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CHAPITRE 2 CADRE ANALYTIQUE

2.1 Définitions des principaux concepts

2.1.5 Mise en œuvre

Définir le champ d’études de la mise en œuvre n’est pas quelque chose d’aisée. Les chercheurs sur l’implantation ne s’entendent pas sur ce que constitue leur objet de

recherche (Thain, 1987; O’Toole, 2000). Nous retrouvons ainsi, dans la littérature, une pluralité de définitions du concept de mise en œuvre. Plusieurs dénoncent cette réalité (Peters et Linder, 1987; Goggin et James, 1998) et croient qu’il est désormais nécessaire d’établir une définition claire et consensuelle du terme. Il paraît cependant possible, en établissant une synthèse des définitions présentes dans les écrits, c’est-à-dire en mettant en exergue tous les aspects importants du concept étudié, d’établir une définition complète et relativement claire.

Il est possible de relever, dans un premier temps, que la mise en œuvre est généralement considérée comme une phase du processus d’une politique publique (Jones, 1970; Sabatier et Mazmanian, 1983; Sabatier, 1986; Meny et Thoenig, 1989; Howlett et Ramesh, 1995; Muller et Surel, 1998; Dyer, 1999; Lemieux, 2002; Fullan, 2007). Elle peut être vue comme l’étape qui succède logiquement à la formulation d’une politique (Van Meter et Van Horn, 1975; Morah, 1996) : « La phase de l’implantation ne débute pas tant que les buts et les objectifs n’ont pas été établis ou identifiés par des décisions politiques » (Van Meter et Van Horn, 1975 : 447; Palumbo et al., 1990). Grindle (1980) met cependant en lumière qu’il est parfois difficile de dissocier le processus de formulation de la mise en œuvre. « Cet état de fait résulte de la rétroaction qui surgit au cours du processus de mise en œuvre, des modifications au niveau des objectifs et des orientations de la politique en raison des procédures préexistantes ou de la nécessité d’interpréter les lignes de conduite à suivre » (Grindle, 1980 : 8, dans Liautaud 2003 : 49). Ce qui est réalisé sur le terrain peut ainsi différer de ce qui était initialement prévu dans la politique.

La mise en œuvre est parfois définie succinctement et partiellement comme « la phase d’une politique publique pendant laquelle des actes et des effets sont générés à partir

d’un cadre normatif d’intentions, de textes ou de discours » (Meny et Thoenig, 1989 :

233). Lemieux (2002) aborde également la mise en œuvre sous cet aspect en la désignant comme l’application des mesures prévues aux situations qui font problèmes, de façon à ce qu’elles se conforment aux normes qui ont plus ou moins inspiré les mesures.

Plusieurs auteurs insistent sur le fait que l’implantation est un processus complexe (Jones, 1970; Smith, 1973; Hambleton, 1983; McLaughlin, 1987; Goggin et al., 1990; Howlett et Ramesh, 1995; Meir, 1999; Schneider, 1999; O’Toole, 2000; Lemieux, 2002; Fullan, 2007) qui évolue dans le temps (Goggin et al., 1990; Brinkerhoff, 1996). Ce processus semble débuter avec la déclaration officielle d’intention d’un gouvernement d’entreprendre ou d’arrêter une action gouvernementale et se termine avec l’impact de cette prise de décision dans le monde réel (O’Toole, 1986, 2000). DeLeon (1999) abonde dans le même sens en spécifiant que « la mise en œuvre comprend tout ce qui se passe entre le moment où des attentes sont formulées à travers une politique et les résultats de celle-ci tels qu’ils sont perçus » (DeLeon, 1999 : 341).

La mise en œuvre fait référence à des interactions entre les buts visés et les actions mises de l’avant pour les atteindre (Jones, 1970 : 165; Presman et Wildavsky, 1973; Van Meter

et Van Horn, 1975; Howlett et Ramesh, 1995). « Ceci inclut les efforts faits pour transformer les décisions en termes opérationnels ainsi que les efforts continuels qui sont mis de l’avant afin d’atteindre les petits et grands changements requis par les décisions politiques » (Van Meter et Van Horn, 1975 : 447). L’implantation est alors considérée comme étant l’habileté à établir, par l’intermédiaire d’interactions, une connexion entre les objectifs et les actions effectuées pour les réaliser (Jones, 1970 : 165; Sabatier, 1986; Palumbo et al., 1990). La mise en œuvre, dans cet ordre d’idées, est synonyme de réalisation, de mise en pratique, de « traduction » des politiques et des intentions en résultats concrets par l’intermédiaire d’interactions (Brinkerhoff, 1996).

La mise en œuvre viserait à mettre en pratique une idée, un programme ou un ensemble d’activités et de structures (Levine, 1972, dans Palumbo et al., 1990; Sabatier, 1986;

Verspoor, 1989; Meny et Thoenig, 1989; Fitz, Halpin et Power, 1994; Fullan, 2007). À ce sujet, Sabatier et Mazmanian (1983) ainsi que Muller et Surel (1998) abordent l’implantation comme étant le fait de mettre en pratique les décisions prises; ces décisions identifiant le problème, stipulant les objectifs à poursuivre. Ces décisions structurent le processus d’implantation (Sabatier et Mazmanian, 1983). Meny et Thoenig (1989) prétendent, concernant ce point, que la mise en œuvre d’une politique publique se caractérise comme « un ensemble d’activités individuelles ou organisationnelles

transformant des conduites dans le cadre d’un contexte prescriptif établi par une autorité publique mandatée » (Meny et Thoenig, 1989 : 249).

