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Positionnement méthodologique : l’aide à la décision

Nous inscrivons notre démarche de recherche dans une méthodologie d’aide à la décision. L’aide à la décision est devenue un élément important du processus de prise de décision dans de nombreux contextes commerciaux, industriels et gouvernementaux, car elle permet d'appréhender de façon systématique la complexité toujours grandissante des problèmes de gestion auxquels est confronté tant le secteur privé que public.

Nous nous référons à la définition de l’aide à la décision donnée par Roy (1985), qui précise que l’aide à la décision peut être définie comme « l’activité de celui qui, par des voies dites scientifiques, aide à obtenir des éléments de réponses à des questions que se posent des acteurs impliqués dans un processus de décision, en vue de favoriser un comportement des acteurs de nature à accroître la cohérence entre l’évolution du processus d’une part, les objectifs et le système de valeurs au service desquels ces acteurs se trouvent placés d’autre part ». Nous retrouvons bien dans cette définition l’approche scientifique qui a guidé notre proximité avec la méthode hypothético-déductive et le lien fort avec les acteurs qui est présent dans la recherche-intervention. La juxtaposition dans notre recherche de ces deux éléments justifie l’emploi d’une méthodologie d’aide à la décision.

Dans une approche d’aide à la décision nous ne devons pas simplement trouver quelle est la méthode la plus appropriée pour traiter le problème du client. Il faut, avec l’industriel, construire une représentation de la situation problématique, formuler un problème formel avec le consensus du client et enfin construire le modèle d’aide à la décision approprié. Dans ce processus, il y a une dimension d’apprentissage qui est fondamentale (Bouyssou et al. 2000). Les modèles que nous allons construire sont le résultat d’un processus d’apprentissage mutuel, qui n’est pas sans rappeler la théorie de l’apprentissage en double boucle de Argyris & Schön (1978) : le demandeur apprend à comprendre son problème d’un point de vue abstrait et formel et nous apprenons à comprendre le problème du demandeur du point de vue de celui-ci. Rien n’est donc donné et tout est à construire, le construit étant générique. Le processus d’aide à la décision suivi dans notre recherche peut être décrit de la manière suivante. Au départ, l’entreprise Renault a demandé notre intervention sur un problème perçu par ses dirigeants, nous avons dans un premier temps eu à le comprendre. Pour cela, il a fallu tisser des liens étroits avec les différents métiers impliqués. Puis, nous avons formulé le problème tel que nous le voyons, en accord avec nos interlocuteurs. Enfin, nous avons cherché des solutions au problème formulé. Nous avons utilisé des approches analytiques ainsi que des simulations, que ce soit à titre d’illustrations ou quand une résolution analytique n’était pas possible. Il s’en est suivi des recommandations faites à l’entreprise.

Nous inscrivons donc notre démarche de recherche dans l’approche de Roy (1990) pour qui « suivre la voie constructiviste consiste à considérer les concepts, les modèles, les procédures comme des clés capables (ou non) d’ouvrir certaines serrures susceptibles (ou non) de convenir pour organiser et faire évoluer une situation ». Il précise également que « l’objectif n’est pas de découvrir une vérité existante extérieurement aux acteurs impliqués dans le processus mais de construire un ‘jeu de clés’ qui leur ouvrira des portes et leur permettra de cheminer, de progresser conformément à leurs objectifs et à leurs systèmes de valeurs ».

D’autres définitions de l’aide à la décision existent. Pour Tsoukiàs (2008), elle peut être définie comme l'ensemble des méthodes et techniques rationnelles d'analyse et de synthèse des phénomènes d'organisation utilisables pour élaborer de meilleures décisions. Elle vise à l'amélioration du fonctionnement des entreprises et des organismes publics par l'application de l'approche scientifique. Reposant sur l'utilisation de méthodes scientifiques et de techniques spécialisées, elle permet d'obtenir une évaluation quantitative des politiques, stratégies et actions possibles dans le cours des opérations d'une organisation ou d'un système.

Il s’agit d’une vision très quantitative de l’aide à la décision. Nous préférons donc nous inscrire dans le cadre de la définition de Roy bien que notre travail soit en partie quantitatif, car il a une portée beaucoup plus générale.

