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Section 1 Des éléments de réflexivité : épistémologie, démarche et « présupposés

1. Un positionnement interprétatif

La question du statut de la connaissance est intrinsèquement liée au statut ontologique que reconnaît le chercheur à la réalité qu’il étudie. En conséquence, nous nous intéresserons d’abord au statut de la réalité pour ensuite aborder la question du statut de la connaissance. Une réflexion sera menée sur la nature du « chemin de la connaissance » que nous avons emprunté, ce qui permettra de préciser notre positionnement épistémologique. En dernier lieu, la question de la validation de la recherche sera abordée.

1.1. La réalité appréhendée comme un construit social

Dans la lignée de la pensée « traditionnelle » positiviste, la réalité a une ontologie, elle a une existence en soi : elle est objective et indépendante du chercheur qui l’étudie. L’existence de ce dualisme fondamental entre objet étudié et sujet étudiant implique que les résultats d’une recherche devront répondre au « critère de vérité » : « sera vraie une proposition qui décrit effectivement la réalité » (Le Moigne, 2002, p. 118). Les positivistes associent à ce principe ontologique un autre principe : celui de « l’univers câblé » (Le Moigne, 2002), en vertu duquel la réalité est mue par des lois naturelles. Dès lors, le rôle du chercheur est de repérer ces lois qui structurent la réalité ; la démarche de recherche est causale et vise à mettre en évidence la chaîne des causes à effets (Perret et Séville, 2007).

Si la réalité est considérée par les positivistes comme étant objectivement appréhendable, des alternatives ont été envisagées. Ainsi, Kant (2006) en a une approche quelque peu différente : si la réalité étudiée a bien une existence indépendante de celle du chercheur (réalité nouménale) – et plus largement de tout un chacun –, l’homme n’est fondamentalement pas capable de saisir

l’essence de cette réalité, il ne peut qu’en avoir une représentation mentale imparfaite, il appréhende des phénomènes :

« Un phénomène est le mode d’apparition interne des choses dans la conscience (De Bruyne et al., 1974 : 73). Il n’y a donc pas de connaissance objective de la réalité. Chercher à connaître la réalité objectivement est une utopie. On ne peut que se la représenter voire la construire. » (Perret et Séville, 2007, p. 19).

Il s’agit du principe de représentabilité (Le Moigne, 2002). En conséquence, le chercheur ne peut plus accéder à une réalité ontologique, il peut simplement accéder aux représentations de la réalité que lui (ou des acteurs qu’il étudie) s’en fait (font). Il n’a accès qu’aux phénomènes. Cela conduit Usunier et al. (2000) à opposer le paradigme phénoménologique au paradigme positiviste. Dans ce paradigme phénoménologique, la réalité n’est appréhendable que de manière subjective. En conséquence, il ne peut plus exister d’indépendance entre objet étudié et sujet étudiant. Cela conduit à l’hypothèse relativiste qui s’oppose à l’hypothèse réaliste (le principe ontologique) : objet étudié et sujet étudiant sont dépendants l’un de l’autre.

Si la position kantienne présuppose qu’il existe une réalité essentielle – nouménale – certes inatteignable, d’autres ont une approche plus subjectiviste. En effet, ils considèrent la réalité comme étant subjective par nature à l’instar de Husserl (1931), de Berger et Luckman (2006), de Schütz (1967) ou de Garfinkel (1967). Husserl (1931), Garfinkel (1967) mais aussi Schütz (1967) s’intéressent surtout à l’expérience de la réalité que vivent les individus. Schütz, Berger et Luckman ne s’arrêtent cependant pas à ce simple constat : « chaque individu a une vision différente de ce qu’est la réalité ». Ils vont plus loin en considérant que si la réalité est par nature subjective, elle est également objectivée, soit au travers des interactions sociales (Schütz, 1967), soit au travers de processus d’institutionnalisation et de légitimation (Berger et Luckman, 2006). Berger et Luckman (2006) et Schütz (1967) approchent la réalité comme étant à la fois objective et subjective, socialement construite. La différence perceptible entre ces auteurs est que Schütz envisage le caractère construit de la réalité plutôt d’un point de vue microsociologique alors que Berger et Luckman l’abordent plutôt de manière macrosociologique.

