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A – La pollution

La définition juridique de la pollution a été donnée pour la première fois par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) le 14 novembre 1974 et a été reprise de nombreuses fois dans les traités suivants169.

L’OCDE entend par “pollution” : « L’introduction par l’homme, directement ou

indirectement, de substances ou d’énergie dans l’environnement, qui entraînent des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux systèmes écologiques, à porter atteinte aux agréments ou à gêner les autres utilisations légitimes de l’environnement »170.

Extrapolant les concepts cachés dans cette définition, il est possible d’établir des conclusions importantes.

• La pollution doit être causée par la main de l’homme171. Cette affirmation

laisse ouverte la question de la pollution naturelle dans des zones modifiées par l’homme (inondations ou tremblements de terre dans des zones territoriales à haut niveau de risque, tel que les zones avec des centrales nucléaires par exemple). Dans ce cas, considérer que la définition de la pollution inclut également ces situations, implique, au moins, le devoir d’information et d’assistance172.

• « Directement et indirectement » : dans le premier cas, le plus courant, le concept de pollution concerne un élément polluant qui contamine l’environnement sans intermédiaire. Dans le cas d’une pollution indirecte, un élément passe par un milieu avant d’en contaminer un autre, comme les

169 Cette définition mérite d’être prise comme référence parce qu’elle a été reprise dans un

certain nombre de documents tels que : La Convention de Barcelone du 16 février 1976, la directive du Conseil des Communautés européennes, 4 mai 1976, la Convention de Genève, 13 novembre 1979 et la Convention Montego Bay, 10 décembre 1982.

170 A.CAPONERA, Dante. Le régime juridique des ressources en eau internationales. Rome :

Food and Agriculture Organizations of the United Nations - Publications Division, 1981, p.190.

171 ARBOUR, Jean-Maurice, et Sophie LAVALLEE. Droit international de l'environnement.

Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2006, p.699.

172 Ibid. : « (…) sont des activités économiques normales ou ordinaires et en tout cas parfaitement licites ou légales du point de vue du droit international qui provoquent généralement des dommages environnementaux : on peut penser ici aux opérations d’une usine chimique, au transport maritime des produits pétroliers, à l’exploitation commerciale de l’espace extra-atmosphérique par le moyens des satellites, à la construction d’un barrage hydroélectrique, à l’exploitation d’une centrale nucléaire ou aux essais nucléaires à l’air libre à l’époque (1944-1975) où les grandes puissances estimaient que c’était tout à fait normal et légitime de polluer le planète au nom de la sécurité nationale et de leurs intérêts nationaux ».

substances qui s’infiltrent dans le sol pour ensuite endommager le sous- sol173.

• « Substances ou énergie qui entraînent des conséquences préjudiciables ». La définition ici vise tous les éléments matériels solides, liquides ou gazeux et sous différentes formes, tel que l’énergie (radiations, vibrations, chaleur, bruit), qui peuvent avoir de graves conséquences environnementales, mesurées quantitativement174.

• Il est également important de souligner le rôle que cette définition donne à la prévention : elle souligne que les substances ou énergies doivent être “de

nature à mettre en danger”. Cette affirmation doit être interprétée comme la

possibilité de dommages potentiels175 . Ainsi, une installation pouvant

entraîner des dommages environnementaux sera jugée “de nature à” ; pas seulement pour ses activités, mais également sur le simple constat qu’elle peut être potentiellement dangereuse176.

• « La santé humaine, les ressources biologiques et les systèmes

écologiques » sont des cibles à protéger selon leur ordre d’importance177. La

première catégorie concerne les êtres humains, les autres êtres vivants, en revanche, sont inclus dans la deuxième catégorie. La troisième est centrée sur la sauvegarde du milieu de la planète et de ses cycles biologiques.

• Enfin, dans cette définition, sont concernés les dommages esthétiques résultant de la pollution d’endroits touristiques ou les dommages envers les activités liées à la nature (par exemple la pêche), à travers les termes

173 DUPUY, Pierre-Marie. La pollution transfrontière et le droit international. Lille : Martinus

Nijhoff Publishers, 1985, p.35.

174 D’autres exemples : CRINI, Grégorio, et Pierre-Marie BADOT. Traitement et épuration des eaux industrielles polluées. Entraigues sur la Sorgue : Presses Universitaires de Franche-

Comté, 2007, p.17 sqq. Les auteurs fournissent une liste précise de toutes les formes de pollution chimique ou non qui pourraient endommager les sols et l’eau.

