• Aucun résultat trouvé

Positionnement épistémologique et méthodologie

La construction du cadre conceptuel et l’analyse empirique sont deux processus étroitement liés. L’articulation des développements théoriques en un cadre conceptuel crée une grille de lecture qui guide partiellement la collecte et l’analyse des données. Dans le même temps, la méthodologie employée conditionne la validité et la fiabilité des réponses apportées à nos questionnements.

La confirmation et l’exploration de nos questions de recherche nécessitent la confrontation de notre cadre conceptuel aux faits. Les choix méthodologiques doivent être cohérents avec les construits théoriques. Il s’agit de mettre en œuvre une méthodologie cohérente avec nos interrogations et nos fondements épistémologiques.

Ce chapitre se compose de deux parties. La première présente l’architecture de notre recherche. Elle précise notre posture épistémologique et les choix méthodologiques qui ont guidé l’étude empirique. La seconde partie expose les processus de collecte et de traitement des données. Elle explicite notamment les choix effectués pour assurer la validité et la cohérence de notre démarche.

IV.A. Architecture de la recherche

L’architecture intègre les différentes composantes d’une démarche de recherche : les fondements épistémologiques, le niveau d’analyse ou encore le choix de la méthode utilisée. Elle doit être transparente (Baumard et Ibert 1999) pour le lecteur et nécessite une explicitation précise et fidèle du processus suivi. Nous présentons notre positionnement épistémologique puis les choix de stratégie d’accès au réel effectués.

IV.A.1. Notre positionnement épistémologique

L’explication des choix épistémologiques constitue un point de passage obligé pour le chercheur : elle est indispensable dans une recherche sérieuse (Girod-Séville et Perret 1999) et nécessaire pour juger de sa valeur (Koenig 1993). Les fondements épistémologiques d’une recherche sont au nombre de trois (Girod-Séville et Perret 1999) : la nature de la connaissance produite, le chemin de la connaissance et les critères de validité de la connaissance. L’interrogation porte à la fois sur la nature de la réalité étudiée et de la relation entre le sujet et l’objet de recherche.

IV.A.1.a. Une posture interprétativiste

Trois paradigmes dominent les sciences de gestion : le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme. La séparation entre ces paradigmes tend à disparaître et se dégage plutôt l’idée d’un continuum entre le constructivisme radical et modéré et entre le constructivisme modéré et le positivisme aménagé (Girod-Séville et Perret 1999). Nombre d’auteurs proposent un dépassement de l’incommensurabilité des paradigmes (Bernstein 1983, Lee 1991, Willmott 1993) ou encore un pluralisme56 (Koenig 1993).

56 Le pluralisme est le principe « de disposer d’une variété d’approches, qui, chacune à leur manière, sont en

Chapitre IV. Positionnement épistémologique et méthodologie IV.A. Architecture de la recherche Si notre recherche doit s’ancrer dans ce continuum, elle se rattache davantage au paradigme interprétativiste, position intermédiaire entre le positivisme et le constructivisme : « Dans le cadre du positivisme, le chercheur va découvrir les lois qui

s’imposent aux acteurs. Dans le cadre de l’interprétativisme, il va chercher à comprendre comment les acteurs construisent le sens qu’ils donnent à la réalité sociale. Dans le cadre du constructivisme, il va contribuer à construire avec les acteurs, la réalité sociale »

(Girod-Séville et Perret 1999 : 21). Une perspective interprétativiste implique une « compréhension

des significations que les gens attachent à la réalité sociale » (Allard-Poesi et Maréchal

1999 : 40). Le processus de création de connaissances découle de la compréhension du sens que les acteurs accordent à leurs actions. Cette notion de compréhension se fonde sur le

Verstehen (comprendre) développé par Weber (1965). Deux niveaux de compréhension

interagissent : à un premier niveau, le Verstehen est le processus par lequel les individus, dans leur vie quotidienne, sont amenés à interpréter et à comprendre leur propre monde. A un deuxième niveau, le Verstehen est le processus par lequel le chercheur interprète les significations subjectives qui fondent le comportement des individus qu’il étudie (Lee 1991). Le questionnement sur l’ontologie, nature de la réalité étudiée (Mbengue 2001), n’est pas totalement résolu dans le paradigme interprétativiste : « naturelle » pour le positivisme et « artificielle » pour le constructivisme (Lemoigne 1995), la réalité est avant tout inatteignable pour un chercheur interprétativiste. Les observations sont nécessairement déformées par les prismes sociaux (Berger et Luckman 1996) et théoriques (Girod-Séville et Perret 1999).

Notre objectif est de restituer la réalité créée et partagée par les différents acteurs de l’organisation. Notre recherche ne traduit pas la réalité mais l’interprétation que les acteurs ont de leur action. L’adoption des outils et les processus d’apprentissage découlent d’un certain consensus des acteurs sur leur signification. Nous ne retraçons pas l’émergence de l’entreprise apprenante de façon objective mais comment elle est construite par l’intermédiaire des individus, qui interprètent le monde qui les entoure. La posture plutôt interprétativiste de notre recherche suppose une certaine contextualisation de l’analyse et implique une présence durable sur le terrain et un croisement des interprétations des différents acteurs. Le positionnement interprétativiste de notre recherche n’exclut pas la possibilité d’une certaine objectivité des résultats. Le chercheur accède à une représentation certes subjective de la réalité, mais elle est surtout partagée par les acteurs et peut ainsi être constitutive d’une objectivité (Miles et Huberman 2003).

