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Les points de vue de l’enseignante et de l’orthopédagogue sur la

4.1 Présentation et analyse des résultats pour la dyade 1

4.1.8 Les points de vue de l’enseignante et de l’orthopédagogue sur la

Cette partie de l’analyse des résultats permet de rendre compte des points de vue de l’enseignante et de l’orthopédagogue sur la conception et la réalisation de la situation d’E/A dans laquelle elles se sont engagées communément. Il s’agit de dégager avec elles les moyens utilisés, d’expliquer leurs choix, les ajustements apportés ou les adaptations effectuées de même que leur point de vue sur la relation de collaboration qui a eu cours. L’enjeu est de mettre en évidence les modes de fonctionnement des pratiques, les marges de manœuvre et les contraintes rattachées à un tel fonctionnement.

Différents entretiens ont eu lieu sur l’ensemble de la démarche d’accompagnement des acteurs de la dyade 1. Le premier, qui était un entretien préséance, a permis de préciser leurs points de vues et intentions liées à la mise en place du projet de collaboration. Cet entretien a aussi permis de prendre connaissance de la tâche prévue et de l’approche retenue.

Ultérieurement, en fonction des disponibilités des acteurs, il nous a été possible de réaliser un entretien à la suite de la séance 1 (postséance 1) avec l’orthopédagogue, puis un autre à la suite de la séance 3 (postséance 3), en présence de l’orthopédagogue et de l’enseignante. Un entretien final réunissant à nouveau les membres de cette dyade a eu lieu au terme de la séquence d’E/A, soit après la réalisation de la séance 4.

Ces entretiens ont permis différents éclairages sur les contraintes et les marges de manœuvre associées à la conception et à la réalisation de la situation d’E/A au sein de la dyade 1.

4.1.8.1 Une prise en charge des élèves ciblés inhabituelle de la part de l’enseignante

À la suite de la séance 1, l’entretien avec l’orthopédagogue a permis de révéler que l’enseignante a alloué plus de temps qu’à l’habitude aux élèves estimés en difficulté (MI et AL), contrairement à ce qui aurait pu être possible normalement sans sa présence.

Les élèves en difficulté sont contents d’avoir leur professeure pendant dix minutes, quinze minutes, ce qu’elle n’est pas capable nécessairement de donner lorsqu’elle est toute seule. Là, elle peut leur donner [Eps1/O1/17-20].24 […] Ça fait

qu’avec cette méthode-là, moi j’ai les autres, ça fait que ça roule bien. Elle s’occupe de ces deux petits-là, elle est bien contente [Eps1/O1/70-83].

Plus tard, à la suite de la séance 3, l’enseignante a confirmé cette vigilance accrue auprès des élèves estimés en difficulté (MI et AL), attention qu’ils n’ont pas toujours de sa part étant donné qu’elle doit aussi s’occuper des autres élèves.

24Eps (minuscule) signifie que l’extrait est tiré d’un entretien postséance et Eps1/O1/17-20 signifie qu’il s’agit

Puis, moi je me rends compte […] comment je dois perdre ceux qui sont en difficulté parce que j’en ai qui viennent se faire corriger. Moi, d’habitude par exemple, pour corriger, quand je suis toute seule […], je leur donne un numéro d’équipe. […] Ça fait que là, je vais regarder où ils en sont puis je vais expliquer. (…) Puis tu as ceux qui te grugent l’énergie, qui sont… toujours après toi. […] Puis tu as ceux, oh, elle est en train de m’oublier, tant mieux, elle ne voit pas, moi ça marche pas, je n’ai pas envie qu’elle me voie que ça marche pas [Eps3/E1/144- 157]25.

En bref, pour l’enseignante, ce fonctionnement dans lequel elle accordait plus d’attention aux élèves en difficulté qu’à l’habitude aurait occasionné des difficultés de gestion. Le temps accordé à ces élèves aurait ainsi alourdi son travail, sans compter qu’elle a été énormément sollicitée par les autres élèves en même temps.

De plus, les aides et interventions accordées à ces élèves n’étaient pas représentatives de sa pratique habituelle. Par exemple, elle a avoué qu’il lui arrivait de diminuer le travail, qu’elle insistait sur la relecture des questions et la vérification de la compréhension, mais qu’elle le faisait sans distinction pour qui que ce soit. Elle en a donc conclu qu’elle ne faisait pas d’adaptations spécifiques pour ces élèves: « Je ne fais pas d’adaptation, je vais être très honnête, personnelle à un élève. » [EF/E1/402-403]26 Néanmoins, elle a révélé qu’il lui arrivait tout de même d’accorder plus d’attention à MI afin qu’il comprenne bien la tâche, en lisant avec lui les questions d’examens (en mathématiques), puis en vérifiant sa compréhension à chacune des étapes de la réalisation de son travail. De plus, a-t-elle précisé, MI a droit à des mesures d’adaptation, soit à son Lexibook et à la calculatrice, et cela lui est favorable étant donné son diagnostic.

