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Hook New Town et l’urban design

A.2. Des évolutions du town design

Il est clair que l’approche revendiquée dans l’ouvrage relève plus d’une discipline émergente, l’urban design, que de la composition urbaine. Tout d’abord, le projet vise une forme de complétude, abordant aussi bien les questions de paysage, de démographie et de relations sociales, d’économie de la construction et de programmation, de réseaux et de gestion des flux, que de composition urbaine. Un nombre important d’annexes (26, précisément) rendent compte de la volonté d’affirmer l’usage et la manipulation de données comme fondements du projet. Une bibliographie conséquente est présentée à la fin de l’ouvrage, ce qui n’était pas le cas des plans précédemment étudiés. La bibliographie rend compte aussi bien de la connaissance qu’ont les auteurs des théories urbaines contemporaines que de l’amplitudedes savoirs convoqués. Y figurent des articles et ouvrages publiés entre 1953 et 1960 : deux livres de Gibberd sur le town design, plusieurs articles sur l’unité de voisinage (dont celui de Mumford), des œuvres de sociologues comme William H. Whyte ou Ruth Glass, ainsi que des textes sur les commerces (dont l’ouvrage de Gruen et Smith et un article de Geoffrey Copcutt, auteur de la partie centrale de Cumbernauld), le paysage (dont l’ouvrage de Jellicoe) et enfin le trafic (dont un article sur Cumbernauld de Lesley Hugh Wilson, responsable de l’équipe chargée du développement de la ville entre 1956 et 1962).

L’équipe de concepteurs de Hook New Town est remarquablement pluridisciplinaire et elle implique différents secteurs du LCC. L’équipe est par conséquent transférée hors des bureaux du département d’architecture et s’installe dans ceux de la Direction. Dix- huit personnes participent au projet pendant un an. Contrairement aux autres plans, l’étude pour la ville de Hook n’est pas signée.

Les deux architectes en charge du projet sont Shankland et Cox. Cox travaille depuis 1950 au département d’architecte du LCC, où il est chargé du logement. Avant de rejoindre le LCC, il a travaillé pendant deux ans (de 1948 à 1950) dans la division équipements scolaires du département des architectes de l’Hertfordshire County Council, à un moment où il s’agissait de développer des systèmes de construction en accord avec les nouvelles approches de la politique d’éducation. Au sein du LCC, Cox est notamment impliqué dans les projets d’Alton East, Roehampton et Warwick Crescent. Shankland travaille quant à lui depuis 1949 sous la direction de Percy

Johnson-Marshall, au sein de la division Planning. Il y est notamment chargé du CDA de South Bank et de celui d’Elephant and Castle. Lors de la création de la division Développement des villes (Town Development Division) au LCC, en 1961, Shankland devient Senior Architect Planner pour les projets d’expansion de villes dans l’Hampshire et l’East Anglia. Il supervise notamment la préparation des propositions de développement et d’expansion de la ville d’Andover. Il est ainsi directement impliqué dans les réflexions sur le renouvellement urbain. À l’époque du projet de Hook, Shankland est membre, comme on l’a vu, d’un groupe de réflexion autour du renouvellement urbain (SPUR) qui l’amène à collaborer avec CPB sur le projet théorique de Boston Manor dans l'ouest de Londres. John Gold rapporte que Shankland était mal vu au sein du LCC, du fait de sa participation au projet de Boston Manor. Cox fait pression pour travailler avec Shankland sur le projet de Hook.

Concernant les autres disciplines, Gold mentionne la participation de Ruth Glass, qui assiste l’équipe pour les pronostics démographiques, ainsi que celle de l’ingénieur Ove Arup, du sociologue Willmott, et du pédagogue, Henry Morris275.

C’est ainsi que la conception de la ville nouvelle de Hook dont l’un des objectifs majeur est l’intégration de la ville dans son territoire ne met pas l’accent simplement sur des réponses spatiales. L’intégration de la ville à sa région dépend tout d’abord de l’équilibre économique et implique un volet démographique et géographique. Alors que la notion de « communauté » est utilisée de façon récurrente dans

The Planning of a New Town, la notion de « communauté autonome » (« self-contained community ») est remise en cause. Ainsi, à Hook l’emploi devra également dépendre

des infrastructures de la région, afin de ne pas donner naissance à une communauté autonome. Il s’agit de penser l’implantation des emplois, des logements et des équipements de manière à obtenir une structure de population équilibrée à tous les stades de développement de la ville. Le thème de la population équilibrée fait l’objet d’un très long troisième chapitre où sont décrits l’âge des résidents, la structure des foyers, les différents types d’emplois et l’importance de certains équipements, comme

275 Gold, John Robert, The Practice of Modernism. Modern architects and urban transformation, 1954-1972,

Routledge, 2007, p151 ; préface de Hubert Bennett, Greater London Council. The Planning of a New Town: Data

and Design Based on a Study for a New Town of 100,000 at Hook, Hampshire. London, Greater London Council,

les hôpitaux ou l’industrie de pointe (électronique, moteurs de véhicules), qui doivent être attractifs à l’échelle régionale.

