en cœur d’ilots définis par des voies importantes. Il s’agit selon Wilkins d’implanter ces logements sur un terrain qui n’aurait pas attiré les développeurs potentiels de bureaux et de commerces. Leur plan envisage une opération comprenant des immeubles de bureaux de 2 à 27 étages. La zone résidentielle située autour de St Gilles loge, selon des standards de 200 par acre, 2650 personnes. Contrairement à la proposition de CPB, les programmes de commerces, restaurants, garages pouvant générer des revenus pour l’opération de logements sont exclus de la proposition

216 Cité dans Harwood, op.cit., Chamberlin « Architects approach to Architecture », RIBA Journal, vol 76 n°6 June

1969, p229-65 ; ‘Chamberlin Powell and Bon’ in Muriel Emanuel ed. Contemporary Architects, London, Macmillan, 1980, p148 ; ‘Men of the year 1952’, Architect’s Journal vol 177 n°3020, 15 jan 1953 p. 72

217 LMA/CLA/072/01/ CPB, Etude adressée au Town Clerk datée du 03 juin 1955

218 LMA/CLA/072/01/4/ Court of Common, 17 novembre 1955

Martin/Mealand. Aux yeux de Wilkins, le projet que propose d’adopter l’ITPC est un projet qui conçoit la zone nord de la voie 11 comme un eldorado pour de potentiels promoteurs et favorise tout particulièrement l’un d’entre eux, Mr. Charles Clore, de la compagnie Prince of Wales Properties, qui désire développer des bureaux sur un site dédié au logement.

Wilkins affirme lors de la réunion du conseil le 3 novembre 1955 que, contrairement au projet Martin/Mealand, celui de Chamberlin, Powell et Bon prend bien en compte les besoins de la City220. Ce plan est le seul à démontrer la faisabilité de l’implantation d’un grand ensemble de logements au cœur de la City. Le plan de Chamberlin, Powell et Bon est présenté comme celui de la Corporation, le plan de Martin/Mealand comme celui du LCC.

Du côté adverse, les critiques de la proposition de CPB portent avant tout sur la pertinence d’une opération de logements sur le site. Il serait moins risqué et plus profitable de proposer un développement commercial. Aux yeux de ses détracteurs, le caractère résidentiel recherché dans la proposition de CPB crée un risque supplémentaire, en limitant le type de programmes qui pourraient s’y implanter si l’opération ne parvenait à attirer des locataires. Le dessin du projet apparaît trop dense et les espaces ouverts peu nombreux. Le principe de precinct et la densité de 300ppa pourraient avoir de lourdes conséquences sur le trafic dans cette zone. Quant aux parkings en sous-sol, ils sont également critiqués pour leur étendue qui induit des déviations de réseaux importantes. Enfin, l’estimation du coût de construction apparait trop basse aux détracteurs de CPB, tandis qu’ils jugent surestimés les revenus des loyers. La première esquisse est donc refusée par le LCC, qui juge, en substance, le site projeté trop dense et doté d’un nombre insuffisant d’espaces publics.

Wilkins obtient néanmoins de la cour l’autorisation officielle pour le Special Committee de faire appel à des recommandations professionnelles afin d’élaborer une étude contradictoire à celle de Martin/Mealand. Les architectes des deux parties amendent leur projet en conséquence et le développent en trois dimensions. Le LCC et la City travaillent sur un plan commun révisé. Le plan de CPB intègre quant à lui des passages

et des cours en contrebas, prolongeant ainsi les propositions de Holden et Holford pour des passages piétons. Ils s’associent à un agent immobilier ayant l’expérience de la location d’appartements, Goddard and Smith, pour les estimations financières. Ils s’entourent des économistes Davis, Belfied et Everest, d’un ingénieur structure, Ove Arup, et font appel à H.J. Knox pour les questions de chauffage et d’évacuation des déchets ménagers. Ove Arup et H.J. Knox avaient aussi été impliqués dans le projet de Golden Lane. Ils mettent ainsi sur pieds une équipe pluridisciplinaires et affinent la programmation de l’ensemble. Un rapport imprimé et une maquette de leur proposition sont présentés à la cour en mai 1956.