En somme, un certain tiraillement est perceptible chez l’enseignante entre la nécessité d’adapter l’enseignement et d’accorder plus d’attention et un accompagnement plus soutenu aux élèves estimés en difficulté, et les réalités de l’enseignement au quotidien. En effet, elle concevait comme difficile d’adapter son enseignement sans respecter les conditions communes d’enseignement et sans tenir compte des besoins de l’ensemble des

25 Eps3 : tiré du compte rendu intégral de l’entretien postséance 3. 26

élèves de la classe, ce qui a pu constituer une contrainte importante lors des séances observées étant donné qu’elle a cherché à conserver sa pratique habituelle tout en donnant une aide accrue aux élèves estimés en difficulté. Malgré une certaine responsabilité accordée à l’orthopédagogue auprès des autres élèves lui permettant d’offrir cette aide accrue aux élèves ciblés, il n’en demeure pas moins qu’elle s’est préoccupée de l’ensemble des élèves et que cela a alourdi son travail.

4.1.8.2 Un constat montrant des difficultés reliées aux problèmes soumis

La réaction de l’enseignante à la suite de la séance 3 a montré une réflexion sur sa pratique concernant des difficultés de gestion en lien avec les attentes posées à l’endroit des élèves, même si cette séance n’a pas donné lieu à une aide accrue auprès des élèves ciblés27. Une certaine tension relevant du degré d’autonomie des élèves à accomplir la tâche a émergé. E1 a en effet avoué que malgré l’avertissement donné selon lequel il n’y aurait pas d’explications données, il a été difficile de respecter cette ligne de conduite. Elle a montré un certain désarroi en ce sens : « Quand tu vas voir, aujourd’hui là, tu vas dire, ben comment qu’on peut faire pour expliquer, ils ne comprennent pas. Tu veux leur laisser faire leur bout de chemin, puis là ils sont en file. » [Eps3/E1/4-6]

L’un des aveux de la part de l’enseignante a été d’admettre que le problème était difficile à résoudre. De son point de vue, le principal obstacle était qu’il y avait trop d’informations28

. Elle a ajouté qu’elle-même avait pris un certain temps pour comprendre le problème, car les termes utilisés pouvaient être ambigus :

Il faut vraiment que t’organises sur un schéma…pour comprendre sur l’eau, sous l’eau. On se mêle toujours dans les mots, c’est ça que je disais à O en plus, sur, sous […] Mais le sur/sous, déjà tu te mélanges. Là, tu dis il a respiré, c’est quand il ne respirait pas, non quand il était… il va respirer sur l’eau, sous l’eau, puis là il a plongé, ça vient mêlant [Eps3/E1/334-344].

27 AL était absent et cette séance demandait un travail autonome de la part des élèves.

28 Rappelons que le problème consistait à trouvercombien de temps un dauphin peut rester à la surface de

l’eau au bout d’une journée s’il a plongé en moyenne 3 fois par heure, et ce, sachant qu’il peut rester 5 à 8 minutes sous l’eau, sans respirer.

Du point de vue de l’orthopédagogue, l’une des principales difficultés était également de trouver les données importantes et cette difficulté provenait du fait que les élèves ne comprenaient pas la question.

L’enseignante a abondé dans le sens d’O1 en confirmant que les élèves n’avaient pas utilisé les stratégies qui leur avaient été enseignées (la croix) et qu’ils avaient pris des raccourcis en utilisant les nombres apparents (tous ceux présents dans le problème) et en cherchant ce qu’ils pouvaient faire avec ceux-ci. Aussi, même si les élèves utilisaient la croix, a-t-elle révélé, la question n’était écrite qu’à moitié et il manquait des données chez certains. Il devenait donc difficile pour eux de résoudre seuls le problème. Certains se sont retrouvés rapidement à son bureau, n’ayant aucune démarche en vue, ni dessin illustrant la situation.

Quant à l’idée de demander à l’orthopédagogue de se retirer en compagnie des élèves en difficulté, l’enseignante a admis que cette solution était inappropriée, car les difficultés étaient manifestement les mêmes pour l’ensemble de la classe : « … on ne l’a pas fait parce que… ils étaient tous en difficulté à quelque part. » [Eps3/E1/111-114]

Les analyses précédentes ont en effet montré la recherche d’une plus grande autonomie de la part des élèves, mais plusieurs aides et interventions ont dû être apportées pour contrer des difficultés variées. Ces aides et interventions ont été de renforcer la responsabilisation des élèves au regard de la lecture et de la compréhension du problème, mais aussi de les inciter à utiliser la méthode de la croix avant de se lancer dans la phase de recherche de solutions. Une plus grande ouverture sur les stratégies employées par les élèves a cependant donné lieu à l’idée de schématiser la situation. Néanmoins, l’enseignante a opté pour une approche guidée explicite autorisant les élèves plus forts à fournir et à expliquer leurs stratégies, ce qui a pu amenuiser les efforts des autres élèves pour aller au bout de leur raisonnement.

