par leurs plumes ou pinceaux, se sont fait entendre. Pendant que certains d’entre
dénoncent les atrocités de ce monde belliqueux, d’autres s’enrôlent dans la démarche de
reconstruction d’un espoir pour donner un sens à la vie. Cette quête de l’idéal comme
toile de fond dans la plupart de ses ouvrages est un combat du quotidien, une privation,
139
d’une identification avec la détresse éprouvée par ces milliers de victimes du marasme
économique. Il s’agit d’un manquement auquel Steinbeck souhaiterait apporter une
réponse face au vide moral creusé par la cupidité du milieu des affaires et le
consumérisme ambiant. Le choix de cette quête dans ses ouvrages est un artifice pour
livrer un message d’espérance et de consolation. Il s’agit d’une manière pour Steinbeck
de restaurer la confiance dans l’avenir. Cette forme d’idéalisation s’inscrit dans la
perspective de surmonter les aléas de la vie ; c’est une manière de suggérer un antidote
salutaire pour supporter l’épreuve de la réalité. En effet, le discours de Steinbeck est
rassembleur dans la mesure où il révèle un monde diversifié et multiculturel rempli
d’ouvriers, de migrants et de bannis, à l’instar des pêcheurs, des Chinois, des
Indien-Mexicains, des vagabonds et des ouvriers de Monterey. Le monde magique, naïf et
irrationnel de l’enfance est perdu à jamais. Pour cette raison, la plupart des ouvrages de
Steinbeck montrent une attention particulière aux gens d’autres cultures qui ne sont pas
représentés par beaucoup d’écrivains américains de la même période.
Dans ses ouvrages (Cannery Row, The Pearl, Tortilla Flat), Steinbeck rejette la
structure narrative traditionnelle des romans réalistes. Ainsi, il s’agit pour lui d’exprimer
un discours universaliste capable d’unifier les gens de toutes cultures afin qu'ils puissent
mieux se comprendre mutuellement. Dans The Pearl, Steinbeck met en scène la vie d’une
famille mexicaine qui essaie de survivre dans une société raciste et cupide. L’idéal de
Steinbeck dans ce roman est à chercher dans l’unité des cœurs des diverses cultures et des
individus de différentes classes sociales qui peuplent la société de La Paz. En revanche,
on peut d’emblée penser à une particularisation d’une communauté (les Indiens). Cette
particularisation est un « vouloir-dire » qui est également un métalangage se donnant à
lire comme mode de signification sur le sens qu’il comporte. Mais dans la
particularisation de la communauté indienne, il y a aussi un plaisir ou une perte qui se fait
sentir. Dans ce roman, le sens n’est pas plaqué, mais plutôt représenté. La représentation
des Indiens reflète l’expérience d’une stabilité perdue et d’un équilibre à chercher. Cela
signifie davantage que plus le désordre et le déséquilibre se trouvent montés en spectacle
plus l’émotion née de l’écriture de la perte devient forte. En effet, la fonction explicite du
langage est de ce fait référentielle, et l’esthétisation du réel proposée par Steinbeck
reprend à la base les structures de la communication et de l’information de type cognitif.
C’est le cas notamment de la description au début de The Pearl qui se rapporte au cadre
spatio-temporel de la vie sociale et économique de Kino.
140
Toutefois, si la description préliminaire est explicitement produite pour émouvoir le
destinataire immédiat, elle n’est en fait qu’un autre soi-même. Dès lors le message
devient subjectif. On s’aperçoit dès le début du roman la charge émotionnelle de la
description, en particulier, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’appartenance ethnique de Kino et
sa situation économique. Comment ne pas voir dans l’attachement de Steinbeck à décrire
ces petites communautés qui font le charme de sa société ? Cette description qui se situe
entre fonction référentielle et fonction expressive témoigne véritablement du sort et de la
condition des travailleurs mexicains, mais rend compte également des choix et de la
sensibilité de Steinbeck. Il utilise Kino et Juana comme symbole de la communauté dans
laquelle ils vivent. Il apparaît d’ailleurs que cette réalité n’est qu’un passé auquel se livre
l’écrivain, voire la parfaite harmonie perdue d’une vie passéiste. Il s’agit d’évoquer ici la
cohésion de l’héritage culturel américain. L’écriture étalée dans The Pearl devient un
mode de dévoilement de « l’innocence américaine », c’est-à-dire l’expression de la
permanence d’un idéalisme culturel qui fait de l’Amérique un lieu de confluence
culturelle entre les peuples. Au-delà des thèmes qui foisonnent dans ce texte,
dénonciation, ségrégation, jalousie, avidité et calomnie, le tout couronné par la quête d’un
idéal, Steinbeck nous livre un regard acerbe et désabusé sur les relations humaines, dans
un texte définitivement intemporel. Tout se passe comme si derrière cette critique,
Steinbeck voulait mettre en exergue la recherche d’un idéal de vie. Le prologue de The
Pearl semble aller dans ce sens, même si Steinbeck se réserve la liberté de dicter un sens
au texte : « If this story is a parable, perhaps everyone takes his own meaning from it and
reads his own life into it » (PL, 9). En adoptant un discours hypothétique, le plus souvent
impartial, on peut dire que Steinbeck laisse libre cours à l’interprétation.
Dans Tortilla Flat, il fait refluer cet idéalisme dans un récit haut en couleurs et
agrémenté de beuveries, d’amours et d’amitiés indéfectibles. Le choix de Steinbeck de
mettre en évidence la vie des paisanos n’est que le signe nostalgique d’une vie simple,
innocente et sincère, et loin de la technologie moderne. Dans ce roman, la quête de l’idéal
se trouve dans cette vie simple dépourvue de toute compétition matérielle ignoble. Le
désir de mettre en scène cet idéal de vie est incarné par Danny. Bien qu’il soit dépeint
dans de nombreuses situations scandaleuses dans le premier chapitre, il n’en demeure pas
moins que son fondement moral solide est constamment rappelé. À titre d’exemple,
lorsqu’il arrive à Danny de voler les restes de nourriture du restaurant, il se sent ensuite
coupable et promet de rembourser le restaurateur. Cependant, sa culpabilité est
141
réconfortée par la connaissance que la nourriture allait être jetée de toute façon comme
Dans le document
Esthétique, politique et éthique : la création littéraire dans l’œuvre romanesque de John Steinbeck
(Page 139-142)