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En outre, il est possible de souligner que le XX ème siècle est marqué par les régimes totalitaires et fascistes qui ont à vrai dire poussé les écrivains et artistes de l’époque qui,

par leurs plumes ou pinceaux, se sont fait entendre. Pendant que certains d’entre

dénoncent les atrocités de ce monde belliqueux, d’autres s’enrôlent dans la démarche de

reconstruction d’un espoir pour donner un sens à la vie. Cette quête de l’idéal comme

toile de fond dans la plupart de ses ouvrages est un combat du quotidien, une privation,

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d’une identification avec la détresse éprouvée par ces milliers de victimes du marasme

économique. Il s’agit d’un manquement auquel Steinbeck souhaiterait apporter une

réponse face au vide moral creusé par la cupidité du milieu des affaires et le

consumérisme ambiant. Le choix de cette quête dans ses ouvrages est un artifice pour

livrer un message d’espérance et de consolation. Il s’agit d’une manière pour Steinbeck

de restaurer la confiance dans l’avenir. Cette forme d’idéalisation s’inscrit dans la

perspective de surmonter les aléas de la vie ; c’est une manière de suggérer un antidote

salutaire pour supporter l’épreuve de la réalité. En effet, le discours de Steinbeck est

rassembleur dans la mesure où il révèle un monde diversifié et multiculturel rempli

d’ouvriers, de migrants et de bannis, à l’instar des pêcheurs, des Chinois, des

Indien-Mexicains, des vagabonds et des ouvriers de Monterey. Le monde magique, naïf et

irrationnel de l’enfance est perdu à jamais. Pour cette raison, la plupart des ouvrages de

Steinbeck montrent une attention particulière aux gens d’autres cultures qui ne sont pas

représentés par beaucoup d’écrivains américains de la même période.

Dans ses ouvrages (Cannery Row, The Pearl, Tortilla Flat), Steinbeck rejette la

structure narrative traditionnelle des romans réalistes. Ainsi, il s’agit pour lui d’exprimer

un discours universaliste capable d’unifier les gens de toutes cultures afin qu'ils puissent

mieux se comprendre mutuellement. Dans The Pearl, Steinbeck met en scène la vie d’une

famille mexicaine qui essaie de survivre dans une société raciste et cupide. L’idéal de

Steinbeck dans ce roman est à chercher dans l’unité des cœurs des diverses cultures et des

individus de différentes classes sociales qui peuplent la société de La Paz. En revanche,

on peut d’emblée penser à une particularisation d’une communauté (les Indiens). Cette

particularisation est un « vouloir-dire » qui est également un métalangage se donnant à

lire comme mode de signification sur le sens qu’il comporte. Mais dans la

particularisation de la communauté indienne, il y a aussi un plaisir ou une perte qui se fait

sentir. Dans ce roman, le sens n’est pas plaqué, mais plutôt représenté. La représentation

des Indiens reflète l’expérience d’une stabilité perdue et d’un équilibre à chercher. Cela

signifie davantage que plus le désordre et le déséquilibre se trouvent montés en spectacle

plus l’émotion née de l’écriture de la perte devient forte. En effet, la fonction explicite du

langage est de ce fait référentielle, et l’esthétisation du réel proposée par Steinbeck

reprend à la base les structures de la communication et de l’information de type cognitif.

C’est le cas notamment de la description au début de The Pearl qui se rapporte au cadre

spatio-temporel de la vie sociale et économique de Kino.

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Toutefois, si la description préliminaire est explicitement produite pour émouvoir le

destinataire immédiat, elle n’est en fait qu’un autre soi-même. Dès lors le message

devient subjectif. On s’aperçoit dès le début du roman la charge émotionnelle de la

description, en particulier, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’appartenance ethnique de Kino et

sa situation économique. Comment ne pas voir dans l’attachement de Steinbeck à décrire

ces petites communautés qui font le charme de sa société ? Cette description qui se situe

entre fonction référentielle et fonction expressive témoigne véritablement du sort et de la

condition des travailleurs mexicains, mais rend compte également des choix et de la

sensibilité de Steinbeck. Il utilise Kino et Juana comme symbole de la communauté dans

laquelle ils vivent. Il apparaît d’ailleurs que cette réalité n’est qu’un passé auquel se livre

l’écrivain, voire la parfaite harmonie perdue d’une vie passéiste. Il s’agit d’évoquer ici la

cohésion de l’héritage culturel américain. L’écriture étalée dans The Pearl devient un

mode de dévoilement de « l’innocence américaine », c’est-à-dire l’expression de la

permanence d’un idéalisme culturel qui fait de l’Amérique un lieu de confluence

culturelle entre les peuples. Au-delà des thèmes qui foisonnent dans ce texte,

dénonciation, ségrégation, jalousie, avidité et calomnie, le tout couronné par la quête d’un

idéal, Steinbeck nous livre un regard acerbe et désabusé sur les relations humaines, dans

un texte définitivement intemporel. Tout se passe comme si derrière cette critique,

Steinbeck voulait mettre en exergue la recherche d’un idéal de vie. Le prologue de The

Pearl semble aller dans ce sens, même si Steinbeck se réserve la liberté de dicter un sens

au texte : « If this story is a parable, perhaps everyone takes his own meaning from it and

reads his own life into it » (PL, 9). En adoptant un discours hypothétique, le plus souvent

impartial, on peut dire que Steinbeck laisse libre cours à l’interprétation.

Dans Tortilla Flat, il fait refluer cet idéalisme dans un récit haut en couleurs et

agrémenté de beuveries, d’amours et d’amitiés indéfectibles. Le choix de Steinbeck de

mettre en évidence la vie des paisanos n’est que le signe nostalgique d’une vie simple,

innocente et sincère, et loin de la technologie moderne. Dans ce roman, la quête de l’idéal

se trouve dans cette vie simple dépourvue de toute compétition matérielle ignoble. Le

désir de mettre en scène cet idéal de vie est incarné par Danny. Bien qu’il soit dépeint

dans de nombreuses situations scandaleuses dans le premier chapitre, il n’en demeure pas

moins que son fondement moral solide est constamment rappelé. À titre d’exemple,

lorsqu’il arrive à Danny de voler les restes de nourriture du restaurant, il se sent ensuite

coupable et promet de rembourser le restaurateur. Cependant, sa culpabilité est

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réconfortée par la connaissance que la nourriture allait être jetée de toute façon comme