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CHAPITRE 2 CADRE ANALYTIQUE

2.1 Définitions des principaux concepts

2.1.1 Politique publique

Les définitions du terme « politique publique » sont nombreuses et diverses et les auteurs rencontrent une difficulté importante à bien définir ce concept (Thain, 1987; Muller et Surel, 1998; Lemieux, 2002).

Une première difficulté qui apparaît, lorsque vient le temps de parler du terme « politique », est son caractère polysémique : le politique, la politique, les politiques (Liautaud, 2003). Contrairement aux utilisateurs de la langue anglaise qui possèdent différents mots pour désigner ces différentes variantes (polity, politics, policies), les auteurs de langue française ne disposent que du vocable « politique » qui recouvre plusieurs usages. Il importe donc de faire la distinction entre les différentes significations que peut prendre ce terme.

Le terme masculin de politique, c’est-à-dire le politique (polity), concerne « ce qui est politique » (Petit Larousse, 1990 : 761). Il recouvre la sphère politique et permet de faire la distinction entre le monde de la politique et la société civile (Muller et Surel, 1998 : 13). Le terme « politique » peut également être utilisé afin de désigner l’activité politique en général : la politique (politics) (Muller et Surel, 1998 : 13). Il désigne alors « les phénomènes de lutte pour le pouvoir, de concurrence entre les partis, des groupes d’intérêt, des catégories sociales, des personnes, pour l’exercice de l’influence et pour l’occupation des fonctions d’autorité dans une collectivité, dans un pays, dans un marché électoral, dans les processus de décision » (Meny et Thoenig, 1989 :130). Un autre usage du terme de « politique » recoupe ce que la langue anglaise désigne par le mot policy, soit « un cadre d’orientation pour l’action, un programme ou une perspective d’activité » (Meny et Thoenig, 1989 : 130). Le terme correspond alors à l’action publique et est employé sous l’appellation « les politiques ». Lorsqu’il est utilisé à cette fin, le terme politique désigne « le processus par lequel sont élaborés et mis en place des programmes d’action publique, c’est-à-dire des dispositifs politico-administratifs coordonnés en principe autour d’objectifs explicites » (Muller et Surel, 1998 : 130). C’est en ce sens qu’il faut parler de politique publique, c’est-à-dire « les actes et les non actes engagés d’une autorité publique face à un problème ou dans un secteur relevant de son ressort »

(Muller et Surel, 1998 : 130). L’étude des politiques publiques dont il sera question dans ce travail se situe dans le cadre de la troisième appellation, celle « des politiques ».

Au cours des années 1980, on parlait encore de politiques gouvernementales pour désigner les politiques publiques mais l’unanimité s’est faite, aujourd’hui, sur l’appellation de politique publique (Lemieux, 2002 : 1). La définition de ce qu’est une politique publique n’est cependant pas fixée pour autant (Landry, 1980; Pal, 1987; Meny et Thoenig, 1989; Howlett et Ramesh, 1995; Muller et Surel, 1998; Lemieux, 2002; Van Zanten, 2004). Ceci n’est pas étonnant si nous considérons le fait que l’étude des politiques publiques fait appel à plusieurs disciplines et à différents modes d’analyse. Les définitions des politiques publiques sont donc nombreuses, certaines sont très simples et d’autres très complexes, mais malgré les variations, plusieurs définitions s’entendent sur des traits communs qu’il convient de relever; ceux-ci permettant d’en définir la nature et les contours (Pal, 1987; Meny et Thoenig, 1989; Howlett et Ramesh, 1995; Van Zanten, 2004).

Les auteurs s’entendent, dans un premier temps, sur le fait qu’une politique publique est

le produit d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale

(Sharkansky, 1970; Heclo, 1972; Simeon, 1976; Anderson, 1979, dans Pal, 1987; Landry, 1980; Pal, 1987, 1997; Meny et Thoenig, 1989; Howlett et Ramesh, 1995). Les gouvernements sont donc les agents des politiques publiques.