175 A propos de dommage potentiel et du critère d’irréversibilité dans les instruments de droit

international intégrant le principe de précaution [voir infra paragraphe 3]. CAZALA, Julien. Le

principe de précaution en droit international. Louvain-la-Neuve : Anthemis, 2006, p.134.

176 Pour la définition de risque potentiel. KOURILSKY, Philippe. Du bon usage du principe de précaution. Paris : Éditions Odile Jacob, 2002, p.57 : « Toute démarche de précaution commence par la difficile analyse des risques. Le risque doit être défini, évalué et gradué. Cette proposition est moins élémentaire qu’il n’y paraît. Elle est l’étape essentielle de rationalisation des risques qui doit conduire à séparer le risque potentiel du fantasme et de la simple appréhension. Elle impose qu’on ne se satisfasse pas des présupposés vagues dont s’accommode généralement l’attitude d’abstention. Elle requiert, dans les faits, de recourir à des expertises souvent longues et coûteuses. Un premier exercice consiste à imaginer les risques possibles, à éliminer les scénarios jugés non plausibles pour retenir ceux qui sont jugés plausibles et qui méritent dès lors le titre de “risque potentiel”. Il faut ensuite graduer les risques potentiels et décider d’un seuil d’alerte ».

177 VAN LANG, Agathe. Droit de l'environnement. Paris : Presses Universitaires de France,

suivants : « porter atteinte aux agréments et gêner les autres utilisations

légitimes de l’environnement178 ».

La notion a été reprise et élargie à l’occasion des différentes conventions, notamment la Convention d’Espoo du 25 février 1991 qui a porté le champ d’application de ce concept jusqu’à un niveau suffisant pour pouvoir faire face à toutes les situations liées à la pollution. Il ne s’agit donc plus de l’idée de pollution au sens strict, comme dans la définition donnée par l’OCDE, mais plutôt d’impact général sur l’environnement, qui va bien au-delà de ce concept179.

B – Le concept de transfrontière

Le terme utilisé dans la définition donnée par l’OCDE était « transfrontière », en opposition au terme « transfrontalière » qui pouvait être considéré comme trop restrictif et source de confusion, en limitant la problématique aux deux seuls États limitrophes, ce qui n’est pas toujours le cas. Au-delà des définitions, c’est le lieu où l’activité humaine a engendré la pollution qui importe. Il y a des pollutions, telle que la pollution aérienne, qui se déplacent sur de grandes distances. En conséquence, le lieu où la pollution trouve sa source peut être éloigné de l’aire géographique dans laquelle elle occasionne des dégradations. L’OCDE définit “transfrontière” comme : « Toute pollution volontaire ou

accidentelle dont l’origine physique est soumise à la juridiction nationale d’un pays et qui se situe en tout ou partie dans la zone placée sous la juridiction nationale de ce pays, et qui a des effets dans la zone placée sous la juridiction nationale d’un autre pays ». Avec la Convention de Genève, la définition s’est

davantage élargie : « L’expression “pollution atmosphérique transfrontière à

longue distance” désigne la pollution atmosphérique dont la source physique est comprise totalement ou en partie dans une zone soumise à la juridiction

178 ELLUL, Anthony. « Pollution : moyens juridiques relatifs à l'élimination des déchets et des eaux usées. » Développement touristique durable. Strasbourg : Éditions du Conseil de l'Europe,

1996, p.97 : « J’aimerais ajouter à cette liste un autre type de pollution, plus étroitement associé

au tourisme, une pollution sociale pourrait-on dire. Cette forme de pollution entraîne une rupture de la vie sociale du fait de la pression qu’exercent les activités liées au tourisme ; celle-ci crée une tension sociale et finit par susciter dans la collectivité locale des sentiments d’hostilité à l’encontre des touristes ».

179 Convention d’Espoo, 25 février 1991 (Article 1, vii) : « Le terme “impact” désigne tout effet d'une activité proposée sur l'environnement, notamment sur la santé et la sécurité, la flore, la faune, le sol, l'air, l'eau, le climat, le paysage et les monuments historiques ou autres constructions, ou l'interaction entre ces facteurs ; il désigne également les effets sur le patrimoine culturel ou les conditions socio-économiques qui résultent de modifications de ces facteurs ».

nationale d’un État et qui exerce des effets dommageables dans une zone soumise à la juridiction d’un autre État à une distance telle qu’il n’est généralement pas possible de distinguer les apports des sources individuelles ou groupes de sources d’émission ».

Dans les cas de pollution transfrontières, par définition, se trouvent d’un côté un État pollueur et, de l’autre côté, un, voire plusieurs, États pollués. Cette situation théorique offre l’occasion d’analyser les deux points de vue.

