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CHAPITRE 12. DISCUSSION GÉNÉRALE

12.2. Les limites

La prise de recul sur notre recherche a permis d'en identifier trois grandes limites. La première est causée par la typologie de démarche déployée pour collecter les données. En effet, nous verrons que la démarche de recherche-intervention sur laquelle nous nous sommes basée présente des risques de "contamination" des données. La deuxième fait référence à la méthodologie d'évaluation de l'effectivité de levée des écarts. Nous verrons que l'évaluation de la gravité des écarts identifiés aurait certainement permis d'améliorer la pertinence de nos résultats. Enfin, la troisième limite renvoie à la technique d'entretien utilisée. Nous détaillerons pour l'expliciter les difficultés rencontrées pour analyser la composante émotionnelle de l'activité des préventeurs en utilisant l'entretien d'auto-confrontation.

12.2.1. Les biais induits par la démarche de recherche-intervention

Notre démarche de recherche peut être rapprochée de celles inscrites dans le champ de la recherche-intervention. En effet, comme dans les recherches-interventions, nous avons évalué les effets des modifications induites par notre intervention pour approfondir nos connaissances sur le travail des préventeurs et nous avons alterné les phases d'immersion sur le terrain durant lesquelles nous avons observé l'activité des préventeurs mais aussi formé deux d'entre eux à l'utilisation de la nouvelle méthode et les phases de distanciation durant lesquelles nous avons pris du recul sur les données récoltés et procédé aux analyses que nous avons présenté dans les chapitres dédiés aux résultats (Cappelletti, 2009).

Si une telle démarche permet de nourrir la théorie grâce à une certaine prise de recul sur la pratique, Cappelletti (2009) explique qu'elle présente également plusieurs limites. La première est le risque de "contamination" par les pressions contractuelles ou encore par la culture d'entreprise qui peuvent parfois éloigner les chercheurs de leur objet d'étude. Si la formulation et le suivi régulier d'un cahier des charges clair et précis peut permettre d'éviter les risques de contamination liés à la pression contractuelle, celle qui peut être générée par les représentations communément partagées au sein de l'entreprise ne peut quant à elle être maîtrisée que par l'organisation de plages régulières de "décontamination" durant lesquelles le chercheur s'éloigne du terrain de recherche pour en atténuer les influences sur les résultats. Le second risque est celui de la tentation du conseil chez le chercheur-intervenant. En effet, le risque pour le chercheur est de négliger la dimension scientifique de son action au profit de la dimension pratique. Le chercheur peu alors rapidement basculer vers un statut de consultant s'il "oublie" que les observations qu'il réalise et diagnostics qu'il pose à l'issue de leur analyse ne suffisent pas à elles seules à produire des connaissances.

Même si nous avons pris certaines précautions pour éviter la "contamination" de nos données en réalisant la rédaction de notre propos en partie en dehors des locaux du C.E.I., le temps important passé au contact direct des préventeurs durant les phases d'observation, de formation mais aussi durant les évènements organisés par le club (réunions mensuelles, formations, groupes de travail, etc.) et les liens particuliers que nous avons tissé avec les préventeurs de notre échantillon avec lesquels nous sommes parvenue à développer une réelle relation de confiance nous ont certes permis de développer des données très fines quant à la

185 compréhension de leur activité et leurs problématiques mais ont certainement un peu influencé nos analyses. L'immersion au cœur du terrain (dans les locaux du C.E.I.) durant une grande partie de la période de recherche a eu également tendance à nous éloigner durant certaines périodes de notre objet de recherche ce qui a eu pour conséquence d'allonger la durée de notre doctorat.

12.2.2. La non prise en compte de la gravité des écarts

Nous n'avons pas considéré, dans nos analyses, la variable "gravité" des levées des écarts. Ce choix méthodologique s'est justifié par notre souhait d'analyser l'atteinte de l'objectif prescrit par le M.A.S.E. selon lequel l'ensemble des écarts identifiés doit être levés à l'issue de la visite. Cependant certains échanges que nous avons pu avoir avec les préventeurs de notre échantillon nous laissent penser qu'ils ont tendance à redéfinir cet objectif difficilement tenable pour ne considérer comme impérativement à lever uniquement les écarts les plus graves. L'intégration d'une variable permettant d'évaluer le niveau de gravité de l'écart du point de vue du préventeur pourrait donc améliorer la pertinence de nos résultats.

12.2.3. Les lacunes de la méthode d'auto-confrontation pour l'analyse des ressentis

Une troisième limite de notre recherche renvoie à la méthode utilisée pour analyser les effets de la non atteinte des objectifs sur la santé des préventeurs. En effet, nous avons utilisé la même technique de verbalisation à savoir l'auto-confrontation assistée par vidéo pour analyser les composantes cognitives et émotionnelles de l'activité des préventeurs. Cependant, si les données ainsi recueillies nous ont permis d'identifier assez facilement les objectifs, les ressentis des préventeurs notamment à l'issue des séquences aboutissant à des échecs n'ont pas été beaucoup documentés lors des entretiens d'auto-confrontations.

Pour dépasser les difficultés d'accès aux ressentis et émotions des opérateurs interrogés, Cahour (2012) a développé une méthodologie d'auto-confrontation intégrant des relances empruntées à la technique d'entretien d'explicitation (Vermersch, 1994). L'entretien d'explicitation est une technique de verbalisation qui permet d'accéder à des contenus expérientiels dont le sujet n'est pas forcément conscient ou pour lesquels il a des difficultés à formuler naturellement une explicitation claire et partageable (Cahour, Brassac, Vermersch, Bouraoui, Pachoud, & Salembier, 2007). Il vise à créer des conditions permettant à l'opérateur de faire remonter à la conscience et de mettre en mots les évènements vécus cognitivement, affectivement et corporellement. Pour ce faire, il s'appuie sur quatre principes: questionner sans induire le contenu, aider à dévoiler le contenu de l'expérience en suivant certaines de ses propriétés structurales, ralentir le processus d'évocation pour permettre à l'activité réflexive de prendre place, ajuster le niveau de fragmentation si nécessaire pour permettre une description plus fine concernant certaines phases de l'activité. L'interviewer accompagne ainsi l'acte d'évocation en produisant ponctuellement des relances pour encourager la verbalisation en cours (reformulation par écho), focaliser sur un élément ("je vous propose de me parler de ce

moment qui a été intéressant pour vous"), élucider une succession d'actions élémentaires

réalisées ou rendre intelligible la production d'une action pour rendre compte de ce qui en a fait l'efficience ("peut être que vous voyez quelque chose à ce moment là , ou peut être pas?",

186 "vous ressentez peut-être quelque chose à ce moment là, ou peut être pas") ou réguler le flux afin de rattraper les écarts et tenter d'atteindre l'explicitation du ou des évènements qui l'intéresse (Armenoult, 2002).

L'intégration des relances d'entretiens d'explicitations lors des séquences d'auto-confrontations assistées par vidéo permet donc de conduire les opérateurs à expliciter plus aisément leur expérience corporelle, cognitive mais aussi émotionnelle (Cahour, Brassac, Vermersch, Bouraoui, Pachoud, & Salembier, 2007). Le développement de ce type de relance au cours des entretiens d'auto-confrontations visant à expliciter le contenu de l'activité réalisée durant les phases de visites de sécurité permettrait donc d'améliorer l'accès à la composante émotionnelle du travail des préventeurs et ainsi lever la troisième limite de notre recherche.