• Aucun résultat trouvé

Des conditions peu favorables à la réussite des résolutions collectives de problèmes

CHAPITRE 4. UN RAPPORT AU "TERRAIN" RENDU COMPLEXE PAR LA MÉTHODE

4.1. Les caractéristiques et limites de la méthode de visite de sécurité

4.1.3. Des conditions peu favorables à la réussite des résolutions collectives de problèmes

Nous venons de la voir, l'identification d'écarts à la prescription implique pour le préventeur de déclencher un processus du type "résolution de problème" afin de proposer une ou des solutions pour permettre de le réduire. Dans ce cadre, il lui est préconise d'intégrer les opérateurs à la phase de résolution de sorte à améliorer l'efficacité des solutions construites

65 puisque comme Coutarel et al. (2005) le soulignent, les actions de prévention des risques ne sont efficaces que si elles sont construites et portées par ceux qui les mettent en application. Ainsi, le préventeur doit initier au moment de la visite de sécurité un véritable processus de conception collective de solutions pour lever les écarts identifiés.

Après avoir présenté dans un premier paragraphe le modèle de la résolution de problème et dans un deuxième les différentes modalités de conception d'une solution, nous verrons dans une troisième partie que le processus de synchronisation cognitive nécessaire à la conception collective de solutions n'est possible que si le contexte dans lequel le processus de conception respecte certains critères qui ne semblent pas être présents lors des situations de visite de sécurité.

4.1.3.1. Modélisation du processus de résolution de problème

Un problème peut être défini comme une situation provoquée par la survenue d'un écart entre un état donné et un état but souhaité dans laquelle une personne doit trouver des moyens pour parvenir à atteindre le but escompté (Chi & Glaser, 1985).

Pour les Gestaltistes, la résolution de problèmes se fait en quatre étapes (Wallas, 1926): – La préparation qui correspond à l'étape durant laquelle le sujet prend conscience du

problème c'est à dire de l'écart entre l'état actuel de la situation et l'état désiré,

– L'incubation qui fait référence à la phase durant laquelle le sujet émet un certain nombre de solutions qui ne permettent pas de parvenir à la résolution de problème,

– L'illumination qui correspond à la phase au cours de laquelle le sujet trouve soudainement une solution au problème,

– La vérification, dernière étape de la phase de résolution de problème au cours de laquelle le sujet vérifie que la solution apparue soudainement permet effectivement d'atteindre le but escompté.

Si cette première modélisation a fait l'objet de nombreuses critiques, elle a permis d'attiser l'intérêt des chercheurs pour le processus de résolution de problèmes. Ainsi, Newell et al. (1959) ont proposé quelques années plus tard le General Problem Solver (GPS). Le modèle GPS propose une description du processus cognitif de résolution de problème en quatre étapes:

– La représentation du problème au cours de laquelle le sujet se construit une représentation mentale du problème (l'espace problème). Il pose alors l'état initial, l'état final et les diverses contraintes (mouvements impossibles à accomplir) du problème, – Le développement de la solution durant lequel le sujet décide d'une opération ou d'une

66 entre l'état initial et final attendu du problème. La pertinence de chacune des solutions proposées est alors évaluée et si besoin de nouvelles solutions sont développées,

– La mise en œuvre de la solution qui correspond à l'étape au cours de laquelle la (les) solution(s) sélectionnée(s) et évaluée(s) est (sont) effectivement mise(s) en application dans le but d'atteindre l'objectif fixé,

– L'évaluation de la solution, dernière étape de la résolution de problème durant laquelle le sujet fait le constat de l'atteinte ou non de l'état final visé. Cette évaluation ne concerne pas seulement les solutions mais aussi les contraintes évoquées quant à la mise en application de cette dernière (Visser, 2002). L'évaluation des contraintes induites par chacune des solutions permet de les prioriser et d'émettre un jugement d'acceptabilité ou de refus de celle-ci. L'évaluation a également fonction de contrôle sur le processus de résolution de problème. En effet, elle permet de réorienter le processus vers la recherche d'une nouvelle solution lorsque l'une d'entre elle est réfutée ou jugée trop contraignante. Si Visser (2002) considère le processus de développement de solution comme un processus de conception a proprement parlé, il explique qu'il peut être réalisé de deux manières différentes comme nous le verrons dans le prochain paragraphe.

4.1.3.2. Les deux modalités de conception d'une solution

Nous venons de l'évoquer, le processus de conception d'une solution peut se faire de différentes manières en fonction du niveau de connaissance du problème par l'opérateur chargé de sa résolution. Visser (2002) distingue ainsi deux modes de développement d'une solution:

– la réutilisation de solutions déjà présentes en mémoire après une éventuelle adaptation. Cette modalité peut être utilisée pour développer une solution uniquement si l'opérateur considère que le "problème-cible" c'est à dire le problème qu'il doit résoudre est similaire à un "problème-source" soit un problème déjà résolu dans le passé en réinvestissant une "solution-source" qui s'est avérée efficace. La "solution-source" est alors souvent adaptée de manière plus ou moins importante avant de pouvoir constituer la "solution-cible" efficace pour résoudre le "problème-cible" qui peut présenter quelques variantes par rapport au "problème-source". Ce mode de développement de solution induit donc un raisonnement par analogie,

– l'élaboration de solutions à partir des connaissances générales abstraites c'est à dire non spécifiques à un problème en particulier. Ce mode de développement de solution induit quant à lui un raisonnement déductif, une stratégie de type "fin et moyens" ou par "essais et erreurs".