Il est toutefois étonnant que l’enseignante n’ait pas soulevé la difficulté occasionnée par la présence de données dites implicites, la compréhension de ce type de données et la

façon de traiter celles-ci. Il s’agissait pourtant d’un aspect fort important mis en évidence dans nos analyses, les élèves ayant démontré une compréhension fragile de cette notion

Quoi qu’il en soit, le point de vue plus général de l’enseignante sur l’ensemble de la séquence d’E/A a été que celle-ci n’a pas eu l’effet escompté, en plus du fait qu’elle a été plus longue que prévu : « Non, ça n’a pas eu l’effet escompté. […] Et ça été, cette leçon là, beaucoup plus long que ce que j’avais prévu, vraiment plus long […]. » [EF/E1/13-16]

Ce sentiment face à cette séquence d’E/A a révélé aussi un doute quant aux résultats potentiels en cas d’examens, notamment en lien avec le réinvestissement des stratégies enseignées, qui serait envisageable chez les élèves forts, mais qui ne le serait pas chez les élèves faibles : « Je ne suis pas certaine du résultat […]. C’est certain qu’ils ont fait du chemin, puis je me suis rendu compte aussi que malgré toutes les stratégies [enseignées], spontanément, ils ne vont pas les utiliser. » [EF/E1/23-26]

Aussi, tout en repensant aux obstacles que les élèves ont rencontrés, elle a admis que les problèmes étaient particulièrement difficiles. Bien que la méthode de la croix était une méthode qu’ils utilisaient très souvent, a-t-elle révélé, « […] ils ne savaient pas très bien ce qu’il y avait à faire, ils ne comprenaient pas trop. » [Eps3/E1/13-15] Cela aurait demandé alors plus d’explications que prévu. Par contre, pour la phase de mise en situation, celle qui impliquait le problème avec les terriers de marmottes, E1 a montré une plus grande satisfaction. En effet, ce problème lui a semblé plus simple, car les élèves avaient déjà résolu des problèmes du même genre auparavant.

4.1.8.3 Une prise en compte difficile des besoins des élèves ciblés (AL et MI)

À ces différentes contraintes dénotant des difficultés logistiques et didactiques s’ajoute la prise en compte difficile des besoins des élèves ciblés en vue d’adapter la situation avant sa réalisation en classe pour la rendre plus accessible pour eux. Il nous semble en fait que cette prise en compte a été plutôt absente. Les propos de l’enseignante ont en effet révélé qu’il s’agit d’une difficulté importante, surtout en considérant le fait que

d’autres élèves n’ont pas réussi davantage à comprendre les problèmes soumis. Qui plus est, l’orthopédagogue a fait valoir qu’elle n’était pas en mesure d’aider l’enseignante à entrevoir des adaptations éventuelles.

Par exemple, en comparant le portrait de la situation d’AL et du soutien qui lui a été accordé par rapport à MI, l’enseignante a émis quelques observations tirées de la réalisation des séances, à savoir que malgré tout, AL arrive à s’en sortir du côté de la technique (multiplication), mais pas MI, qui éprouve des difficultés de calcul. Par contre, tous les deux démontrent une compréhension limitée des problèmes soumis.

AL […] je lui redonnerais, et je ne suis pas certaine que ça donnerait grand-chose. Puis je me suis rendu compte qu’il possédait bien ses techniques […]. Quand arrivait la multiplication, lui il n’a aucune difficulté là-dessus [EF/E1/36-41]. [MI] il avait trouvé la réponse, mais j’ai guidé à quoi servait la réponse parce que je pense qu’il ne savait pas encore qu’il avait atteint la réponse [EF/E1/53-54]. Concernant MI, outre l’autorisation d’utiliser un Lexibook et une calculatrice étant donné son diagnostic de dysorthographie, l’orthopédagogue a avoué qu’elle ne voyait pas d’autres adaptations à mettre en place. Pour l’enseignante, la situation semblait très claire : le langage était l’obstacle principal et le genre de problème qui venait de lui être proposé comportait trop de subtilités difficiles à saisir. Elle a ajouté que cette difficulté langagière se répercutait également sur le plan de l’organisation des données et que l’obstacle du langage était amplifié lorsque les problèmes étaient plus complexes.En contrepartie, elle a admis que ces difficultés étaient également présentes chez d’autres élèves.

