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Chronique d’une opération

B.5. Le Barbican Centre

Le Barbican Centre est exceptionnel par son échelle et son programme. L’opération comprend environ 2100 logements pour 6500 habitants répartis entre trois tours de 43 étages, ce qui en fait les plus hauts bâtiments résidentiels d’Europe de leur époque, et un groupe d’immeubles de six étages organisés autour de grandes cours paysagées. Elle contient un lac et des chutes artificielles, une grande pelouse et des jardins en creux plantés. L’ensemble est construit au dessus d’un podium piéton qui comprend les services et les équipements. Le principe de surélévation avait pour objectif d’offrir un lieu d’isolement, un espace public pour le temps du repos dans un quartier actif. Les tours profitent d’une galerie périphérique qui sert de balcon pour les appartements et d’accès à l’escalier de secours. Les murs des façades extérieures sont porteurs. Initialement conçus comme devant former une résille structurelle périphérique, ils acquièrent leur dessin final suite aux recommandations d’Ove Arup, l’ingénieur structure, qui suggère d’utiliser des poutres périphériques de grande hauteur. Celles-ci deviennent les éléments de parapet caractéristiques de l’opération. Si l’opération est souvent apparentée au brutalisme, ses architectes n’ont pas revendiqué cette filiation et ne faisaient pas partie des groupes d’avant-gardes anglais qui ont porté ce mouvement à la fin des années 50. Bien que le dessin des parapets ou des attiques s’inspire de façon évidente des formes corbuséennes, l’usage du béton brut découle simplement de l’intérêt des architectes pour la construction. Les premières esquisses proposaient une structure avec remplissage, favorisant des méthodes de préfabrication à grande échelle. L’ensemble devait aussi, à l’origine, être revêtu de carreaux de marbre blanc. Mais l’ingénieur Ove Arup propose, à la place d’une structure en béton précontraint, que l’ensemble de l’opération soit réalisée en béton coulé sur place, notamment pour réduire son coût. Les architectes choisissent alors une finition en béton pour les parties émergentes du podium et un revêtement de céramique pour les espaces publics au centre de l’opération. Le béton est constitué d’agrégats de granit qui permettent une finition bouchardée, responsable de la couleur sombre du bâtiment les jours de pluie. Dans les tours de logements, chaque niveau est occupé par trois appartements de 4 ou 5 pièces. Les bâtiments de six étages abritent soit des logements traversants de 3 ou 4 pièces très profonds soit des logements en duplex desservis par des coursives latérales ou internes aux bâtiments.

et de salles de bain ventilées mécaniquement pour obtenir une compacité plus importante au profit des espaces extérieurs. Les cuisines sont également pensées comme des espaces minimum et efficaces : réfrigérateurs, fours, lave-vaisselle sont intégrés au plan de travail et l’ensemble est préfabriqué hors site. Un dispositif de lavabos à broyeur est relié à un système de centralisation des ordures ménagères de manière à limiter les ordures au sein de chaque appartement245.

Entre 1960 et 1969, quatre événements ralentissent le déroulement du projet. Tout d’abord, la mauvaise qualité du sol engendre des difficultés pour couvrir les voies de chemin de fer qui traversent le site. Leur tracé sera rectifié et les rails seront montées sur caoutchouc afin de limiter les vibrations. En 1961, le projet est aussi retardé par un désaccord avec le LCC concernant les cuisines en second jour. Alors que pour CPB ces éléments techniques de confort garantissent un loyer élevé, le LCC craint que ces pièces fermées ne sachent répondre au besoin quotidien de la ménagère qui y passe une grande partie de son temps246. Un compromis est trouvé, sur la base d’un appartement témoin, par l’ouverture des cuisines sur les séjours. Cette critique sociologique restera attachée à l’opération du Barbican. A la livraison du bâtiment, en effet, l’Architectural Review accusera la Corporation d’avoir construit du « logement subventionné pour les riches 247».

