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Les pouvoirs législatifs conférés au président de la république et leur effet de verrouillage de l'ordre du jour des travau

DU POUVOIR LEGISLATIF SUBISSANT BEAUCOUP

SECTION 2. L'INFLUENCE DU POUVOIR EXECUTIF SUR LA PROCEDURE LEGISLATIVE

A. Les pouvoirs législatifs conférés au président de la république et leur effet de verrouillage de l'ordre du jour des travau

législatifs au congrès national

L'article 62 406 de la Constitution Fédérale confère des pouvoirs législatifs considérables au président de la république, en l'autorisant à adopter des « mesures provisoires » ayant force de loi, en cas d’urgence. Cet article apporte, aussi, une liste des matières exclues du champ de compétence des mesures provisoires, telles que la nationalité et les droits politiques, le droit pénal et les procédures civiles et pénales, l'organisation du pouvoir judiciaire et du ministère public et les plans pluriannuels, les lois directrices budgétaires, le budget et les crédits additionnels et supplémentaires.

L'origine des mesures provisoires remonte au changement de la conception de l'État. Dès lors que l’on a admis que l'État avait une fonction sociale, cet État doit faire face aux besoins économiques, sociaux et culturels et son intervention doit être plus rapide. Ce contexte oppose l'urgence et la complexité des solutions économiques et sociales au système législatif classique, ce qui finit par entraîner un conflit entre les pouvoirs législatif et exécutif. Dans ce sens, l'exécutif s'impose comme le pouvoir intervenant, administrateur des ressources de l'État, tandis que le législatif est le pouvoir qui rend légale cette intervention. Toutefois, le pouvoir législatif est composé par des organes collégiaux énormes, ne permettant pas une prise de décision rapide, alors que l'exécutif, en tant qu'organe singulier, peut réagir plus rapidement, d'où la contradiction existant entre ces deux pouvoirs, qui finit

406 La rédaction de cet article a subi des changements significatifs à travers l'amendement constitutionnel n° 32, de 2001, ayant pour but d'empêcher l'usage abusif des mesures provisoires, très souvent vérifié, par exemple par le biais des rééditions des mesures provisoires rejetées par dépassement du délai.

163 par se répercuter sur le pouvoir judiciaire, appelé à résoudre des conflits politiques407.

Au Brésil, la constitutionnalisation des décrets ayant force de lois remonte à la Constitution de 1937 dans laquelle il y avait quatre types de décret-loi. Cette Constitution n'est jamais entrée totalement en vigueur, puisque le plébiscite exigé par son dernier article n'a pas été réalisé et la fonction législative a fini par être réalisée, dans cette période autoritaire dite « Estado Novo » (État nouveau), dans sa totalité par le Président Vargas qui a promulgué plusieurs codes et lois importants, tels que le Code du travail, le Code la procédure civile et le code pénal. Ensuite, la Constitution de 1946, une réaction libérale à l'autoritarisme, a aboli le décret-loi et a empêché l'adoption de la loi déléguée. La délégation législative par des lois-déléguées a été réadmise par l'acte additionnel de l'amendement du 2 septembre 1961 ; celui-ci a instauré le parlementarisme, le décret-loi n'étant restauré que par la dictature militaire au travers l'acte institutionnel n° 2, puis par la Constitution de 1967 et l'amendement de 1969 établissant les contours du décret-loi pour qu'il soit comparable aux mesures provisoires actuelles408.

Par ailleurs, en réalisant la comparaison entre les décrets-lois et les mesures provisoires, nous pouvons évoquer comme différences principales, le fait que le décret-loi entrait en vigueur immédiatement, le congrès national devant l'apprécier dans le délai de soixante jours ; à la fin de ce délai, la norme était automatiquement approuvée en cas de silence du congrès national, qui n'était pas en mesure de présenter des amendements. Par contre, en ce qui concerne la mesure provisoire, le congrès national peut amender le texte présenté par le président puisqu'il n'y a pas d'approbation tacite, l'absence de manifestation du parlement- dans le même délai de soixante jours -entraînant la perte d'effet de la mesure. Dans ce cas, il revient au congrès national de discipliner les effets produits, y compris par la déclaration de nullité de tous les actes produits à partir de l'édition de la mesure provisoire. Sur ce point, il faut observer qu'une telle déclaration aurait des implications politiques significatives pour le Parlement, qui se verra obligé de justifier ce choix devant les citoyens.

Même s'il y a des différences significatives, les mesures provisoires peuvent toujours être vues comme une continuité du pouvoir attribué au président d'éditer des décrets-lois, notamment en raison du fait que l'exécutif continue à ne pas dépendre du législatif pour que

407 BARROS, Sérgio Rezende de; Medidas, provisórias?, In: Revista da Procuradoria Geral do Estado de São Paulo, São Paulo - SP, n. 53, p. 67-82, jun. 2000.