C – Le point de vue de l’État pollué et pollueur

Un principe fondamental en droit international est que chaque État possède la souveraineté absolue sur son propre territoire. Cela signifie qu’il décide de l’utilisation qu’il souhaite faire de ses propres ressources. D’une part, les États ne peuvent, en principe, pas souffrir d’ingérence par des tiers sur leur propre territoire, mais d’autre part, ils ne peuvent pas endommager les autres États avec leurs actions. Ce sont des principes difficiles à concilier qui ont la même valeur juridique180.

Cette interrogation porte ainsi sur le fait de savoir où il est possible de tracer la limite entre le droit de déterminer les activités dans un État et le droit d’avoir un territoire exempt de toute pollution.

La réponse repose sur le principe de l’abus de droit, concept déjà affirmé dans le droit international général. Ce principe se base sur la proportionnalité entre l’activité et le dommage provoqué. Concrètement, si un État décide de déverser un contenu polluant dans un fleuve dont le cours passe non seulement sur son propre territoire (État pollueur) mais également sur le territoire d’un État tiers (État pollué), ce dernier pourra accepter cette pollution si elle est contenue dans un seuil prédéterminé. Le seuil est identifié en fonction des conséquences de la pollution. Lorsque les conséquences de ce geste sont minimes, par exemple si la pollution n’entraîne pas de suites néfastes pour les terres de l’État pollué et les populations vivant à proximité, il pourra ne pas engager de poursuites. L’appréciation de cet acte de pollution, par exemple, sera différent

180 Une définition précise de pollution transfrontière dans DUPUY, Pierre-Marie. La pollution transfrontière et le droit international. Lille : Martinus Nijhoff Publishers, 1985, p.35 : « L’expression “pollution transfrontière” s’entend, à moins d’indication contraire, de toute pollution qui, provoquée par des activités exercées dans le territoire ou sous le contrôle d’un État, produit des effets néfastes pour l’environnement dans d’autres États ou dans des espaces ne relevant d’aucune juridiction nationale ».

si ce cours d’eau constitue la seule source d’eau potable ; le dommage sera alors gigantesque et par conséquent inacceptable.

Pour résumer le concept d’abus de droit au niveau international, il est possible de citer le principe latin sic utere tuo ut alienum non laedas, qui veut que l'on exerce ses droits de manière à ne pas nuire à autrui. Pour retourner à un niveau élémentaire de la règle, les nations doivent donc poursuivre l’objectif d’utiliser leurs propriétés sans que cette utilisation aboutisse à un dommage pour les autres181. Ce principe a évolué spécifiquement dans le droit de

l’environnement en créant des fondements particuliers et des règles autonomes.

Les principes autonomes développés dans le droit de l’environnement international sont issus, pour la plupart, de la jurisprudence en la matière. En particulier, le cas de la fonderie de Trail a été à l’origine de la définition de deux d’entre eux182. Le premier reconnaît la responsabilité d’un État pour des actes

de pollution dont la source se trouve sur son territoire et qui causent des dommages sur le territoire d’un autre État, et ce, alors même que ces dommages ne seraient pas imputables à l’État lui-même. Le deuxième, quant à lui, porte sur une responsabilité commune partagée entre les États concernés. L’arrêt cité propose également d’autres règles générales adaptables au droit de l’environnement, parmi lesquelles le concept de développement continu de la discipline : les règles qui sont adoptées doivent être modulées et calibrées en fonction de l’évolution de la discipline elle-même183.

L’arrête se termine en déclarant : « Le tribunal exprime l’espoir avec insistance

que toute étude (investigation) que les gouvernements pourraient entreprendre à l’avenir en rapport avec les questions envisagées dans la présente décision

181 MAZAUDOUX, Olivier. Droit international public et droit international de l'environnement.

Limoges : Presses Universitaires de Limoges, 2008, p.84 : « En effet, au droit absolu d’un État pollueur d’utiliser son territoire comme il l’entend, se heurte le droit non moins absolu de l’État victime de ne pas subir de dommages, c’est-à-dire de ne pas voir son territoire pollué par des activités venant d’un autre État. Pour répondre à ce besoin, et sans revenir sur l’exclusivité de compétences de l’État pollueur le DIP va développer la règle interdisant l’abus de droit, ou l’exercice arbitraire du droit, dépourvu de motivations acceptables, qui porte préjudice à un État tiers ».

