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Hook et Cumbernauld au regard de la définition de la mégastructure

The Building Complex : de l’unité de voisinage au bâtiment multifonctionnel

C.1 Hook et Cumbernauld au regard de la définition de la mégastructure

Si l’unité de voisinage n’est pas réellement remise en cause dans ces opérations de la première partie des années 1960, il y a des évolutions importantes par rapport aux modèles développés après-guerre. C’est par exemple le cas des formes que prennent les enclaves des centres-villes, plus compactes, alliant la mixité des usages et la ségrégation verticale des flux.

Le centre ville de Cumbernauld (pl.47)

Cumbernauld est la seule ville nouvelle britannique de deuxième génération à avoir été construite299. Son centre urbain fait ainsi partie des rares expérimentations d’une grande structure multifonctionnelle conforme à la définition du rapport de 1962300 :

Single comprehensive structure providing accomodation for shops, offices, entertainment and public buildings, hotel and some housing.

Cumbernauld est conçue comme un complexe à plusieurs étages séparant de la manière la plus étanche possible les voitures des piétons. Dans la partie centrale de Cumbernauld, les voitures et les services sont assignés au rez-de-chaussée, au-dessus duquel on trouve le centre commercial piéton ainsi que les équipements du centre-ville. La classification des étages correspond à peu près à une division par fonctions : la circulation et 5 000 places de parking, puis les commerces et les bureaux sur trois étages, puis les équipements (bibliothèque, centre de santé, restaurants, espaces publics et bâtiments administratifs, un hôtel et des lieux de loisirs), puis les logements, compris dans une longue double rangée surélevée au sommet de l’ensemble.

Le principe de « compacité » adopté pour la ville découle, tout comme pour la ville de Hook, d’une double volonté de ses concepteurs : rompre avec la faible densité des villes nouvelles et avec le principe d’unité de voisinage au profit d’une plus grande densité, gage d’urbanité. Une autre raison de cette densité élevée est l’étroitesse du site choisi

299Pour comprendre les principes mis en place à Cumbernauld, je m’appuie sur les rapports préliminaires de 1956

et 1962, ainsi que sur un film promotionnel de Magnus Magnusson sorti en 1970, Cumbernauld: Town for

Tomorrow, et sur un article de Gold publié dans la revue Planning Perspectives : Gold, John R. « The making of a

megastructure: architectural modernism, town planning and Cumbernauld’s Central Area, 1955–75 », Planning

Perspectives, 21:2, 109 – 131. Ce texte retrace la genèse de Cumbernauld et donne un très bon aperçu du contexte de

sa conception.

300 Cumbernauld New Town Planning proposals -second revision. Second Addendum report to the Preliminary

pour l’implantation de Cumbernauld. La ville nouvelle est prévue dès 1946 dans le plan régional de la Clyde Valley, élaboré par Abercrombie pour répondre aux besoins de logements de la ville de Glasgow. Mais ce n’est qu’en 1955 qu’un site lui est affecté. Ce terrain de 8 000 acres est moins favorable, mais c’est le seul qui reste après que des lobbys d’agriculteurs se furent opposés à une implantation de la ville nouvelle sur des terres de meilleure qualité. Le Scottish Office, qui ne veut pas retarder le projet, décide alors d’installer la ville nouvelle sur 4 150 acres de terres très pauvres301. La ville, qui devait initialement accueillir 50000 personnes en 1955, puis 70000 en 1960, se développe en définitive sur un site de 930 acres, dominé par la colline de Cumbernauld.

The general conception remains ; namely that the town should be a compact urban centre containing the 50 000 population on the hilltop site with surrounding recreation areas. The neighborhood system of planning should not be adopted, all the inhabitants of the town begin within easy distance of the central area containing all the principal shopping, commercial and public building302.

Indépendamment de ces raisons contextuelles, la conception de Cumbernauld répond à des thématiques caractéristiques des années 1960. En 1970, le film promotionnel de Magnus Magnusson, Cumbernauld: Town for Tomorrow résume à sa façon ces thématiques : les critiques et les peurs liées à la croissance et à l’encombrement des villes, la densité comme forme d’urbanité, la notion de community living, la mobilité et la ségrégation (horizontale et verticale) des types de circulation, ainsi que les aspirations avant-gardistes de l’époque.

Here in this unpromising moorland ridge, the planners set out to build a town for the future. A town that would draw people to it. Not only from Glasgow, but from all over Britain. Cumbernauld was new in more than one sense. Not just a new town, but a new concept of community living.

