article : « Dubious Battle in California » publié à l’autonome 1936 dans The Nation. Dans
cet article, Steinbeck dévoile les prémices de son engagement politique dans la lutte des
causes défavorisées. Lespréoccupations des ouvriers pauvres semblent guider sa plume à
telle enseigne qu’il publie entre 1936 et 1938 des textes dont le sens et la résonance ont
mené à la production des ouvrages comme In Dubious Battle et The Grapes of Wrath.
Les deux ouvrages apparaissent comme une confirmation de la maturité du style de
Steinbeck à cause de leurs structures narratives et leurs messages politiques. Si Steinbeck
est considéré comme un progressiste et un intellectuel du « New Deal », c’est parce qu’il
91 Katharine A. Rodger, Renaissance Man of Cannery Row: The Life and Letters of Edward F. Ricketts, op.
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a défendu le programme de Roosevelt pour aider les pauvres. De plus ces textes rentrent
dans une véritable démarche de dévoilement contre l’oppression du bas-peuple par les
grands patrons financiers. Dans ce dynamisme, il publie dans le San Francisco News
92sept articles sur les migrants de Californie. Toutefois, les derniers sont amputés de
quelques sections qui vont donner par la suite l’édition d’un pamphlet intitulé : Their
Blood Is Strong en 1938. Les articles complets sont finalement parus dans The Harvest
Gypsies, On the Road to The Grapes of Wrath. Essentiellement, Steinbeck approfondit les
idées de son article paru dans The Nation
93. L’intention de Steinbeck de publication d’un
autre article dans Life ne voit pas le jour car il semble le juger probablement trop
progressiste
94. Cependant, il finit par le publier dans le Monterey Trader le 15 avril 1938
sous le titre « Starvation Under the Orange Trees».
95Cet article parut aussi comme
épilogue dans Their Blood isStrong
96. Le titre contribue d’ailleurs au caractère générique
de la nouvelle lequel permet à Steinbeck de dénoncer la famine qui sévissait en
Californie. Le ton est encore plus féroce que dans les précédents articles. Selon
Steinbeck, dire que la malnutrition est la cause de la mort des fermiers migrants s’avère
aberrante puisque c’est plutôt la famine car plusieurs personnes n'avaient rien à manger.
Cela a entraîné des maladies chez les migrants comme la pneumonie et la tuberculose. Il
précise que les propriétaires en ont profité car les fermiers migrants ont accepté ainsi un
emploi à n'importe quel salaire.
Dans cette perspective, Steinbeck évoque les vagues d’immigrations mexicaines et
leur condition de vie misérable. Il en est de même de la situation des migrants provenant
du « Midwest » qui ont été expulsés par les banques qui trouvent moins coûteux de payer
un tracteur pour faire le travail de dix familles de métayers. Dans The Grapes of Wrath, la
mise en scène des conditions misérables des immigrés s’inscrit dans une approche de
restitution de la vérité. Steinbeck pousse à son paroxysme les conditions d’existence des
travailleurs saisonniers. Dans le chapitre XVI, il déplore la déshumanisation des
92 La publication de ces articles s’est fait en octobre 1936. In Peter Lisca, John Steinbeck: Nature and
Myth, op. cit., p. 89.
93 (Le pamphlet fut publié par la Simon 1. Lubin Society, du nom du progressiste qui aida les travailleurs
des fermes. Steinbeck lui-même donna son nom à une société pour aider ces travailleurs. En effet, en 1938, John Steinbeck Commiltee to Aid Agricultural Organization fut formée par l’actrice et futur membre du
Congrès Helen Gahagan Douglas. In John Steinbeck, The Harvest Gypsies, On the Road to The Grapes of
Wrath, Berkeley, Heyday Books, 1988, p. v. viii, ix, xiii et xiv.).
94 . John Steinbeck. The Harvest Gypsies,op. cit., p. 161-162.
95In America and Americans and Selected Nonfiction, Susan Shillinlaw & Jackson J. Benson (éd.), New York, Viking, 2002, p. 66. 54.
96John Steinbeck, Their Blood IsStrong, San Francisco, California, Simon 1. Lubin Society of California,
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immigrés par un système capitaliste dégradant comme il le fait remarquer : « Horse is a
hell of a lot more worth than men » (GOW, 358). La démarche de Steinbeck est très
critique en ce qu’elle souligne les conditions avilissantes des travailleurs saisonniers.
Comment peut-on expliquer un tel avilissement ? Peut-être parce que les riches
propriétaires terriens sont vicieux et cupides. Dans son article « Starvation Under the
Orange Trees », Steinbeck prédit de manière semblable que la faim serait transformée en
rage et la rage en furie
97. L’article est à l’origine de la production de The Grapes of
Wrath, qui est une version révisée et romancée et peut se lire comme une fresque de la
misère et de l’injustice de milliers de travailleurs saisonniers. C’est en ce sens que
Steinbeck écrit aussi en 1938 une lettre publiée dans l’ouvrage Writers Take Sides, un
recueil de lettres d’écrivains américains à propos de la guerre d’Espagne. Il raconte la
présence en Californie de fascistes et leurs incivilités envers les immigrés qui ont été la
cible de gaz lacrymogène. La démarche de Steinbeck va à l’opposé de toutes formes de
domination comme le rapporte Brand Millen :
I am reasonable enough not to believe in the liberty of a man or a group to exploit, torment, or slaughter other groups. I believe in the despotism of human life and happiness
against the liberty of money and possessions98.
Steinbeck fait preuve d’intérêt ardent dans la relation entre l’homme et la terre. En
explorant les notions de mythe et de biologie, cet intérêt est perceptible progressivement
dans ses ouvrages comme un facteur de maturation. Grâce aux enquêtes sur le terrain et la
lecture liminaire en préparation pour ses articles, il se soumet personnellement à
l’expérience des migrants, en vivant et en travaillant avec eux. C’est ce qui lui permet
d’élargir considérablement la portée de ses champs d’étude, en incluant l’économie et la
politique dans un sens plus large. Probablement, l’expérience de ses enquêtes sur le
terrain est plus significative que son expérience universitaire, quoi que cette dernière
constitue un atout comme le précise Frank William Watt :
[His experience] confirmed rather than weakened his sense of solidarity with working men and women (as opposed to artists, intellectuals, and the wealthy) whose labours,
deprivations and amusements he shared99.
97Ibid.,pp. 83-87.
98In Brand Millen (dir.), Writers Take Sides: Letters about the War in Spain from 418 American Writers,
New York, League of American Writers, 1938, p. 56-57.
99 Frank William Watt, Steinbeck, London, Oliver and Boyd Ltd., 1962, p. 6. C’est moi qui met les