164 ces actes entrent en vigueur. Avant l'amendement constitutionnel n° 32, de 2001, l'intervention du congrès national devait être toujours réactive, d'autant plus que la réédition des mesures provisoires faisait partie de la réalité politique brésilienne409, l'exécutif ayant la

possibilité d'éviter le quorum pour l'appréciation des mesures provisoires et les rééditer, ce qui ne différait pas trop de l'approbation par dépassement du délai410.

En effet, l'usage des mesures provisoires a atteint des niveaux très critiquables. On peut citer, comme exemple, la mesure provisoire nº 2.088-35, du 27 décembre 2000, évoquée par Fábio Konder Comparato411 dans un article sur le sujet. Logiquement, cette mesure provisoire devrait être la 35e réédition de la même mesure provisoire, c'est-à dire qu'il devrait y avoir 34 mesures provisoires précédentes, possédant le même contenu. Toutefois, aucune mesure provisoire ne possède le numéro 2088, la mesure provisoire qui a servi de base à la rédaction du nº 2.088-35 a été celle du nº 1.964-34, signée le 21 décembre de 2000 et publiée le 22 décembre. Celle-ci a été une véritable réédition d'une même mesure provisoire, qui avait la numération séquentielle. Or, l'objet de la mesure provisoire nº 1.964-34 était de modifier la loi relative au trafic et à l'usage de substances stupéfiantes, ainsi que la loi qui traite du régime des fonctionnaires, à ce que la mesure provisoire nº 2.088-35 est venue ajouter des changements dans la loi de responsabilité administrative. On peut, donc, voir que la mesure provisoire nº 2.088-35 n'est pas la simple répétition de l'autre, mais une nouvelle mesure provisoire.

Dans son étude, le Professeur Comparato analyse la théorie américaine des « questions politiques » et la théorie française des « actes de gouvernement », très souvent évoquées au Brésil pour défendre la non-intervention du pouvoir judiciaire sur la question des mesures provisoires. De cette analyse, il conclut que les interprétations utilisées pour fonder cette non-intervention sont erronées et ne prennent pas en compte la véritable étendue

409 L'interprétation en faveur de la réédition des mesures provisoires a été battue lors de la réédition de la mesure provisoire n° 29, par le biais de la mesure provisoire n° 39, du 21 février 1989, versant sur un plan économique qui cherchait à combattre l'inflation. C'était la première réédition d'une mesure provisoire, donc, le congrès national a désigné une commission mixte, composée de trois députés et trois sénateurs, pour émettre un avis sur la constitutionnalité et la légalité de la réédition. Contrairement à ce qu'attendait le président du groupe parlementaire dirigeant, cet avis a accepté la réédition, en argumentant sur le caractère provisoire de la norme, la solution définitive pour le problème dépendant d'une loi complémentaire. Ces faits sont décrits par FIGUEIREDO et LIMONGI, op. cit., p. 138.

410 FIGUEIREDO, Argelina Cheibub. LIMONGI, Fernando. Executivo e legislativo na nova ordem

constitucional. 2ème édition. Rio de Janeiro : FGV, 2001, p. 44.

411 COMPARATO, Fábio Konder; A "questão política " nas medidas provisórias: um estudo de caso; disponible sur : http://www.anpr.org.br/portal/components/com_anpronline/media/Artigo_questaopolitica.pdf, consulté le 4 juin 2010.

165 des théories française et américaine, qui ne doivent pas servir à justifier un abus de pouvoir de la part de l'exécutif. Selon cet auteur : « Il a été déjà dit et répété plusieurs fois que la plus grande difficulté dans la technique argumentative, c'est de prouver ce qui est évident. (…) En politique, comme dans tout le reste, la réitération d'un abus finit par le faire entrer dans la normalité de la vie. C'est la situation qui se configure par rapport au pouvoir, attribué par la Constitution au Président de la République, d'éditer des mesures provisoires. Il s'agit, sous tous les aspects, d'une compétence exceptionnelle et non ordinaire. Mais la pratique brésilienne a fini par transformer l'abus manifeste en coutume pacifique et consacrée, sous le regard complaisant de l'organe judiciaire chargé de veiller à la conservation du système constitutionnel. »412

Face à ce contexte, où prévalait l'usage abusif des mesures provisoires, l'amendement constitutionnel n° 32, de 2001 a été approuvé, qui cherche à rationaliser l'emploi des mesures provisoires et à renforcer la participation du pouvoir législatif dans son appréciation. Cet amendement a limité les domaines susceptibles de faire l'objet d'une mesure provisoire, en prévoyant que les mesures entraînant l'institution ou la majoration des impôts ne produiront leurs effets que dans l'exercice financier suivant.