Le chantier des bâtiments de logement commence en 1963, mais trois ans plus tard, en 1966, une grève très importante se déclare au sein de l’entreprise de construction, arrêtant les travaux pendant un an. L’entreprise quitte ainsi le projet en 1968, pointant le coût de la grève, mais aussi les exigences de qualification trop élevées pour ses ouvriers. La Corporation est accusée d’avoir sous estimé l’ampleur de la mission. Enfin, en 1962, le rattachement de l’école au centre d’arts est remis en cause. Le programme du centre fera l’objet de discussions pendant une dizaine d’année. Anthony Besh, qui est invité à diriger le centre d’art, visite en compagnie de Peter Chamberlin les nouvelles salles de concerts en Europe et aux Etats-Unis et formule un certain

245 Heathcote, David, Barbican: Penthouse Over the City. Chichester, West Sussex, England: Wiley-Academy, 2004

246 Tatsuya Tsubaki (2012) : ‘Model for a short-lived future’ ? Early tribulations of the Barbican redevelopment

inthe City of London, 1940-1982, Planning Perspectives, 27 :4, 525-548

nombre de recommandations concernant la taille des salles et leur performance visuelle et acoustique. La salle de concert s’agrandit alors pour accueillir un orchestre en résidence et le théâtre pour accueillir une compagnie. En parallèle les programmes de la galerie d’art et de la bibliothèque sont également élargis (pl.36). En 1974, lorsque l’ensemble résidentiel est complété, le coût du développement, initialement estimé à 17 millions de Livres en a coûté plus de 70. Le centre culturel en coûtera encore 150 de plus.

Le centre d’art correspond à la dernière phase de l’opération et doit s’inscrire sur un site restreint. L’insertion du centre d’art se fait ainsi en grande partie sous le niveau du podium. La salle de concert est enfouie dans l’épaisseur du podium sur une hauteur de 5 niveaux. La salle de concert compose avec un revêtement de différents types de bois et des fauteuils de cinq couleurs différentes, contrastant fortement avec le béton du foyer. Elle propose un espace horizontal, tandis que la salle de théâtre, profondément enfouie dans les niveaux du podium elle aussi, se développe verticalement. Cette dernière est taillée sur mesure pour la Royal Skakespeare Company (« RSC »). Les objectifs assignés à la salle conçue par Chamberlin, Powel et Bon, en collaboration avec John Bury, qui dirige le RSC et intervient comme consultant sur l’opération, sont de fournir le maximum de places dans un espace limité et de favoriser le contact entre le public et les acteurs. Aussi la distance entre la scène et la dernière rangée de fauteuils ne dépasse-t-elle pas 20 m et l’acteur peut-il voir tous les visages des spectateurs sans avoir à bouger la tête. La salle de cinéma est enfouie au niveau le plus bas du podium, celui des stationnements. Cette salle peut aussi servir de salle de conférence, puisque le programme développe cette fonction pour le centre ; elle est donc équipée de cabines de traduction.

Seules la galerie d’art, la bibliothèque, l’entrée du foyer et les serres sont visibles de l’extérieur. Etant au cœur de l’opération et partiellement enfoui, le centre d’art pose un problème d’accessibilité. Pour les piétons, l’accès au foyer du centre d’art se fait depuis le podium, devant le lac. L’accès des voitures et des taxis s’effectuent par la voie souterraine. Cette complexité des circulations est un thème architectural pour le foyer, qui compose avec différents dispositifs : superposition d’escaliers, double hauteurs, espaces compressés, de manière à créer des perspectives à plusieurs points de fuites comme dans la perspective piranésienne. La bibliothèque, visible depuis la terrasse du lac, revêtue de carreaux blancs, bénéficie d’un très bon éclairement naturel. La galerie

d’art, au premier étage, se développe sur deux niveaux. Elle s’ouvre sur un jardin en creux, qui sert de « cour de sculptures ». La serre, quant à elle, est un jardin d’hivers, avec restaurants et cafés.