Ces estimations serviront de référence pour d’autres projets de villes nouvelles. Notons par exemple que si Cumbernauld est un modèle pour les auteurs du projet de Hook, son temps de développement est long (il s’étale de 1955 à 1975). La première phase de la partie centrale de Cumbernauld ne sera construite qu’entre 1963 et 1967 – c’est-à-dire plusieurs années après l’élaboration du plan de Hook. Le rapport préliminaire pour la construction du centre de Cumbernauld fait ainsi référence à l’étude du LCC de 1959- 1960 pour Hook. Il y est proposé de reprendre les estimations pour la structure de la population de Cumbernauld, ainsi que les proportions des différents types d’appartements. En termes d’emplois, en 1962, le programme donne par ailleurs plus d’importance aux bureaux et aux services qu’il ne le faisait initialement, lorsqu'il était surtout axé sur l’industrie, les mines et l’agriculture.

Certaines de ces réflexions, ainsi que les diagrammes associés, seront exportés par Shankland et Cox lors de leur collaboration autour du projet de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, en France.

L’intégration de la ville n’est pas seulement une question d’économie régionale : elle est aussi liée à des problématiques d’écosystèmes et à la fabrication d’un paysage dans toute son ingénierie. Le projet de communauté compacte aspire effectivement à grandir et à maintenir un équilibre écologique. La présentation du site allie à une analyse des paysages, l’étude des fonctions du sol et des villages, qu’il s’agit d’intégrer pour obtenir un environnement unifié et cohérent, un « écosystème ».Il s’agit de concevoir à la fois un projet global pensé en interaction fonctionnelle avec sa région, un projet d’ingénierie fondé sur des problématiques d’efficacité et de performance, et un projet d’ingénierie pour penser la circulation des différents flux. Dans l’un des derniers chapitres de l’ouvrage, qui discute des services techniques, sont ainsi décrits la qualité des sols, considérés comme une ressource pour la construction, le terrain et la surface de drainage d’eau, ainsi que le système de stations de pompage et de purification des eaux par des usines de traitement avant leur rejet dans la rivière. L’eau de surface est évacuée vers la rivière grâce à un système de bassins de rétention de la chaîne des lacs, plus larges que nécessaire afin d’en faire des lieux de loisirs. Il est précisé que les déblais serviront à renforcer les berges avoisinantes pour prévenir d’éventuelles inondations. Le

cycle de traitement des déchets est également étudié, de manière à utiliser les détritus comme engrais ou comme matériau de remplissage des zones basses du terrain. La chaleur nécessaire au processus de séchage des déchets sera obtenue grâce aux gaz générés lors du processus de digestion des détritus.

Les réflexions sur les équipements scolaires illustrent aussi cette vision globalisante du projet. Ils sont pensés de façon à développer de nouvelles formes d’éducation et d’activités sociales, dans la lignée des village colleges conçus par Henry Morris dans le Cambridgeshire, c’est-à-dire qu'ils doivent développer des activités favorisant l’éducation permanente. Les auteurs de The Planning of a New Town proposent que les écoles aient des fonctions régionales et fassent partie d’un système d’éducation pour adultes. Ils notent cependant la difficulté d’utilisation, de gestion et de conception de tels édifices sociaux dédiés à différentes activités – difficultés liées à la séparation des administrations qui les ont commandités.

Enfin, le coût et le financement de la ville font partie intégrante de la proposition. Ces questions ne sont pas intégrées qu’aux seules annexes, mais constituent un réel chapitre, tout comme le phasage de l’opération. Les deux premiers chapitres de

The Planning of a New Town décrivent la recherche d’un site et les objectifs principaux

du dessin de la ville. Les objectifs explicités dans le deuxième chapitre sont regroupés autour des thèmes de l’urbanité, des véhicules motorisés, de la ville et la campagne, et enfin, de l’équilibre de la population. Les chapitres qui suivent sont organisés par thématiques : la population, le plan général de la ville, les zones résidentielles, la partie centrale, l’industrie, les services communautaires, les espaces libres, les systèmes de communication, les services techniques, le coût et enfin le phasage. Les annexes donnent les bases et les méthodes de calcul employées.

Le projet articule ainsi clairement, plus encore que ne le revendiquait Gibberd dans sa définition du Town design, la formalisation à différentes échelles, le paysage et l’infrastructure à des notions socio-économiques.