L’approche de l’aide à la décision présente plusieurs avantages pour notre recherche, nous pouvons en particulier mentionner les suivants :

- Elle permet à tous ceux qui participent au processus de décision de parler le même langage, ce qui, a priori, augmente la transparence du processus et la participation (Bana e Costa et al. 2001). Il en est par exemple ainsi avec les définitions que nous donnons des termes de capacité disponible et de capacité effective.

- Elle permet d’identifier des structures sous-jacentes aux problèmes traités et permet donc de réutiliser ces structures (Vallin & Vanderpooten 2002). Nous pouvons prendre l’exemple de la mise en évidence et de l’utilisation de la loi multinomiale pour montrer la variation quotidienne obligatoire des volumes demandés chaque jour pour chaque référence alternative d’un même ensemble.

- Elle évite les biais du raisonnement humain dus à la tradition et à la formation (Rivett 1994). Par exemple, il était communément admis à Renault qu’un fournisseur éloigné ou bien un fournisseur de rang 2 ou plus ne pouvait pas détenir d’informations fermes à cause du délai de transport (ou de la somme des délais de transport pour des fournisseurs qui ne sont pas de premier rang). Or, ceci est faux car les informations fermes en leur possession dépendant des réquisitions qui leur sont envoyées, ils peuvent très bien disposer de jours d’informations certaines (d’ailleurs, ils détiennent au minimum un jour de demandes connues).

- Elle évite les erreurs associées à une mauvaise utilisation d’une méthode formelle. Une illustration en est l’utilisation observée à Renault (de même que chez PSA) de formules pour déterminer le niveau des stocks de sécurité à détenir pour éviter une rupture d’approvisionnement de la chaîne de montage des véhicules qui ne prend pas en compte l’ensemble des paramètres nécessaires.

La validation des connaissances produites dans le cadre de cette thèse se fait de deux manières complémentaires : par la communauté de chercheurs et par l’entreprise Renault. Les réflexions menées sont axées sur le cas de Renault et doivent être utilisables sur le terrain, elles sont également généralisables sans difficulté. L’approche de l’aide à la décision répond bien à cette double exigence. Roy (1990) précise ainsi que « le fait qu’une prescription élaborée à partir de concepts, modèles et/ou procédures ait été acceptée et ait donné satisfaction ne constitue en rien une validation de ces concepts, modèles et/ou procédures. De même, un rejet de la prescription ne peut pas être regardé comme une réfutation (au sens de Popper) de ces concepts, modèles et/procédures. On peut leur reconnaître une valeur dès lors que :

- une communauté de recherche suffisamment large s’y intéresse ;

- il existe un type de tissus décisionnels dans le cadre duquel on peut constater leur caractère productif d’idées, de manifestations, de phénomènes en rapport avec la décision. »

Comme tout au long de cette thèse, nous allons dresser un bilan récapitulatif des principaux enjeux du chapitre. Chaque chapitre de cette thèse sera clos de la sorte.

IV. Bilan du chapitre I

Notre recherche dispose d’un ancrage évident sur le terrain. Notre présence dans l’organisation pendant un laps de temps conséquent est une condition indispensable à la compréhension fine et à la prise en compte de toutes les dimensions liées au fonctionnement concret des organisations. Notre recherche a cependant été conduite dans un temps bref par rapport aux recherches habituelles menées en entreprise en sciences de gestion. Notre méthodologie n’entre pas dans le paradigme des recherches hypothético-déductives ou de recherche-intervention. Elle tient compte de la réalité du fonctionnement des organisations. Les résultats sont directement mobilisables par les praticiens du domaine.

Cependant notre démarche reste générale, elle n’est pas contingente à l’entreprise étudiée. Nous mettons en avant des principes de fonctionnement qui sont basés sur des réflexions théoriques. Les éléments mobilisés dans le cadre de notre recherche font partie du corpus scientifique usuel. Les propositions qui en découlent entrent donc également dans ce cadre théorique. La généralisation à toute organisation produisant en masse des produits fortement diversifiés ne pose aucun problème. Les méthodes d’analyse proposées sont utilisables par l’ensemble des chercheurs du domaine.

C’est donc l’objet de recherche qui induit la méthodologie. La démarche de recherche choisie est en adéquation avec l’objet de cette recherche.

Chapitre II. Les enjeux théoriques du