Il faut préciser que le caractère objectif que reconnaissent Schütz, Berger et Luckman à la réalité est de nature sociale, par opposition à l’acception que peuvent avoir les positivistes de l’objectivité, qui est naturelle et extérieure à l’homme. Ainsi, dans le cadre d’une réalité construite, l’objectivité de cette dernière se matérialise par l’existence d’une connaissance

intersubjectivement partagée. En conséquence, l’homme ne subit plus la réalité, il n’est plus déterminé, il contribue à construire la réalité sociale : l’hypothèse déterministe propre au positivisme tombe au profit d’une hypothèse intentionnaliste (Perret et Séville, 2007).

Le tableau suivant reprend les différents statuts attribués à la réalité en tant qu’objet d’étude :

Tableau n°4 Statuts de, et modes d’accès à la réalité

Statut de la réalité Réalité objective Réalité nouménale inaccessible Réalité subjective Réalité socialement construite : subjective et objective Objet effectivement étudié Lois

naturelles Phénomènes Expériences

Expériences, institutions, interactions, etc. Dans la tradition de… Auguste Comte Kant Husserl, Garfinkel Schütz, Berger et Luckman

Dans le cadre de cette recherche et dans la suite logique du chapitre précédent, la réalité est appréhendée comme étant socialement construite, comme étant à la fois objective (socialement parlant) et subjective. Aussi, la recherche s’intéressera à la subjectivité des acteurs – la représentation qu’ils ont du monde dans lequel ils évoluent et la représentation qu’ils ont du fonctionnement des comités d’audit – et à la rencontre de ces subjectivités, objectivant la réalité.

Il faut préciser que nous n’avons pas décidé en amont de la recherche et de manière délibérée du statut que nous accordons à la réalité étudiée (Covaleski et Dirsmith, 1990). Au contraire, c’est au travers de multiples lectures et d’une réflexivité au cours de la recherche que nous avons pris conscience de ce point. Il faut toutefois préciser qu’il était prévisible que nous accordions à la réalité un tel caractère dans le sens où nous avons été fortement influencées par le courant interprétatif ou socio-organisationnel de la comptabilité. Or, les recherches y appartenant considèrent la réalité comme étant aussi bien objective que subjective (Ahrens et Chapman, 2006 ; Ahrens, 2008 ; Ahrens et al., 2008). Nous verrons d’ailleurs que le positionnement de notre recherche est interprétatif. Puis, nous verrons que le statut accordé à la réalité étudiée et notre positionnement auront une influence sur les critères de validation de la recherche.

1.2. Comprendre et expliquer

Considérer la réalité comme un construit social ne suffit pas à définir notre positionnement épistémologique (Charreire et Huault, 2002). En effet, différents positionnements et/ou courants de recherche partagent cette approche de la réalité. Plus précisément, les positionnements interprétatif et constructiviste voient la réalité comme un construit social. Ils se distinguent cependant l’un de l’autre par le but ultime qu’ils accordent à la recherche. Cette distinction est cependant théorique. Ce n’est pas véritablement une opposition qui unit ces deux positionnements épistémologiques. Ils représentent plutôt les deux extrêmes d’un continuum sur lequel se placent les recherches adoptant une vision construite de la réalité.

Dans le cadre d’un positionnement plutôt constructiviste, la recherche est porteuse d’un projet cherchant à changer la réalité, à contribuer à sa construction (Schwandt, 2000 ; Charreire et Huault, 2002). Il s’agit du principe de projectivité énoncé par Le Moigne (2002). Il faut néanmoins préciser que le constructivisme est un courant extrêmement divers et multiple. Par exemple, dans le cadre de la recherche comptable, le courant critique tel que le décrit Chua (1986) constitue une des branches du constructivisme. En effet, les recherches comptables critiques ont pour projet de réformer l’ordre social en place, autrement dit de construire autrement la réalité sociale.