Il est possible de relever qu’une politique publique fait souvent appel à plus d’un acteur (Jenkins, 1978, dans Howlett et Ramesh, 1995; Anderson, 1979, dans Pal, 1987; Muller et Surel, 1998; Lemieux, 2002) qui prennent part aux décisions ou aux non décisions (exemples : spécialistes, populations, groupes de pression, etc.). Il importe donc de ne pas limiter les politiques publiques aux actions des autorités gouvernementales. Jenkins (1978, dans Howlett et Ramesh, 1995) fait référence à cette notion lorsqu’il dit que les politiques publiques réfèrent à un ensemble de décisions interreliées, prises par un acteur politique ou un groupe d’acteurs politiques.

Plusieurs définitions mettent en évidence le fait qu’une politique publique met l’emphase

Simeon, 1976, dans Pal, 1987; Landry, 1980; Codd, 1988; Howlett et Ramesh,1995; Pal, 1997) et que les décisions des gouvernements de ne rien faire sont aussi des politiques (exemples : ne pas créer de nouveau programme, maintenir le statut quo) (Rakoff et Schaefer, 1970; Dye, 1972, Heclo, 1972; Simeon, 1976, dans Pal, 1987; Landry, 1980; Codd, 1988; Howlett et Ramesh,1995; Pal, 1997; Muller et Surel, 1998). Une politique publique est donc une série d’actions ou d’inactions que des autorités publiques choisissent d’adopter.

Les politiques publiques visent à résoudre un problème ou un groupe de problèmes

(Anderson, 1979, dans Pal, 1987; Pal, 1997; Lemieux, 2002) mais pas tous les problèmes, seulement ceux qui sont perçus comme étant des problèmes d’ordre public (Lemieux, 2002). L’environnement externe ou interne du système d’action qu’est une politique publique serait la source des problèmes publics sur lesquels porte une politique publique (Lemieux, 2002).

Une politique publique s’identifie sous la forme d’une substance, d’un contenu (Meny et

Thoenig, 1989). Elle possède un contenu qui correspond à une définition du problème, à une déclaration de buts, à des mesures concrètes et à des instruments et/ou ressources (ressources financières, intellectuelles, réglementaires, matérielles) qui sont mobilisés pour générer des résultats ou des produits (Codd, 1988; Meny et Thoenig, 1989; Pal, 1997; Muller et Surel, 1998; Van Zanten, 2004). Pour qu’une politique publique existe, il faut effectivement que les différentes décisions et/ou déclarations soient réunies par un cadre général d’action qui fonctionne comme une structure de sens, c’est-à-dire qui mobilise des éléments de valeur (Laswell et Kaplan, 1950; Codd, 1988; Meny et Thoenig, 1989; Muller et Surel, 1998; Van Zanten, 2004) et de connaissances, ainsi que des instruments d’action particuliers, en vue de réaliser les objectifs visés. Elle est constituée de produits, c’est-à-dire d’output réglementaires, financiers et physiques (Muller et Surel, 1998 : 16).

À ce sujet, Lemieux (2002) affirme que lorsqu’un gouvernement fait un énoncé de politique, il prend des engagements dont il sera redevable par la suite. Ces engagements se retrouvent généralement dans les documents publics où la politique est présentée avec

un certain détail. Une politique publique peut alors être vue comme une suite d’activités dans lesquelles les problèmes sont décelés, les orientations et les objectifs sont formulés et des actions et des moyens d’action sont proposés afin d’atteindre les buts. Une

politique est ainsi constituée de multiples prises de décisions de la part des acteurs politiques (Jenkins, 1978, dans Howlett et Ramesh, 1995; Muller et Surel, 1998;

Lemieux, 2002).