Pour AL, la situation s’est révélée beaucoup plus difficile à appréhender. Selon l’orthopédagogue, la situation d’AL nécessitait de penser à des modifications éventuelles, mais l’enseignante a émis des réserves sur cette idée, car le plan d’intervention de cet élève n’était pas à jour. En ce sens, elle se demandait comment l’orthopédagogue pouvait savoir réellement ce qu’il fallait enlever (dans le programme). L’orthopédagogue a rétorqué en disant qu’elle attendait les résultats de l’évaluation en orthophonie, qu’une dysphasie était suspectée. L’enseignante a alors admis que c’était un long processus.

En somme, l’enseignante et l’orthopédagogue ne se sont pas entendues sur les besoins des élèves ciblés, ce qui constitue évidemment un obstacle important dans l’éventualité d’une harmonisation des approches et d’un ajustement des pratiques. Quoi qu’il en soit, le constat de l’enseignante concernant l’accessibilité des problèmes soumis pour ces élèves, mais aussi pour les autres élèves, nous semble important considérant que les aides apportées se sont surtout concrétisées de manière à guider et à contrôler la démarche devant être employée (compréhension et planification), et considérant que les stratégies de recherche de solutions ont été livrées.

4.1.8.4 Un plaidoyer en faveur de la pratique habituelle

Quant à la relation de collaboration, l’enseignante a remis en question le fonctionnement adopté en exprimant des doutes sur le bien-fondé de la présence de l’orthopédagogue en classe, disant privilégier le fonctionnement habituel visant des interventions orthopédagogiques hors classe.

En effet, interrogée sur ses intentions quant au suivi ou aux modifications qu’elle souhaitait envisager à la suite de ce processus, l’enseignante a souligné qu’elle prévoyait plutôt faire un travail parallèle avec l’orthopédagogue pour ce qui est des élèves en difficulté : « Puis là, moi je dirais que ce serait là, si à ça on voulait faire plutôt le réinvestissement ou quelque chose, que [l’orthopédagogue] sorte avec eux et revoit. Mais je ne le referais pas avec tout mon groupe. » [EF/E1/338-340]

Ainsi, la pertinence de la présence de l’orthopédagogue en classe a été contestée par l’enseignante, qui estimait que le rôle de cette dernière devrait se limiter à de l’aide pédagogique s’effectuant en sous-groupes, hors classe.

Je n’y crois pas… à l’aide pédagogique […] dans la classe. […] Parce que c’est remplir pour remplir. Pour moi, ce n’est pas ça. L’aide pédagogique, quand c’est pointu, ce que [l’orthopédagogue] voit, là ça ne marche vraiment pas comme ça. […] Puis c’est trop de stratégies que les autres élèves n’ont pas nécessairement besoin sur le coup [Eps3/11/468-472].

Du côté de l’orthopédagogue, bien qu’elle eu cru que sa présence en classe ait permis de maintenir une bonne relation avec tous les élèves, elle affirme qu’elle voyait difficilement comment prendre plus de place auprès de l’enseignante.

Ils ont tous un sentiment d’appartenance, hein. C’est leur professeure. C’est leur répondant, […] c’est leur sécurité. […] Même s’ils me voient pendant 3 ans, ce n’est pas moi leur sécurité là, c’est le professeur qui est en avant d’eux autres. […] Moi je suis un complément, je ne suis pas la sécurité [Eps3/O1/440-442].

Notons que la contestation de l’enseignante quant à la présence de l’orthopédagogue dans la classe s’est aussi traduite par sa volonté de limiter l’action de cette partenaire en conservant la responsabilité de l’enseignement à toute la classe et en prenant en charge l’aide aux élèves en difficulté.

Toutefois, rappelons que le projet de collaboration entre l’enseignante et l’orthopédagogue stipulait que l’enseignante conserverait le leadership de la classe et que l’orthopédagogue interviendrait surtout lors de la mise au travail des élèves. Par contre, il n’était pas prévu que l’enseignante prenne en charge l’aide aux élèves ciblés de façon aussi importante, alors que cette responsabilité est normalement attribuée à l’orthopédagogue.

En somme, la collaboration entre l’orthopédagogue et l’enseignante de la classe 1 (dyade 1) n’a pas atteint le niveau de coopération correspondant aux attentes de ce projet. Plusieurs difficultés ont émergé, notamment quant au partage des responsabilités et aux rôles assumés par les partenaires. En outre, les avantages de ce type de collaboration n’ont pas été perçus, du moins en ce qui concerne la possibilité de concevoir conjointement une situation d’E/A adaptée et d’échanger sur différentes adaptations potentiellement favorables en cours de réalisation de cette situation, de façon à s’ajuster au bénéfice des élèves en difficulté, mais aussi pour l’ensemble des élèves, dans un climat d’apprentissage stimulant et inclusif.