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La poursuite de la caractérisation du travail des préventeurs en entreprise

CHAPITRE 12. DISCUSSION GÉNÉRALE

12.1. Les apports

12.1.1. La poursuite de la caractérisation du travail des préventeurs en entreprise

Nous l’avions évoqué dans le premier chapitre, les connaissances sur le travail des préventeurs sont encore peu développées dans la littérature ergonomique malgré l’enjeu important que cette construction de connaissances constitue pour le développement de nouvelles pratiques de prévention plus performantes (Six, 1999). Le premier objectif de notre thèse a donc été de produire de nouvelles connaissances afin d’implémenter cette base théorique en construction. La méthodologie de recherche déployée nous a permis de produire des données relatives au contenu des tâches réalisées par les préventeurs en entreprise et à la répartition du temps de travail entre chacun d'entre elle.

Nous présenterons dans un premier temps les apports de notre recherche à la compréhension des différents domaines d'intervention des préventeurs, à leur manière de gérer leur temps de travail entre ces derniers et aux conséquences de cette gestion sur leur santé. Le deuxième temps reprendra les données produites quant à la place des déplacements dans le travail des préventeurs en entreprise. Nous reviendrons dans la troisième partie sur les résultats qui nous ont permis de développer les connaissances sur la méthodologie utilisée par les préventeurs pour réaliser les visites de sécurité sur le terrain.

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12.1.1.1. La prévention comme objet de travail non exclusif

Un des premiers résultats qu’il est intéressant de commenter est que le préventeur en entreprise ne consacre pas la totalité de son temps de travail aux questions de prévention des risques professionnels.

Figure 27. Représentation des domaines d’activité du préventeur en entreprise selon le temps qu’il y consacre

Comme le montre la figure 27, si la prévention des risques professionnels est le domaine auquel le préventeur en entreprise consacre la majeure partie de son temps de travail, il doit généralement traiter en parallèle de celui-ci des questions de qualité, d’environnement, d’achats, de moyens ou d’autres questions diverses (relatives aux ressources humaines, à la comptabilité, etc.). Les préventeurs semblent donc accorder un caractère prioritaire aux tâches relatives à la sécurité et un caractère plutôt secondaire aux tâches liées aux autres domaines puisqu'ils leur consacrent beaucoup moins de temps même si les organisations ne semblent pas pour la plupart favoriser de telles différences en matière de répartition du temps de travail. Cette stratégie de gestion de la charge de travail qui vise à opter pour des modes opératoires plus économiques (Spérandio, 1972) pour les tâches non afférentes à la prévention des risques professionnels pourrait avoir tendance à mettre le préventeur en défaut lors de certaines périodes comme celles des phases de renouvellement de certifications qualité (ISO 9001), environnement (ISO 14001) ou de fortes demandes dans le domaine des achats ou de la gestion des moyens (dotations annuelles, préparation de chantiers conséquents, etc.). En effet, les tâches considérées initialement comme secondaires deviennent alors durant ces périodes plus contraignantes et induisent inévitablement une mobilisation plus intense si des ressources complémentaires ne sont pas allouées ou les contraintes relatives au domaine de la prévention des risques professionnels ne sont pas réduites pour faire face à ce surcroît d'activité.

Prévention

des RP

Qualité Environnement Achats / Gestion des moyens Déplacements Divers

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Figure 28. Modélisation des relations entre charge, stress et burn out en situation de contraintes "normales" (adapté de Falzon et Sauvagnac (2004))

La figure 28 présente les relations entre la charge de travail composée des contraintes (objectifs à atteindre, résultats attendus, qualité à obtenir, etc.), des astreintes (degré de mobilisation de l'opérateur dans son activité) mais aussi des ressources et la fatigue, le stress et le burn-out (Falzon & Sauvagnac, 2004). Ainsi, une astreinte moyenne résultant de contraintes dites "normales" c'est à dire liées essentiellement au domaine de la prévention des risques professionnels couplées aux ressources habituelles peut déjà générer une fatigue importante voir un léger état de stress lorsque l'écart est perçu comme un peu trop important par le sujet.

Figure 29. Modélisation des relations entre charge, stress et burn out en situation de contraintes "augmentées" (adapté de Falzon et Sauvagnac (2004)

178 Nous pouvons donc penser comme le suggère la figure 29 que le niveau de fatigue et de stress des préventeurs lors des périodes durant lesquelles les contraintes liées aux domaines d'activité initialement classés comme secondaires augmentent seront d'autant plus importants qu'ils ne disposent pas de marge de manœuvre qui leur permettraient de réduire le niveau de contrainte afférente soit au domaine de la prévention des risques professionnels soit aux autres domaines ou encore la possibilité de mobiliser des modes opératoires plus économiques pour leur permettre d'augmenter leurs ressources. Le stress peut quant à lui engendrer le burn-out si les ressources émotionnelles des préventeurs s'épuisent.

La question du partage du temps de travail du préventeur entre les tâches des différents domaines d'activité pour lesquels l'organisation lui attribue des missions nous laisse craindre un impact sur sa santé lors des périodes de fortes contraintes liés aux domaines "secondaires".