Les gouvernements font parfois une distinction entre politique, programme et projet. Une politique se décompose en programmes qui se décomposent en projets. Ce sont des catégories administratives qui visent à mettre de l’ordre dans les activités gouvernementales (Lemieux, 2002). Une politique correspond ainsi à une liste de buts d’un organisme public, un plan correspond à une liste d’objectifs spécifiques pour atteindre un but et un programme est une liste d’actions précises.

Il existe plusieurs types de politiques : les politiques distributrices (elles offrent de

ressources à des acteurs), les politiques régulatrices (elles contrôlent le comportement d’acteurs) et les politiques redistributives (transferts (coercitifs) de ressources de certains acteurs à d’autres acteurs) (Meny et Thoenig, 1989).

Une politique publique est souvent vue comme un ensemble programmé de buts. Elle a une intention (Laswell et Kaplan, 1950, dans notes de cours ÉNAP; Jenkins, 1978, dans

Howlett et Ramesh, 1995; Anderson, 1979, dans Pal, 1987; Codd, 1988). On retrouve la préoccupation du « pourquoi » dans la définition de Lasswell et Kaplan (1950 : 71, dans Lemieux, 2002). Selon ces auteurs, une politique est de l’ordre du projet et comprend des valeurs recherchées et des pratiques. La notion de finalité se retrouve également dans la définition de Jenkins (1978 : 15, dans Lemieux, 2002) pour qui les politiques publiques réfèrent non seulement à un ensemble de décisions interreliées mais aussi à la sélection des buts et des moyens de les atteindre, donc à la recherche de solutions. Les finalités ou solutions sont aussi centrales dans la définition de Brooks (1989 : 16, dans Lemieux, 2002) pour qui une politique publique réfère à un cadre englobant d’idées, de valeurs ou d’inactions choisies par les gouvernements, en relation avec quelque enjeu ou problème. Elles ont donc inévitablement un impact voulu (Simeon, 1976, dans Pal, 1987).

Une politique publique possède ainsi une orientation normative (Meny et Thoenig, 1989;

Muller et Surel, 1998). L’activité publique est présumée ne pas être le résultat de réponses aléatoires mais au contraire l’expression de finalités et de préférences que le décideur, consciemment ou non, de façon volontaire ou sous le poids des circonstances, ne peut qu’endosser (Meny et Thoenig, 1989). Les actes traduisent des orientations : intentionnellement ou non et sous tendent des objectifs spécifiques (Meny et Thoenig, 1989).

Une politique publique peut être définie comme le produit d’un processus, se déroulant et évoluant dans le temps (Jenkins, 1978, dans Howlett et Ramesh, 1995; Lemieux, 2002;

Van Zanten, 2004). Les schémas qui distinguent des phases ou des étapes dans le déroulement des activités par lesquelles se réalisent les politiques publiques sont plus descriptifs qu’explicatifs mais ils n’en contiennent pas moins des éléments qui aident à comprendre comment évoluent les politiques (Lemieux, 2002). Jusqu’à la fin des années 1980, l’approche séquentielle des étapes des politiques publiques, lancée par Lasswell (1956, dans Lemieux, 2002), a été la plus courante dans l’analyse des politiques publiques (Brewer et DeLeon, 1983; Jones, 1984; Bellavance, 1985; Meny et Thoenig, 1989, dans Lemieux, 2002; Muller et Surel, 1998). Il avait proposé sept étapes mais la plupart de ceux qui l’ont suivi en ont proposé trois ou quatre : l’émergence, la formulation, l’adoption (parfois comprise dans formulation) et la mise en œuvre auxquelles on ajoute parfois l’évaluation et la terminaison.