182 L’affaire de la fonderie de Trail oppose le Canada et les États-Unis. Une usine sur le

territoire canadien pollue le territoire voisin des États-Unis et ses citoyens. La sentence est prononcée le 11 mars 1941 par un tribunal arbitral constitué à cet égard énonçant : « selon les

principes du droit international, autant que d’après le droit des États-Unis, aucun État ne peut utiliser son territoire, ou tolérer que celui-ci soit utilisé, de façon à permettre que des fumées causent un préjudice sur le territoire d’un autre État, ou à des objets ou personnes qui s’y trouvent, si l’affaire est d’importance et si le préjudice est établi de manière claire et convaincante ».

sera menée conjointement ». Cette affirmation est renforcée par la Cour

internationale de Justice à l’occasion de l’affaire du détroit de Corfou du 9 avril 1949 en jugeant que : « Aucun État ne peut utiliser son territoire aux fins

d’actes contraires aux droits d’autres États ». Également, dans le cadre d’une

sentence arbitrale rendue dans l’affaire du lac Lanoux du 19 novembre 1956, sur la question de l’utilisation de l’eau de ce lac entre la France et l’Espagne, est aussi envisagée la question de la pollution et l’environnement. Cette sentence exprime que : « On aurait pu soutenir que les travaux avaient pour

conséquence une pollution définitive des eaux du Carol, ou que les eaux restituées auraient une composition chimique, ou une température, ou telle autre caractéristique pouvant porter préjudice aux intérêts espagnols. L’Espagne aurait alors pu prétendre qu’il était porté atteinte à ses droits. Ni le dossier, ni les débats de cette affaire ne portent la trace d’une telle allégation »184.

Afin d’affirmer la thèse de la pollution transfrontière, il est utile d’examiner encore deux arrêts. Tout d’abord un jugement intervenu le 8 janvier 1979 entre les Pays-Bas et la France à propos de résidus provenant de la production de potasse qui polluaient le Rhin. En effet, le fleuve était utilisé pour l’écoulement de ces déchets. Il a été demandé au tribunal d’arrondissement de Rotterdam de juger si l’augmentation de la teneur en sel des eaux du Rhin était due à un acte illicite de l’exploitation des mines de potasse d’Alsace. Le tribunal a dû se reporter aux principes généraux applicables citant l’arrêt fonderie de Trail. Le dommage créé par le rejet de sel constitue un abus de droit et donc une violation d’un principe reconnu en droit international général, donc l’auteur du dommage doit réparation à la victime. Par un jugement du 16 décembre 1983, le tribunal reconnaît que les mines de potasse ont fait fi de leur devoir de vigilance imposé par le droit international et affirme un second principe plus spécifique au droit de l’environnement : principe selon lequel il est prohibé de causer des dommages au territoire ou à la population d’un autre État. Dans ce cas spécifique, un État ne peut pas utiliser son droit au détriment d’un autre

184 Il est possible d’ajouter à ces exemples les cas qui ont été soumis à la Cour internationale

de justice par les gouvernements australien et néo-zélandais le 9 mai 1973. Les affaires concernaient des opérations nucléaires françaises dans le Pacifique qui pouvaient endommager le continent australien, la Cour s’est prononcée dans une ordonnance visant à faire cesser l’activité de la part de la France. Ce cas ne peut pas vraiment faire l’objet d’une déclaration jurisprudentielle dans le domaine de l’environnement, puisque la France a cessé ses activités indépendamment de cette ordonnance, mais elle a quand même un valeur de soutien à la règle générale sur la pollution transfrontière.

État. Les mines devaient réparer les dommages causés puisqu’elles n’avaient pas pris en considération les intérêts des utilisateurs situés en aval du cours d’eau. L’affaire sera réglée à la fin de l’année 1988 avec la condamnation à payer 11.250.000 francs aux plaignantes.

En conclusion, les condamnations prononcées par les tribunaux locaux et par

la Cour internationale de Justice illustrent comment les principes de base en droit international de l’environnement s’adaptent sur le modèle des règles déjà affirmées dans le champ du droit international général. Il est désormais clair que le droit international de l’environnement doit aller au-delà des traités bilatéraux affirmant ainsi des règles universelles pouvant solutionner les problèmes au niveau régional et mondial. Si d’un côté, le droit international est un droit relativement récent et en pleine formation, le droit international de l’environnement représente quant à lui sa branche la plus récente. En raison de sa nature et de sa composition, grâce aux découvertes technologiques et scientifiques, mais également à la prise de conscience mondiale des enjeux environnementaux, ce droit a aujourd’hui mûri. Il s’agit d’un droit développé sous l’influence des arrêts précédemment analysés, un droit fondé sur des principes clairs et spécifiques.

Les prochains paragraphes seront consacrés à l’analyse détaillée de ces principes.