12.1.1.2. Des déplacements coûteux mais nécessaires

Selon Peeters et al. (2003), l’activité des préventeurs comporte de nombreux déplacements pour aller à la rencontre de leurs interlocuteurs. L'analyse du temps consacré à chacun des champs d'activité présenté dans le tableau 16 nous a permis de rendre compte que le temps moyen passé par les préventeurs en déplacement n'est pas très important (7% du temps de travail en moyenne). Cependant, certains préventeurs comme P8 y consacrent beaucoup plus de temps que d'autres comme par exemple P1. Cette différence peut être expliquée par l’éloignement de certains chantiers et lieux de réunions par rapport au bureau du préventeur. Si le préventeur 1 s’est majoritairement rendu lors de la phase de recueil sur des chantiers situés à quelques mètres de son bureau, le préventeur 8 a quant à lui réalisé un voyage de deux jours pour se rendre sur un chantier situé à plus de 300 km de son lieu habituel de travail. Pour réduire cette "perte de temps" parfois conséquente liée aux déplacements, certaines entreprises développent des outils qui favorisent les interactions à distance (vidéo- conférence, tablettes interactives avec caméra, etc.). Cependant, Forrierre (2008) souligne les avantages des interactions en face-à-face dans le cadre des visites sur chantier des conducteurs de travaux dans le milieu des travaux publics. Ainsi, les interactions directes permettent de partager les représentations, d’adapter le mode de communication à la population de terrain qui a tendance à favoriser les échanges basés sur les informations visuelles et corporelles, de démontrer l’importance de certaines informations, de montrer aux opérationnels qu’on porte de l’intérêt à leur travail, de recueillir des informations plus intimes et personnelles comme des données sur la vie privée ou encore sur les ressentis et les difficultés rencontrées. Ainsi, si les déplacements sont parfois coûteux en temps, ils permettent des échanges de meilleure qualité. Pour réduire les contraintes temporelles générées par les déplacements, les entreprises devraient alors réduire les périmètres géographiques d'intervention des préventeurs plutôt que de développer des outils de communication à distance.

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12.1.1.3. Une méthodologie de visite de sécurité peu pertinente

Nous l'avons vu dans le chapitre 2, le M.A.S.E. préconise aux préventeurs de déployer une méthodologie en trois étapes (préparer, réaliser et enregistrer) pour réaliser les visites de sécurité sur le "terrain". L'analyse de la fiche conseil pour la visite de sécurité considérée comme la principale source de prescription des préventeurs pour la réalisation de leur activité sur le "terrain" nous a permis de faire ressortir les trois principales requêtes du référentiel: valoriser tous les comportements proactifs en matière de sécurité qu'ils peuvent identifier sur le chantier visité, lever la totalité des écarts à la prescription sécurité relevés et intégrer systématiquement les opérateurs à la recherche de solution pour réduire les écarts.

Si le référentiel prescrit des objectifs très ambitieux, les résultats de nos analyses ont permis de montrer que les caractéristiques de la méthodologie de visite de sécurité actuellement déployée par les préventeurs ne permet pas de les atteindre.

Figure 30. Modélisation de la performance des préventeurs lors des visites de sécurité (adapté de Hubault, 1998)

Nous avons utilisé la modalisation de la performance développé par Hubault (1998) pour rendre compte des défaillances en la matière générée par la méthodologie de visite de sécurité

Objectifs prescrits par le M.A.S.E:

- Valoriser les comportements proactifs,

- Lever la totalité des écarts, - Intégrer les opérateurs à la recherche de solutions.

Résultats: - Peu de valorisation des comportements proactifs,

- Près de 30% des écarts non levés, - Des opérationnels qui ont tendance à écourter les échanges. Méthodologie de visite de

sécurité: - Réalisation des séquences de résolution de problèmes sur le "terrain", au moment où les opérateurs sont engagés dans des contraintes de prodution,

- Absence d'artefact permettant de faciliter le partage d'informations entre les interlocuteurs.

180 "classique" utilisée par les préventeurs en entreprise. La figure 30 montre ainsi que les résultats obtenus par les préventeurs lors des séquences de visites de sécurité ne sont pas conformes aux objectifs fixés par le M.A.S.E. en raison de certaines caractéristiques de la méthodologie utilisée. En effet, le fait de réaliser ces séquences sur le "terrain" au moment même où les opérateurs sont engagés dans des contraintes de production et l'absence d'artefact permettant de faciliter le partage d'informations entre les différents interlocuteurs crée des conditions peu favorables au développement du processus de synchronisation cognitive alors indispensable pour poser des solutions permettant de réduire les écarts acceptables par tous. Suite à ce constat, nous avons conçu une nouvelle méthodologie de visite de sécurité proposant des caractéristiques différentes de la méthodologie classique du point de vue de la période de réalisation des séquences de résolution de problèmes et des artefacts mis à disposition du préventeur pour faciliter les échanges.

La mise en "test" de cette méthodologie nous a permis d'attester du rôle de ces caractéristiques dans les problèmes de pertinence de la méthodologie "classique" mais aussi d'évaluer les effets de l'utilisation de la technique d'auto-confrontations assistée par vidéo sur les performances et la santé des préventeurs en entreprise alors positionnés en tant qu'interviewers.