Smith (1973) affirme qu’il y aurait quatre composantes au processus de mise en œuvre : la politique idéalisée, l’organisation de l’implantation, le groupe cible et les facteurs environnementaux (Smith, 1973 : 197). Des tensions seraient nécessairement générées par ces composantes lors du processus (Smith, 1973) car elles impliquent du marchandage et des négociations (McLaughlin, 1987); des intérêts divergents étant en jeu (Dyer, 1999). Les acteurs qui interviennent ne restent effectivement ni neutres, ni passifs lors de l’implantation (Radin, 1977, dans Meny et Thoenig, 1989). Ils poursuivent leurs propres buts, défendent leurs intérêts qui peuvent ou non être compatibles avec les buts de la politique adoptée (Bardach, 1977, dans Hambleton, 1983; Sabatier et Mazmanian, 1983). Les directives gouvernementales peuvent donc faire l’objet d’interprétation de la part des différents acteurs (Muller et Surel, 1998). Ceux-ci tenteraient également d’avoir accès aux éléments de la politique qui ne sont pas sous leur contrôle (Sabatier et Mazmanian, 1983).

En ce qui a trait aux acteurs, O’Toole (2000) dit qu’il faut tenir compte, en plus des

acteurs responsables de la politique et des agents de mise en œuvre, des autres individus (non désignés officiellement dans la politique) qui sont des partenaires nécessaires à la conversion de la politique en actions et à l’atteinte des buts visés. Grin et Van de Graaf

(1996) mettent également l’emphase sur les acteurs en insistant sur ceux chargés de la politique. Ces acteurs entreraient également dans le jeu de pouvoir caractérisant l’implantation d’une politique. La mise en œuvre s’avèrerait alors être « un processus d’interactions communicationnelles entre les acteurs de la politique et les groupes cibles, chacun détenant une rationalité particulière » (Grin et Van de Graaf, 1996 : 291). « Ces interactions sont basées, principalement, sur la compréhension, l’apprentissage et l’ajustement des significations. Il s’opère, au cours de la mise en œuvre, un ajustement au niveau de la compréhension des différents acteurs » (Liautaud, 2003 : 49).

Mc Laughlin (1987) avance dans le même sens que Grin et Van de Graaf (1996) en ce qui concerne l’ajustement des compréhensions de la politique. Celle-ci spécifie que toute

action de mise en œuvre change le problème de la politique, ses ressources et ses objectifs en raison des nouvelles exigences ou des contraintes qui surgissent au cours de l’évolution du processus de mise en œuvre. La mise en œuvre, selon ce point de vue, peut être perçue comme une transformation. Le processus de mise en œuvre nécessite effectivement « l’établissement de consensus, la résolution de problème, des compromis, la participation de acteurs clés, l’adaptation au milieu et une planification qui tient compte des exigences » (Brinkerhoff, 1996 : 1396). Selon Pressman et Wildasky (1979), une mise en application systématique de la politique telle que formulée s’avère impossible. Lors de la mise en œuvre, la politique est nécessairement reformulée.

La mise en œuvre n’est donc pas toujours unidirectionnelle et ne se limite pas à la mise en pratique des décisions prises (Palumbo et al., 1990; Crosby, 1996) contrairement à ce

que de multiples auteurs mentionnent. Cette impression semble dériver d’une idée fausse comme quoi le changement en politique prend place dans un système clos où les intrants et les résultats sont sous le contrôle direct des acteurs qui prennent les décisions et ensuite sous celui des acteurs responsables de la mise en œuvre. Les changements encourus par la politique sont invariablement implantés dans un système ouvert (Bardach, 1977; Sabatier et Mazmanian, 1989). La mise en œuvre est ainsi dynamique (Myrtle, 1983; Brinkerhoff, 1996; Pal, 1997) et non linéaire (Geller et Johntson, 1990; Brinkerhoff, 1996). Elle est également fréquemment fragmentée, interrompue (Crosby, 1996) et

multidimensionnelle (Brinkerhoff, 1996; Pal, 1997).

Comme synthèse, il est possible d’affirmer que la mise en œuvre renvoie aussi bien à une étape, à une période qu’à un processus. Elle est généralement considérée comme une phase du processus d’une politique publique. Elle débute avec la déclaration officielle d’intention d’un gouvernement d’entreprendre ou d’arrêter une action gouvernementale et se termine avec l’impact de cette prise de décision dans le monde réel. Elle fait référence aux interactions entre les buts visés et les actions mises de l’avant pour les atteindre et implique du marchandage, des négociations et des jeux de pouvoir entre de multiples acteurs. Les directives gouvernementales peuvent effectivement faire l’objet d’interprétation de la part des différents acteurs impliqués qui sont mus par leurs intérêts

et leurs propres buts. La mise en œuvre influence donc la politique. Elle réfère à un processus complexe, multidimensionnel, évolutif, non linéaire et interactif.