L’approche séquentielle de Jones (1970) fut et est toujours grandement utilisée. Pour cet auteur, le processus de réalisation des politiques se cristallise autour de cinq étapes : l’émergence, la formulation, l’adoption, l’application et l’évaluation. L’émergence est la perception d’un écart entre une situation observée et une situation désirée. À cette phase sont associés des processus de perception du problème, d’agrégation des différents événements ou problèmes, d’organisation de structures, de représentation des intérêts et de définition de l’agenda (Muller et Surel, 1998 : 30). La formulation commence à partir du moment où le gouvernement décide de placer un problème sur son agenda et peut se terminer avec la rédaction d’un plan, d’une loi ou d’un règlement qui vise à régler le problème ou par la simple décision de ne rien faire, de ne pas intervenir. L’adoption

concerne l’approbation, la modification ou le rejet d’une formulation par l’autorité législative ou gouvernementale. Dans notre système législatif, l’adoption s’étend de la présentation en chambre d’un projet de loi à la sanction donnée par le gouverneur général ou le lieutenant gouverneur. L’application correspond à la mise en œuvre des mesures adoptées par le gouvernement. Elle comprend l’organisation des moyens à mettre en œuvre, l’interprétation des directives gouvernementales et leur application proprement dite. L’évaluation permet de comparer les effets observés par suite de l’application aux effets désirés identifiés aux étapes de l’émergence, de la formulation et de l’adoption. L’évaluation peut faire redémarrer le processus de réalisation des politiques aux étapes antérieures dans le but de poursuivre, modifier ou même d’abandonner une politique (Landry, 1980 : 25-34).

L’approche séquentielle est un ensemble heuristique pertinent (Muller et Surel, 1998). Elle propose un cadre d’analyse simple de l’action publique, qui introduit un minimum d’ordre dans la complexité des actions et des décisions constituant une politique publique (Muller et Surel, 1998). Ce type de grille permet d’embrasser de manière particulièrement cohérente les multiples facettes de l’action politique. À condition, cependant, de ne pas l’appliquer de manière trop systématique. Plusieurs précautions doivent effectivement être prises si l’on veut éviter une approche trop simpliste du phénomène étudié : l’ordre des étapes peut être inversé ou perturbé; certaines étapes sont parfois très difficiles à identifier; les problèmes politiques ne sont jamais vraiment résolus, l’achèvement d’un programme d’action gouvernemental correspond la plupart du temps à une réorientation ou à la mise en place d’un nouveau programme avec des moyens et/ou des objectifs différents (Muller et Surel, 1998 : 30). La représentation séquentielle des politiques ne doit donc pas être utilisée de façon mécanique. Il faut plutôt se représenter les politiques publiques comme un flux continu de décisions et de procédures dont il faut essayer de retrouver le sens (Muller et Surel, 1998 : 30). On aura d’ailleurs avantage à concevoir une politique publique non pas comme une série de séquences successives, mais comme un ensemble de séquences parallèles interagissant les unes par rapport aux autres et se modifiant continuellement.

Certains auteurs ajoutent à la définition d’une politique publique en affirmant que la

nature des politiques est plus ou moins autoritaire. Elles ont un caractère coercitif : les

citoyens sont tenus d’y obéir (Landry, 1980; Meny et Thoenig, 1989; Muller et Surel, 1998).

Finalement, une politique publique a un public (ou plutôt des publics), c’est-à-dire des individus, groupes, organisations dont la situation est affectée par la politique (Meny et Thoenig, 1989). Elle a donc inévitablement un impact.

Une politique publique est ainsi le produit d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale et possède un caractère coercitif. Elle réfère à un ensemble de décisions interreliées prises par un groupe d’acteurs politiques. Elle implique et affecte plusieurs acteurs. C’est une série d’actions ou d’inactions que des autorités publiques choisissent d’adopter. Elle vise à résoudre un problème ou un groupe de problèmes d’ordre public. Elle possède un contenu qui correspond à une définition du problème, à une déclaration de buts, à la désignation de mesures concrètes afin d’atteindre ces buts et aux choix des instruments et/ou ressources. Le processus de réalisation d’une politique se cristallise autour de cinq étapes principales qui ne sont pas nécessairement linéaires, qui se déroulent dans le temps et qui permettent à la politique d’évoluer : l’émergence, la formulation, l’adoption, la mise en œuvre et l’évaluation. Elle possède un impact certain.