67 Si ces modélisations de la résolution de problème et de la conception de solutions permettent de rendre compte des processus cognitifs mis en œuvre par un sujet chargé de résoudre individuellement un problème, il ne sont pas suffisants pour expliquer les processus sous- jacents aux phases de résolutions collectives de problèmes qui se trament au cours de la visite de sécurité. En effet, la résolution collective de problème implique des ajustements mutuels et débats techniques entre les différents acteurs pour permettre une convergence vers une solution acceptée de tous (Darses, 2009).

Nous détaillerons ce processus appelé synchronisation cognitive dans le prochain paragraphe.

4.1.3.3. Le processus de synchronisation cognitive

Pour Visser (2002; 2001), le processus de synchronisation cognitive est le processus par lequel les concepteurs établissent un contexte de connaissances mutuelles encore appelé référentiel opératif commun (De Terssac & Chabaud, 1990). La création d'un tel contexte leur permet de s'assurer que tous les participants à la conception disposent des mêmes données sur le problème, l'état de la solution, les hypothèses rejetées ou adoptées, les justifications concernant certaines décisions mais aussi sur le domaine d'application et les méthodes de conception utilisées. Ce processus est crucial pour l’approbation des solutions puisqu’un sujet a plutôt tendance à rejeter une solution pour laquelle il manque d'informations. La validation de la solution par l’ensemble des parties en présence semble essentielle lors des visites de sécurité. En effet, une solution proposée par le préventeur mais non validée par les opérateurs aura peu de chance d’être effectivement mise en œuvre et inversement, une solution proposée par les opérateurs mais non validée par le préventeur s’avère généralement peu recevable du point de vue de la réglementation en matière de sécurité. Le développement du processus de synchronisation cognitive est donc essentiel pour produire des solutions recevables du point de vue de la réglementation induisant le moins de contraintes et d’efforts possibles facilite leur mise en œuvre.

Le développement du processus de synchronisation cognitive est facilité si le contexte dans lequel la phase de résolution de problème prend place favorise:

– la construction et le maintien dynamique d'un espace référentiel commun qui correspond aux connaissances communes des acteurs sur les données du problème. Le partage de ces connaissances est facilité si les sujets ont possibilité de les externaliser par l'intermédiaire de médias du type plans, documents, procédures ou même vidéo,

– l'intégration des points de vue de chacun. En effet, chaque acteur porte en fonction de son domaine de spécialisation, de son métier ou encore de son statut une représentation du problème, des solutions et des contraintes qui lui sont propres. Ainsi, plus le contexte favorise la libre expression de chacun des acteurs impliqués dans le processus de résolution et plus la solution sera acceptée par l'ensemble des parties en présence,

68 – la prise de décision collective. Pour ce faire, le contexte doit favoriser l'examen réciproque des savoirs de chacun des acteurs de sorte à créer une vue systémique du problème et de sa résolution. Ainsi, les prescriptions de chacun sont organisées au cours des échanges. Si la combinaison des prescriptions est jugée recevable par le groupe cette dernière fait l'objet d'un accord entre les participants. La décision peut être consignée par écrit (par la rédaction d'un compte-rendu par exemple) ou être validée verbalement par la manifestation de l'accord de l'ensemble des participants. Cependant son adoption définitive n'est confirmée que lors de sa mise en œuvre effective. Cette prise de décision collective est favorisée par un contexte dans lequel la temporalité du processus impose peu de contraintes sur la décision. Ainsi, si les phases de résolution de problèmes opérées au cours des groupes de travail inscrits dans des projets longitudinaux de conception (d'artefact, d'organisation ou encore de procédure) ne sont en général pas fortement soumises aux contraintes temporelles, celles qui prennent place dans le cadre de supervision de processus dynamiques ou encore de situations de management y sont beaucoup plus soumises ce qui leur confère un caractère moins favorables à la mise en œuvre d'un réel processus de prise de décision collective.

Nous verrons dans le prochain paragraphe que les conditions de réalisation de la visite de sécurité prescrites par le M.A.S.E. ne semblent pas permettre d’obtenir un tel contexte.

4.1.3.4. Des conditions peu favorables au développement de la synchronisation cognitive

Mise à part la phase de rédaction du compte-rendu, toutes les phases de visites de sécurité sont réalisées sur le terrain (Dodier, 1986; Blondé, 2009). Les séquences de résolution de problèmes qui se tiennent à l'issue de la mise en évidence des écarts à la prescription sont donc réalisées sur le chantier dans un contexte temporel le plus souvent soumis à des contraintes importantes de production donc peu favorables aux prises de décision collectives. De plus, le plus souvent aucun artefact permettant l'externalisation n'est utilisé lors de ces séquences pour faciliter le partage des connaissances. En effet, si Rousseau (2001) a montré que certaines visites de sécurité étaient réalisées à l'aide de supports de type check-list permettant d'identifier plus facilement les écarts à la prescription et d'éviter les oublis, aucun autre artefact ne semble y être utilisé pour faciliter le partage des connaissances. Le contexte de réalisation des visites de sécurité ne favorise donc pas non plus la construction et le maintien de l'espace référentiel commun.

Ces éléments nous permettent de dire que le contexte dans lequel sont réalisées les visites de sécurité n’est pas particulièrement favorable à la synchronisation cognitive. Les solutions produites dans un tel contexte doivent donc faire moins souvent l’objet d’un consensus entre l’ensemble des parties que dans un contexte favorisant la synchronisation cognitive rendant les phases de résolution de problèmes réalisées durant les visites de sécurité peu performantes.

69 Si un tel manque de performance génère inévitablement des problématiques en matière de sécurité puisqu’à l’issue des visites des écarts perdurent, nous verrons dans le prochain paragraphe qu’il peut également induire des problématiques de santé pour le préventeur.