La ville nouvelle de Cumbernauld est dessinée par l’équipe d’urbanistes et d’architectes du département d’architecture de l’Agence écossaise (Scottish Office). Hugh Wilson est appelé en 1956 comme directeur de projet pour l’ensemble de la ville. Il quittera ses fonctions en 1962. La direction du petit groupe interdisciplinaire responsable du dessin du centre-ville est donnée à Geoffrey Copcutt en 1958 ; il restera jusqu’en 1963. Qualifié de jeune espoir de l’architecture anglaise dans le premier numéro de la revue

Zodiac, comme le rappelle Gold, ce sont ses dispositions avant-gardistes qui ont

301 Gold, John R. «The making of a megastructure: architectural modernism, town planning and Cumbernauld’s

Central Area, 1955–75 », Planning Perspectives, 21:2, 109 - 131

302 Cumbernauld New Town, Planning Proposals – first revision, An addendum Report to the Preliminary Planning

déterminé sa nomination. Elles correspondaient aux aspirations innovantes de la société de développement de la ville nouvelle.

Geoffrey Copcutt se représente le centre de Cumbernauld, structure unique réunissant de multiples fonctions au-dessus de voies de circulation, comme un pont entre l’urbanisme du XIXe siècle et la ville future303. Le centre-ville de Cumbernauld regroupe

ainsi les différentes fonctions d’un centre dans une structure unique que Copcutt nomme « fragment de ville surélevée304 » ou encore « une structure de type citadelle305 ». Linéaire, placée au-dessus d’un système de voies, cette structure aurait dû s’étendre sur 800 m de long, 180 m de large et comprendre jusqu'à 9 étages.

Selon Banham les concepteurs de Cumbernauld défendent un certain nombre d’idées : d’abord la concentration, qu’il rattache à l’ancien mode d’urbanisation, et la dispersion – « this was a defiant gesture in favour of an older type of urbanism306 », ensuite la monumentalisation du bâtiment dans un vaste espace ouvert, puis le symbolisme, l’image de l’ensemble symbolisant les niveaux et les types de performances qu’il ne peut délivrer comme l’« indétermination », et enfin une vision du trafic dans son ensemble, qui, en premier lieu, dissocie le projet des voies et celui du centre-ville. Le symbolisme est clairement présenté par Copcutt comme étant « la poésie de la technique moderne307 ». Remarquons avec Banham que la ségrégation verticale, dans la

version construite, est sans réelle fonction en dehors de celle d’un esthétisme futuriste pensé pour le simple plaisir des automobilistes. Le pont qui devait rejoindre un corps de bâtiment de l’autre côté des voies ne rejoint finalement rien.

Pourtant, Cumbernauld, en tant que bâtiment multifonctionnel compact, devient un exemple paradigmatique de ce qui sera apparenté par la suite à la mégastructure. La construction de la première phase, entre 1963 et 1967, suscite un intérêt mondial et de

303 « I now see the built first-stage as a 19th-century portal to a future world which contained in a single tented form, wherein the contributing uses become aspects of a total town-function in which the pulse of contact really quickens. »

Copcutt, G., « The City as a Process », Lotus 7, 1970. voir également Gold, J. R. « The making of a megastructure: architectural modernism, town planning and Cumbernauld’s Central Area, 1955–75 », Planning Perspectives, 21:2, april 2006, pp. 109 - 131

304 Copcutt, Geoffrey, “Planning and Designing the Central Areas of Cumbernauld new Town”, in Lewis, D.,

Architects’ year book n°11, The pedestrian in the city, Elek books limted, London, 1965. 305 Copcutt, G., « The city as a process », Lotus 7, 1970.

306 Banham, R., Megastructure, op. cit, p168.

307 Copcutt, Geoffrey, « Planning and Designing the Central Areas of cumbernauld new Town », in Lewis, D.,

nombreuses publications. Le film promotionnel de 1970 rappelle ainsi que, en 1969, la ville nouvelle a accueilli 4 000 visiteurs officiels venus de 40 pays. L’Institute of

American Architects lui décerne le R. H. Reynolds Memorial Award for Community Architecture, devant la ville nouvelle de Vällingby, alors même que celle-ci est pour

beaucoup de centres urbains un modèle incontournable, comme les centres commerciaux régionaux américains.