Les recherches plutôt interprétatives, à l’instar de la nôtre, ne cherchent pas à contribuer à la construction de la réalité. Si elles ont un projet, il s’agit plus d’un projet de connaissance quant à la réalité construite que d’un projet cherchant à influencer cette réalité. Plus précisément, ce projet de connaissance vise la compréhension du sens que les acteurs donnent à une situation – dans notre cas une « situation de gestion » 61 (Girin, 1990), se matérialisant à travers les interactions observées au sein de comités d’audit. En s’intéressant au sens donné par les acteurs sociaux, l’interprétativisme s’inscrit dans le prolongement de la sociologie compréhensive de Weber (1971) :

« Nous appelons sociologie (au sens où nous entendons ici ce terme utilisé avec beaucoup d’équivoques) une science qui se propose de comprendre par

61 « Une situation de gestion se présente lorsque des participants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps

interprétation [deutend verstehen] l’activité sociale et par là d’expliquer causalement [ursächlich erklären] son déroulement et ses effets. » (p. 28).

Cette interprétation ou compréhension présuppose en effet de saisir le sens qu’attribuent les acteurs à des actes dont ils sont, ou non, la source.

Il est important ici de préciser que l’acte de compréhension n’est pas spécifique au chercheur interprétativiste, dans le sens où l’homme de la rue fait acte de compréhension dans sa vie de tous les jours comme le rappelle Schütz (1967). En effet, chaque individu ne cesse, au cours de ses activités sociales, de faire acte de compréhension des significations attachées à ses propres actions et à celles des autres, et ceci, pour permettre le bon déroulement des activités sociales (Mead, 2006 ; Goffman, 1974). L’homme de la rue ne cesse d’interpréter. Dans notre cas, les acteurs participant aux activités du comité d’audit interprètent la situation dans laquelle ils évoluent et lui donnent du sens, sens qui peut être intersubjectivement partagé.

L’acte d’interprétation ou de compréhension dont le chercheur fait preuve et dont parle Weber (1971) ne constitue qu’une interprétation de deuxième niveau qui vise à comprendre les significations subjectives et objectivées des acteurs et, ainsi, à comprendre leur réalité. Le chercheur interprétativiste considère ainsi qu’il existe deux niveaux d’interprétation. On pourrait aller plus loin en soulignant que le lecteur de ce travail fera une interprétation de troisième niveau, et ainsi de suite, (Gosselin, 2002) :

« Il s’agit de prendre la mesure de ce que fait le sociologue en produisant un discours sur le discours d’autrui, pour le retranscrire ensuite, et finalement le coucher sur le papier. Il y a là une opération de second degré doublement interprétative […]. La réalité sociale en effet nous vient au sein d’une double symbolisation : celle des acteurs eux-mêmes et celle qu’opère le sociologue au cours de sa double opération de lecture et d’écriture du discours d’autrui. » (Gosselin, 2002, p. 32).

L’interprétation nécessite donc de comprendre les acteurs dans leurs subjectivités, ce qui nécessite, on le verra plus tard, un certain niveau d’empathie. L’interprétation nécessite également un certain niveau d’explication. L’interprétation est une compréhension explicative (Weber, 1971 ; Gosselin, 2002). Même si pour Dilthey (1995) compréhension et explication sont antinomiques dans le sens où l’explication est celle des causes – apanage des positivistes – et la compréhension est celle du sens donné par les acteurs, l’interprétation nécessite pourtant bien de comprendre et d’expliquer simultanément… Ne serait-ce que par l’acte d’écriture du chercheur

qui vise à expliquer à ses lecteurs et à s’expliquer à lui-même son interprétation de la situation (Ricœur, 1986).

De plus, ce travail ne cherche pas à adopter une posture simplement romantique (Alvesson, 2003) en se limitant à la compréhension de l’intériorité des acteurs. Il s’agit également de comprendre la situation dans son ensemble, et pour ce faire, de se détacher du strict point de vue des acteurs pour appréhender la situation étudiée dans sa globalité. Cela ne présuppose cependant pas que l’interprétation scientifique – l’interprétation de second degré – est plus « vraie » que l’interprétation des acteurs, ou que l’interprétation du chercheur doit chercher à corriger l’interprétation des acteurs. Il s’agit plutôt d’articuler les deux niveaux d’interprétation de manière à ce que l’interprétation scientifique offre une approche éclairant différemment la situation étudiée (Gosselin, 2002) :

« La démarche interprétative ainsi éprouvée nous conduit à prendre les acteurs au sérieux sans les prendre à la lettre, pour proposer une interprétation sans imposer une vérité. » (p. 109).