Par ailleurs, l'amendement n° 32 a discipliné la perte des effets des mesures provisoires qui n'ont pas été converties en loi dans le délai de soixante jours, avec une seule prorogation, la réédition, dans la même session législative ; des mesures provisoires rejetées ou dépourvues de validité par dépassement du délai devenant expressément interdite. Finalement, le texte constitutionnel détermine que la délibération du congrès national statuera tout d'abord sur l'admissibilité des mesures provisoires, selon les exigences constitutionnelles des matières urgentes. Cette analyse sera menée par une commission mixte de députés et sénateurs qui doivent émettre un avis sur l'admissibilité des mesures413, avant leur appréciation, séparément, à la plénière de chaque chambre.

412 Ibid., p. 10 ; traduction libre.

413 Cette exigence d'un avis émis par une commission mixte a été appréciée par le suprême tribunal fédéral lors du jugement de l'action directe d'inconstitutionnalité -ADIn n° 4.029. Cette action contestait la

constitutionnalité d'une loi de conversion d'une mesure provisoire, dont l'analyse par le congrès national a suivi la procédure prévue à l'article 6 de la Résolution n° 1, de 2002-CN, selon laquelle l'avis peut être émis par le rapporteur ou le rapporteur réviseur désigné, en session plénière à la chambre des députés. Le STF a décidé pour l'inconstitutionnalité ex nunc de cet article, en raison du non respect de la détermination constitutionnelle de l'émission d'un avis par une commission mixte. Donc, les effets de cette

inconstitutionnalité ont été modulés, de façon à ne pas atteindre les mesures provisoires déjà converties en loi -y compris la loi faisant l'objet de l'action- qui sont, d'ailleurs, très nombreuses.

166 Néanmoins, les mesures provisoires peuvent toujours être regardées comme une arme importante dont dispose le pouvoir exécutif, d'autant plus que ces mesures ont le pouvoir de changer l'ordre juridique en vigueur, de sorte que le parlement doit choisir non plus entre le statu quo précédent et le produit du changement, mais entre le scénario produit par la mesure provisoire et une situation intermédiaire, dans laquelle la mesure aurait produit ses effets. Confrontés à cette situation, les parlementaires ont tendance à approuver la mesure provisoire, même s'ils auraient préféré rejeter ses dispositions si elles avaient été présentées dans un projet de loi414.

Par ailleurs, l'attribution des pouvoirs législatifs au président de la république réduit son besoin de chercher l'appui et la coopération du pouvoir législatif. Les présidents ayant des pouvoirs législatifs significatifs ont davantage des chances d'imposer leur agenda de façon unilatérale. En outre, selon Figueiredo et Limongi415, « les pouvoirs législatifs présidentiels ne doivent pas être vus exclusivement comme des armes pour vaincre la résistance du législatif. Ils incident sur les préférences des parlementaires », puisque les présidents pourvus de pouvoirs législatifs larges « sont en mesure de contrôler l'agenda législatif, en induisant la coopération des parlementaires »416.

En outre, il convient de rappeler que, à plusieurs reprises, les parlementaires finissent par se prévaloir de cette profusion de mesures provisoires et de la plus grande célérité dans son appréciation pour faire insérer, par le biais des amendements, des matières étrangères à l'objet de ces normes. Au-delà de détourner l'usage des mesures provisoires déjà assez controversé- ce comportement entraîne une très grande confusion législative, de façon à rendre très difficile l'identification de l'objet de chaque norme417.

Finalement, il faut aborder les effets que le grand volume de mesures provisoires entraîne sur l'agenda des travaux législatifs. Le paragraphe 6 de l'article 62 de la Constitution prévoit que si la mesure provisoire n'est pas appréciée dans les quarante-cinq jours qui suivent sa publication, elle entrera en régime d'urgence dans chaque chambre législative, de façon à reporter toutes les autres délibérations législatives de la chambre

414 FIGUEIREDO, Argelina Cheibub. LIMONGI, Fernando. Executivo e legislativo na nova ordem

constitucional. 2ème édition. Rio de Janeiro : FGV, 2001, p. 26. 415 Ibid., p. 26.

416 Ibidem, p. 26.

417 ASSIS, Luiz Gustavo Bambini de. Processo legislativo e orçamento público : a função de controle do

167 jusqu'à son vote.

Donc, l'édition de plusieurs mesures provisoires finit par verrouiller l'ordre du jour des travaux législatifs et empêcher l'appréciation des autres matières. Par conséquent, d'autres domaines, qui intéressent le pouvoir législatif, doivent attendre le vote des mesures provisoires, en perturbant le déroulement des travaux législatifs.