• Le centre ville de Hook

Le centre-ville de Hook est conçu, quant à lui, comme un espace de rencontre construit au-dessus des stationnements et des zones de livraison – évitant, comme le souligne les concepteurs, les couronnes de parkings qui isolent les centres commerciaux contemporains. La partie centrale contient le centre commercial piétonnier, des logements, des services, un parking de 8 000 places et mesure 0,75 mile de long et 0,25 mile de large. La détermination de la longueur maximale et le choix d’une forme linéaire sont conditionnés par la capacité de chalandage et le principe de continuité des commerces. Le centre-ville est décrit comme un mécanisme dont la technicité repose sur la distribution et la gestion des flux. Pour les auteurs, la meilleure solution est la ségrégation complète du trafic, qui n’est possible qu’en plaçant les piétons sur une plate-forme. L'ouvrage ne précise pas si plusieurs architectes seront amenés à intervenir pour construire ce centre, dont la plate-forme serait l’élément fixe. Le système doit en revanche être suffisamment flexible pour attirer différents types de commerces et d’exploitants. Le centre est implanté au fond d’une vallée. L’image donnée est celle d’un couvercle au-dessus de cette vallée. Le centre piétonnier est ainsi de plain-pied ; il est placé au-dessus des stationnements, des aires de livraison et des bus, tout en évitant les excavations. Un diagramme en coupe comparatif oppose l’implantation en haut d’une colline à celle retenue pour le projet de Hook. Cette comparaison fait référence au projet de Cumbernauld, dont le centre a souvent été critiqué pour sa position en hauteur. Dans son article sur Cumbernauld, Gold cite à ce propos Oliver Cox :

Hugh Wilson called us “the boys” Graeme and me, at that time, because we were continually watching what he had been doing at Cumbernauld and were very much guided by that. The main difference was that we were in a valley ; Cumbernauld is on a hill. We thought that it was quite wrong to have a centre that was above the level of the ground308.

Les deux expérimentations de Cumbernauld et de Hook sont souvent associées au mouvement des mégastructures. Comme le souligne Reyner Banham dans son livre

Megastructure: Urban Futures of the Recent Past309, alors que le dessin de Tange pour la baie de Tokyo – icône de la mégastructure – est imaginé en 1960, la ville nouvelle écossaise de Cumbernauld, dont le centre est un bâtiment complexe multifonctionnel, est commanditée dès 1955. Cependant, ce centre, dont le dessin a pris trois ans, ne prend sa forme définitive qu’en 1960 tandis que le rapport officiel de Buchanan, illustré par des projets de villes stratifiées, est publié en 1963. Banham voit dans ces deux projets les signes d’une institutionnalisation très précoce de l’idée de mégastructure :

Something like megastructure was conceivable in the minds of established British government officials as early as it was conceivable in the minds of Japanese Metabolists. One needs, therefore, to be very wary of any uncritical acceptance of the idea that megastructure was a radical or ridiculously impractical concept310.

Si au début des années 1960, au moment de la conception du centre de Cumbernauld, il y avait une base conceptuelle qui permettait de penser un immense complexe multifonctionnel sur plusieurs niveaux, Cumbernauld doit moins, selon John R. Gold qui replace aussi le centre-ville dans une histoire des projets théoriques de villes à étages et autres projets visionnaires, à cet élan techno-utopique des années 1960 qu’à deux autres facteurs de l’urbanisme d’après-guerre : d’une part la logique commerciale des développements privés encourageant une maximisation des densités et la mixité des usages de manière à attirer un plus large type d’utilisateurs, d’autre part les réflexions urbaines des architectes modernistes qui, comme lors du CIAM 8, réfléchissent à la manière de créer des centres dynamiques et aux problèmes de la voiture en ville.

Néanmoins, la première définition de la mégastructure élaborée par Banham est pertinente pour décrire des projets comme celui de Cumbernauld ou de Hook :

[…]it is more than just a very large building. However, one can point at one key intention, and one crucial consequence thereof. The intention is to resolve some large scale (about a quater of mile long, at minimum), urban problem by means of architecture, and the consequence, urban problems being what they are, is that the result houses multiple functions at a very high density311

.

309 Banham, Reyner, Megastructure: Urban Futures of the Recent Past, Thames and Hudson, Londres, 1976

310 Banham, Reyner, Megastructure, op. cit. p167

Par la suite, cette définition est abandonnée par Banham et les tenants du courant de la mégastructure au profit d’une acception plus technologique. Maki introduit en premier le terme « megastructure » en 1964 et Ralph Wilcoxon parle, lui, en 1968 d’un « très grand complexe urbain multifonctionnel contenant de plus petites unités éphémères adaptables à des besoins changeants312 ».

Les principes conceptuels de ces deux exemples britanniques découlent eux de réflexions programmatiques, plus que d’aspirations technologiques. La proximité des éléments d’un programme fournit la base conceptuelle de ces opérations, comme le montrent les plans schématisés du projet de la ville de Hook. L’intégration de plusieurs fonctions au sein d’un même édifice est un dispositif déjà convoqué et théorisé par Perry afin de former des micro-centralités autour des écoles pour les unités de voisinage. En quelque sorte, ce dispositif fait l’objet d’une réinterprétation à différentes échelles dans les projets de villes nouvelles de deuxième génération : l’école est un équipement intégré de quartier, tandis que le centre principal est un civic complex, sur le modèle des centres commerciaux.