Par le biais de cette double interprétation, le chercheur produit une connaissance différente de celle du sens commun des acteurs, connaissance qui n’en est pas pour autant supérieure. Cette interprétation de deuxième niveau (ou compréhension explicative) s’enracine donc dans la compréhension du sens donné par les acteurs à une situation – les acteurs pouvant avoir, les uns par rapport aux autres, une interprétation divergente de la situation – mais s’enracine également dans l’appréhension du contexte particulier de la situation étudiée. Comme le soulignent Paillé et Mucchielli (2008, p. 87) :

« La réalité humaine dans laquelle va plonger le chercheur n’est fondamentalement pas la sienne. C’est une construction sociale qui appartient aux acteurs de la situation en question. C’est pour cette raison aussi que le chercheur doit donner la parole aux autres et être humble, car ce sont ces autres qui détiennent les clés de leur monde. Le chercheur va, en quelque sorte, reconstituer ce monde collectif dont chacun des acteurs n’a qu’un petit bout, bien qu’il participe à la construction totale collective. C’est en ce sens que l’on peut dire que le chercheur accède, s’il travaille bien, à une connaissance plus globale que les acteurs pris individuellement. »

Cela amène le chercheur à explorer le contexte de la situation à la fois de manière macro – dans notre cas particulier, l’existence de bonnes pratiques en matière de gouvernance –, de manière méso – dans notre cas, bien comprendre les spécificités de la population étudiée – et de

manière micro – comprendre le contexte direct d’un comité d’audit, c'est-à-dire le contexte de l’entreprise. Cette appréhension du contexte est essentielle. Ainsi, Schwandt (2000) fait référence à la notion de « cercle herméneutique » : pour comprendre une action ou une parole particulière, le chercheur doit nécessairement comprendre l’ensemble du contexte, de manière à être capable de resituer cette parole ou cette action dans son contexte particulier. Il s’agit d’une démarche idiographique.

L’interprétation est cependant un positionnement qui n’est pas si facile à appréhender comme en témoigne le questionnement des chercheurs comptables interprétatifs (Ahrens et al., 2008) quant à ce qui définit l’« Interpretive Accounting Research » (IAR). En effet, les chercheurs semblent en avoir une compréhension différente (Ahrens et al., 2008). L’apparition officielle de ce courant de recherche peut être datée de 1976 avec la fondation du journal Accounting, Organizations and Society par Antony Hopwood. Le constat simple et fédérateur qui a présidé sa fondation était d’étudier la comptabilité dans son contexte ou d’étudier le comptable dans sa vie de tous les jours, ce que peu de recherches comptables faisaient à l’époque (Burchell et al., 1980 ; Hopwood, 1983 ; Tomkins et Groves, 1983). Ce journal est d’ailleurs toujours porteur du programme de recherche initié par Hopwood sur la « comptabilité en action ». Ce programme s’est ensuite étendu à l’étude de l’audit dans son contexte sociologique (Power, 1995 ; 2003). Il s’est nouvellement étendu à ce que Gendron (2009) appelle la « gouvernance en action ». En des termes plus comptables, on pourrait parler d’« accountability en action », courant auquel se rattache notre étude.

Ce courant de recherche est cependant, pour l’heure, extrêmement hétérogène et s’est surtout construit par opposition au courant majoritaire positiviste en comptabilité. Certains « jeunes » chercheurs du courant interprétatif ont alors posé la question de savoir ce qui fédérait l’ensemble des recherches interprétatives, c'est-à-dire ce qu’est l’IAR et ce qui définit une bonne recherche comptable interprétative. Cette réflexion a été reproduite dans le cadre d’un article intitulé « The future of interpretive accounting research – a polyphonic debate » (Ahrens et al., 2008). Nous ne reprendrons pas ici l’ensemble de leurs débats. Nous nous contenterons de souligner les points qui nous sont apparus les plus proches de notre conception. Cela nous permettra de donner un éclairage supplémentaire sur ce qu’est, pour nous, l’interprétation :

L’IAR a bien pour but de comprendre les pratiques liées à la comptabilité. (Grandlund dans Ahrens et al. [2008]).