Face à cette situation, en 2009, le président de la chambre des députés a accepté une question d'ordre du député Regis Fernandes de Oliveira, qui demandait que le verrouillage de l'agenda des travaux législatifs pour le vote des mesures provisoires ne s'applique que pour les lois ordinaires ; en effet, les mesures provisoires ont le même statut de ces lois, le verrouillage n'ayant pas d'effets sur les lois complémentaires, les amendements à la Constitution et d'autres formes législatives. En outre, le président de la chambre des députés a déterminé que le verrouillage concerne uniquement les sessions ordinaires, en ne s'appliquant pas aux les sessions extraordinaires418.

Cette décision a fait l'objet d'un recours devant le Tribunal Suprême Fédéral419, formulé par un groupe de députés. Le rapporteur du recours, le ministre Celso de Mello, n'a pas concédé la mesure d'urgence, en considérant que la décision du président de la chambre des députés répondait à un souci de préserver les compétences législatives du parlement face à la prolifération des mesures provisoires et ses effets sur les travaux législatifs, qui finissent par compromettre l'effectivité du travail parlementaire et la séparation des pouvoirs, en permettant que l'exécutif se superpose au législatif.

Même si la question n'a pas encore été l'objet d'une décision définitive par le Tribunal Suprême Fédéral, elle peut indiquer un changement, une tentative des pouvoirs législatif et judiciaire de rééquilibrer les rapports entre les pouvoirs, en évitant la superposition du pouvoir exécutif, notamment dans la production législative.

L'influence du pouvoir exécutif sur la procédure législative reste donc évidente, ce pouvoir étant responsable à 85% de l'initiative des lois promulguées dans la période immédiatement postérieure à la Constitution de 1988420. Cette prépondérance du pouvoir

418 Ibid., p. 42.

419 MS n. 27.931, jugé le 27 mars 2009.

420 Selon une étude menée par Figueiredo et Limongi, concernant la période de 1989-1994 (FIGUEIREDO, Argelina Cheibub. LIMONGI, Fernando. Executivo e legislativo na nova ordem constitucional. 2ème édition.

168 exécutif découle de sa capacité à contrôler l'agenda du pouvoir législatif, en grande mesure issue des principes garantissant l'initiative exclusive du président de la république. Ces principes assurent la définition des délais d'appréciation des propositions législatives et placent l'exécutif dans une position stratégique pour exercer la pression sur le Parlement afin d'obtenir l'approbation de ses projets prioritaires421.

Dans ce contexte, les lois budgétaires et les lois d'ouverture des crédits supplémentaires sont des exemples de lois assujetties à un calendrier spécial d'appréciation, duquel dépendent les actions du gouvernement. C'est la raison pour laquelle, à la fin de l'année, la pression exercée sur le pouvoir législatif est accrue, l'exécutif devant respecter les limites temporelles de l'exercice financier pour la réalisation des dépenses. Donc, « ces deux facteurs -l'importance des actions du gouvernement dépendant de l'approbation des ressources et des délais de l'exercice budgétaire- mettent dans les mains de l'exécutif des ressources essentielle qui lui permettent de garantir non seulement la priorité aux lois introduites par ce pouvoir, mais aussi des grandes chances d'approbation de la proposition initiale »422.

Enfin, le législatif n'as pas une marge de manœuvre significative, puisque le rejet ou même le retard- dans l'appréciation d'un projet de l'exécutif, peut entraîner des préjudices pour les parlementaires eux-mêmes, auxquels serait laissée la charge d'expliquer aux citoyens pourquoi les ressources n'ont pas été destinées, par exemple, à un hôpital423. Donc, le congrès national a tendance à répondre rapidement aux demandes de crédits supplémentaires du pouvoir exécutif et les lois budgétaires ont un délai moyen d'appréciation de 56 jours, bien plus réduit que les autres lois. Ces faits, ajoutés à l'impact des mesures provisoires sur l'agenda des travaux législatifs, sont susceptibles d'entraîner la prédominance du pouvoir exécutif.

L'impact direct de la question des mesures provisoires sur le droit budgétaire est également fort et entraîne les mêmes enjeux. C'est le cas de l'ouverture des crédits extraordinaires par mesure provisoire, qui sera traitée dans la deuxième partie de cette thèse. Il est intéressant de noter, donc, que la question des mesures provisoires se pose comme un

Rio de Janeiro : FGV, 2001, p. 51)

421 FIGUEIREDO, Argelina Cheibub. LIMONGI, Fernando. Executivo e legislativo na nova ordem

constitucional. 2ème édition. Rio de Janeiro : FGV, 2001, p. 51.

422 Ibid., p. 52. 423 Ibidem.

169 point faible de déséquilibre du système de répartition des pouvoirs au Brésil, qui se reflète sur le droit budgétaire.

B.

Les sollicitations d'urgence

dans l’appréciation de certains

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