Ce positionnement épistémologique constitue un présupposé pour le choix du niveau d’analyse et la démarche de construction de la connaissance.

IV.A.1.b. Le niveau d’analyse et la démarche de la recherche

Le choix de se focaliser sur le niveau de l’interaction, définie comme « une action

réciproque, en tant que lieu de formation d’un système de relations » (Giroux et Giordano

1998), évite de se concentrer sur l’individu, le groupe ou l’organisation et implique un dépassement de l’opposition traditionnelle entre individualisme et holisme. Cette dichotomie entre le sujet individuel et l’objet sociétal (Giddens 1987), entre une perspective sous- ou sur-socialisée de l’acteur (Granovetter 1985) tend à être dépassée au profit d’une perspective de l’acteur et de la société comme deux faces indissociables du système social : « l’objet d’étude

par excellence des sciences sociales est l’ensemble des pratiques sociales accomplies et ordonnées dans l’espace et dans le temps, et non l’expérience de l’acteur individuel ou l’existence d’une totalité sociétale » (Giddens 1987 : 50). Neuville (1996 : 49, cité par

Dameron 2000) soutient cette logique de dépassement : « holisme et individualisme

méthodologique ne constituent pas une opposition insurmontable mais plutôt les deux extrémités polarisées d’un seul et même aimant dont le corps central ne présente que bien peu d’antagonismes dans la mesure où l’on se place dans une logique de complémentarité et non plus oppositionnelle » et propose la notion « d’interactionnisme méthodologique »,

selon laquelle « le désordre d’un tout génère des interactions entre ses éléments qui

construisent une organisation, dans, par et contre l’ordre ».

L’intégration des niveaux macro et micro est également envisagée par une troisième perspective plus organisationnelle : l’approche méso (Capelli et Sherer 1991). Les phénomènes sont étudiés simultanément aux deux niveaux d’analyse pour finalement les dépasser et éviter certains biais : la réification des structures, considérées comme des entités réelles et non comme des construits, et la sous-estimation des interactions entre les niveaux. L’approche systémique de l’entreprise apprenante que nous avons proposée dans notre première partie s’intègre parfaitement dans cette logique. Neuville résume cette intrication systémique entre l’individu, le collectif et l’organisation, qui constitue le socle de notre recherche :« le fait que le collectif forme un tout qui est plus que l’ensemble de ses parties

n’est pas incompatible avec la position que seuls les individus ont des buts et intérêts ; le fait que le collectif affecte les choix individuels est une évidence qui ne renie pas l’assertion selon laquelle l’individu agit selon ses intérêts dans un contexte donné ; enfin le fait que la structure influence les comportements individuels est une trivialité que ne contredit pas le principe d’une structure modifiable par les individus » (Neuville 1996). La construction de la

connaissance dans notre recherche se fonde principalement sur des allers-retours entre la théorie et le terrain.

Chapitre IV. Positionnement épistémologique et méthodologie IV.A. Architecture de la recherche La nature à la fois confirmatoire et exploratoire de nos questions de recherche implique une démarche d’exploration et de test : « pour explorer, le chercheur adopte une

démarche de type inductive et ou abductive alors que pour tester, celui-ci fait appel à une démarche de type déductive » (Charreire et Durieux 1999 : 59). Selon les auteurs, les trois

démarches revêtent les caractéristiques suivantes :

DEMARCHE DEDUCTIVE INDUCTIVE ABDUCTIVE

DEFINITION La confrontation d’hypothèses formulées à la réalité permet de les confirmer ou infirmer. La constatation de faits réguliers permet d’élaborer des théories et lois universelles.

L’observation de faits réguliers et la mobilisation d’un cadre conceptuel existant permettent de conjecturer les relations entre les objets, pour ensuite les tester et les discuter.

D’après Koenig (1993) et Charreire et Durieux (1999)

Tableau IV.1. Les démarches de recherche

Notre démarche peut être qualifiée de « stratégie hybride » (Weingart 1997 cité par Dameron 2000), c'est-à-dire procéder par allers-retours entre les connaissances théoriques et les observations. Cette démarche suppose l’utilisation différée des trois démarches, déductive, inductive et abductive, selon l’étape de la recherche. Dans un premier temps, l’analyse de la littérature nous a permis de cerner une première problématique et d’établir un cadre conceptuel provisoire. Cette démarche de déduction a guidé nos choix méthodologiques : une étude de cas et un protocole de collecte des données (flèche 1). Dans un deuxième temps, nous avons procédé à la récolte des données, qui par induction a enrichi et alimenté notre conceptualisation (flèche 2). L’aller-retour entre conceptualisation et observation, alliant induction et déduction, est venu préciser et réorienter nos construits. Cette démarche abductive constitue une base pour l’analyse des cas (flèche 3). Notre démarche de recherche peut être représentée ainsi (figure IV. 2) :

(1) (2) (3)

Déduction