Cette compréhension se fait dans le cadre d’une posture « critique », non au sens de Chua (1986), mais plutôt au sens de « proposer un regard réflexif sur les pratiques » (Becker dans Ahrens et al. [2008]). Cette réflexivité se rapproche de la réflexivité de premier ordre de Cunliffe (2003) qui s’oppose à une réflexivité de second ordre qui vise les présupposés du chercheur. Ce propos peut également s’apparenter à une réflexion d’Ahrens et Chapman (2006) : une posture interprétative nécessite de l’empathie pour voir le monde au travers des yeux des acteurs mais nécessite également de se poser la question du « so what ? ». En cela, la recherche interprétative ne fait pas que comprendre, elle explique aussi.

L’IAR est une entreprise exploratoire, non pas dans un sens péjoratif mais dans le sens de la curiosité (Panozzo dans Ahrens et al. [2008]) ou dans le sens que lui donne Charreire-Petit et Durieux (2007) : « Nous appelons exploration la démarche par laquelle le chercheur a pour objectif la proposition de résultats théoriques novateurs. » (p. 58).

L’IAR a toujours un caractère provisoire dans le sens où le processus de compréhension n’a pas de fin en soi. C’est le chercheur qui crée une fin artificielle. Cela conduit au fait qu’une situation ne peut jamais être totalement appréhendée. Les choix du chercheur influence la recherche. L’interprétation nécessite alors un jugement personnel (Piber dans Ahrens et al. [2008]).

Notre recherche visera donc à explorer le fonctionnement des comités d’audit, moment important d’accountability. Plus précisément, elle s’emploiera à comprendre et expliquer la nature des interactions entre les acteurs participant aux activités du comité d’audit et leurs contributions à la construction de l’efficacité de ce dernier. Plus généralement, elle s’interrogera sur la nature du contrôle qu’exercent les administrateurs du comité d’audit.

L’étape suivante de notre réflexion nous amènera à nous interroger sur les conséquences de la subjectivité du chercheur en termes de critères de validation de la recherche.

1.3. Questions relatives à la validation de la recherche

Le courant interprétatif (mais cela vaut également et peut-être surtout pour le courant constructiviste) fait face à ce que Smith et Deemer (2000) appellent une crise de la validité, avec

notamment l’avènement du mouvement postmoderne. En effet, puisque l’objet étudié n’est plus indépendant de la manière dont le sujet qui l’étudie le voit, les résultats d’une recherche sont relatifs : la vérité n’existe pas et le critère de vérité ne peut plus être utilisé. L’acceptation de la présence de la subjectivité du chercheur dans ses résultats conduit alors à des difficultés pour évaluer les travaux de recherche. Pourtant, même si la vérité n’existe pas, cela ne veut pas dire que toutes les recherches sont acceptables et de bonne qualité (Smith et Deemer, 2000).

Subjectivité, réflexivité et multivocalité

En réponse à cela, certains considèrent que le chercheur doit se plonger dans une réflexivité pour appréhender sa subjectivité (Cunliffe, 2003 ; Johnson et Duberley, 2003). C’est la position qu’adoptent Covaleski et Dirsmith (1990) dans le courant interprétatif comptable. Le chercheur doit essayer de prendre conscience des présupposés qu’il peut avoir sur le monde qui l’entoure, de manière générale, et plus précisément sur son objet d’étude. Il doit également avertir le lecteur de ses diverses influences (Le Moigne, 2002). Weick (2002) nous rappelle cependant que cette quête de réflexivité ne doit pas nous emmener trop loin de notre objet de recherche, le risque étant que le chercheur s’intéresse plus à lui-même qu’à son objet d’étude. C’est pourquoi nous essaierons, au cours de ce chapitre, de préciser les influences qui ont gouverné notre subjectivité et le cours de cette recherche. Il s’agira plus d’une réflexivité épistémologique (expliciter le tacite) plutôt que d’une hyper réflexivité au sens de Johnson et Duberley (2003).

Pour certains auteurs, reconnaître la subjectivité du chercheur mais également la complexité des phénomènes étudiés conduit à un constat : il est impossible qu’une recherche, qui adopte forcément une vision particulière et subjective du monde, puisse rendre compte de l’intégralité d’un phénomène complexe par nature. Aussi, une tentative pour atteindre une meilleure compréhension d’un objet particulier d’étude est de multiplier les angles d’éclairage en utilisant des méthodologies et des théories différentes. Il s’agit du principe de multivocalité que Shapiro